Pour clore le mois d’août en beauté, le pianiste israélien virtuose Yonathan Avishai se produisait en piano solo à la bougie au Sunside. Retour sur une expérience sensorielle immersive, où la musique résonne autrement.
Les concerts à la bougie du Sunside sont devenus un rendez-vous incontournable pour les amoureux du jazz. Dans une semi-obscurité intime et envoûtante, nous devinons en ombres chinoises un public discret dont les murmures sont à peine audibles. Posées ça et là, sur le bar et au centre des petites tables rondes, des bougies diffusent une lueur vibrante aux reflets dorés dansants sur les cocktails multicolores. Les gouttes de cire fondue dessinent sur les chandeliers de jolis motifs perlés et les flammes vacillantes créent des jeux de lumière enveloppant l’espace d’une aura mystérieuse. La soirée s’annonce enchanteresse.
Du fond de la salle, Yonathan Avishai se fraie un chemin jusqu’à la scène bordée d’un liseré rouge lumineux. Il s’installe tranquillement au piano et démarre en plaquant quelques accords en douceur. Il prend son temps, laisse les silences s’installer entre les notes. Une mélodie se détache alors et la main droite s’envole, primesautière. C’est frais, joyeux, bondissant. Les appoggiatures créent une ambiance ludique, presque enfantine. Le pianiste s’amuse. Il accentue le staccato, détachant rigoureusement chaque note avec allégresse. Sa production s’avère expressive et éclatante.
Puis la main gauche instaure un balancement à l’octave, s’installe dans les graves cependant que la main droite vient greffer ses accords plaqués ou arpégés, c’est selon. La rythmique se fait ensuite de plus en plus lancinante, hypnotisante même. Yonathan Avishai semble expérimenter de nouvelles sonorités et suivre la musique qui s’impose à lui. Les sons s’enchevêtrent majestueusement, tout semble réinventé en permanence, au fil des notes. La liberté du pianiste est tangible. Délicates et précises, ses mains dansent sur le clavier et chaque note est interprétée avec raffinement, tout en nuances. La poésie musicale à l’état brut.
« La mélancolie, c’est un désespoir qui n’a pas les moyens » nous dit le pianiste en citant Léo Ferré avant de nous interpréter cette chanson qui nous plonge dans une douce nostalgie. Les graves prennent de l’ampleur, les harmonies se déploient. Le tempo est de plus en plus lent.
Plusieurs titres de l’album Retrouvailles (Paradis Improvisé) nous seront joués, comme le sublime « So In Love » de Cole Porter et l’on repense à cette formidable idée qu’a eu Hélène Dumez de réunir chez elle les pianistes les plus recherchés de la scène jazz et d’enregistrer avec eux 14 albums en piano solo. 14 pépites à écouter sans modération.
Enfin, un vrombissement semble jaillir du piano. Le climat se fait inquiétant, avec ces accords arpégés qui nous prennent comme une vague inéluctable. Puis une valse nous entraîne avec elle et nous sommes emportés dans un tourbillon de spirales musicales. Après un interlude brésilien d’Ernesto Nazareth intitulé « Confidencias », Yonathan Avishai rend hommage à Jelly Roll Morton puis nous interprète « Celui qui sourit », une composition inspirée par un chauffeur de taxi de Tel-Aviv.
Comme un secret chuchoté à l’oreille, du tellurique à l’aérien, les notes nous enrobent de dentelles et l’on se dit que la soirée fût bonne.
Visuel : (c) GE