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Thee Sacred Souls et Selah Sue closent le Montreux Jazz Festival en beauté et puissance

par Hannah Starman
21.07.2024

Ce 20 juillet, deux bêtes de scène aux vibes aussi différents qu’engageants électrisent la salle du Casino pour cette dernière soirée de la 58ème édition du Montreux Jazz Festival. Entre la soul douce du sud de la Californie d’un Josh Lane décontracté et l’énergie féroce de la chanteuse belge Selah Sue, le public montreusien vit un moment musical historique.

 

Thee Sacred Souls : le soleil californien s’invite à Montreux

 

Chemise blanche, large pantalon noir, sandales et dreadlocks : Josh Lane, le vocaliste des Thee Sacred Souls, incarne mieux que personne cette fusion entre la soul et la musique latino que l’on associe à la vibration sud-californienne. Il ouvre le show avec « Will I see you again », une balade nostalgique aux accents de brise fraîche. « Nous venons de San Diego et c’est notre première fois à Montreux », s’écrie-t-il en souriant de toutes ses dents blanches et en agitant sa formidable tignasse. « Qui de vous est amoureux ? » Une multitude de mains se lève, confirmant ainsi l’impression que le public est largement constitué de couples.

 

 

Josh Lane offre à ce public désormais acquis « Easier Said Than Done », une chanson intemporelle de désir amoureux. Son falsetto enveloppant, le tempo groove de la section rythmique et le « woo-ooh-ooh » des choristes féminines créent une ambiance estivale décontractée et vivifiante. Sur les podiums, les spectateurs se mettent à danser et sur scène, Lane – communicant, dansant et gracieux – les y encourage.

 

Connu pour ses chansons d’amour, Thee Sacred Souls ne décevra pas. Ce soir au Casino, l’amour est clairement dans l’air. Avec une voix soyeuse, Lane chante son désir de reconquérir une ex-flamme dans « Ladylove », un arrangement lisse et subtilement funky, avant d’introduire « le propriétaire de notre maison de disques ». Neal Sugarman, saxophoniste et cofondateur de Daptone, qui est également le label de Jalen Ngonda, rejoint les musiciens sur scène pour « Love Comes Easy. »

 

 

Josh Lane annonce la parution du nouveau disque du groupe, prévue le 4 octobre, et propose d’en interpréter quelques titres. Sous les applaudissements appuyés, il introduit la chanson-titre « Lucid Girl » dédiée « à toute femme qui à tout moment décide que la perspective patriarcale ne doit pas dicter la façon dont elle se présente ou s’engage dans ce monde. » Les spectatrices expriment leur accord très clairement. « Il est temps que les hommes se rendent compte du pouvoir des femmes », poursuit Josh Lane avec une voix envoûtante d’un charmeur des serpents et plus d’un spectateur serre sa femme dans les bras dans un esprit de réconciliation entre les sexes.

 

Showman habile et séduisant, Lane demandera un éclairage rouge de la scène (« le rouge de l’amour, non pas de la colère ») pour sa prochaine chanson, « Trade Of Hearts, » dédicacée « à vos amoureux/amoureuses » et interprétée dans un falsetto rêveur et accompagnée de gestes indiquant un échange de cœurs. enchaînant sur « Running », Lane demande le public de danser avec lui avant de s’offrir un long bain de foule. Il trottine parmi les spectateurs d’un pas souple et s’arrête pour se laisser prendre en photo par les filles criant leur plaisir sous les regards quelque peu inquiets de leurs compagnons.

 

 

Josh Lane, qui avait écrit la chanson « Give Us Justice » en mémoire de George Floyd et Breonna Taylor, invite son public « de s’aimer soi-même » et « de se confronter à ses blessures » avant de conclure « car si vous n’avez pas d’amour pour vous-même c’est difficile de voir la souffrance des Palestiniens ou les Congolais ou les Soudanais. » Submergé par les applaudissements et les cris, il terminera son discours par « Nous sommes une humanité, un amour ! » avant de continuer avec « Live For You. »

 

Après un bref interlude de « Future Lover », Josh Lane revient aux questions politiques avec un discours sur l’amour au sens plus large. « Pour moi, l’amour signifie que si moi, je mérite la liberté, toi aussi, tu mérites la liberté, si moi je mérite la paix, toi aussi tu mérites la paix, une famille, une patrie. Et en ce moment, certaines personnes ont décidé que certaines autres personnes ne méritent pas ces belles choses. » Il dédicace la chanson suivante, « It’s Our Love » à la Palestine et au Soudan. Comme pour s’assurer de bien délivrer ce message à chacun des spectateurs individuellement, il se lance à nouveau dans la foule, un garde du corps à ses trousses.  Thee Sacred Souls terminent le concert sur deux tubes « Weak for your Love » et « Can I Call You Rose », chantés en chœur avec un public enthousiasmé et amoureux.

 

Les multiples facettes et l’extraordinaire énergie de Saleh Sue

 

 

Une tout autre ambiance s’installe après l’entracte. À la place de la sérénité tamisée des plages californiennes, on retrouve une atmosphère plus orageuse et oppressante qui nous vient de Belgique. Installée parmi les spectateurs avec sa guitare acoustique et éclairée telle une toile de Rembrandt, la chanteuse-compositrice flamande de 35 ans, entame son show avec la balade « Break » de son album Rarities (2012). À l’instar de son compatriote, Stromae, Selah Sue lutte aussi contre la dépression, sujet qu’elle évoque dans ses chansons et sur scène.

 

Dès la deuxième chanson, elle change complètement de décor, d’habits, d’éclairage et de musique. Des extraits d’actualité, projetés sur les écrans qui encadrent la scène, introduisent la chanson « This World ». Selah Sue entre en scène, habillée d’un sweat argenté avec la capuche cachant la moitié de son visage, pour nous exprimer avec urgence la terreur et la répulsion que lui inspire le monde. Sa voix légèrement brisée et puissante, ainsi que sa présence sur scène évoquent celle d’une Cindy Lauper augmentée d’une bonne dose de noirceur et d’énergie furieuse. Mélangeant hip-hop, rap, électro, soul, R&B, Selah Sue trouve toujours le moyen le plus efficace pour exprimer ses émotions complexes et visiblement douloureuses, comme quand elle rappant ces paroles : « Where did I go wrong cause I’m lonely and I die from behind all the fake smiles…»

 

 

Adressant le public montreusien en français, Selah Sue remercie d’une voix veloutée le Montreux Jazz de l’accueillir pour la quatrième fois, exprime son « incroyable reconnaissance » au public et à son équipe et évoque le début de sa carrière « un soir, il y a quinze ans, dans mon peignoir, j’ai écrit une chanson. » Née en 1989 à Louvain, Selah Sue, de son vrai nom Sanne Putseys, est fille d’une infirmière en gériatrie et d’un comptable. Souffrant de phobie sociale, d’anxiété et de dépression, elle a été mise sous antidépresseurs à 18 ans, un traitement qu’elle suivra pendant quatorze ans. C’est cette période qui lui inspire, en 2011, le tube « Raggamuffin » qu’elle interprète ce soir devant une salle comble et soutenante. « Je connais ses albums, mais sa puissance en live est incroyable, » chuchote à voix haute un spectateur allemand à son voisin en marcel blanc, qui hoche la tête.

 

 

Elle fait ensuite un clin d’œil au public francophone avec la chanson « Harley Davidson » que Serge Gainsbourg a écrit pour Brigitte Bardot en 1967, avant de revenir à ses moutons avec « Together. » Ce tube de 2015 (il paraît sur l’album Reason) est aussi intrigant sur le plan sonore que visuel, tant sa voix, son énergie et sa chorographie sont en phase. Reprenant son souffle, elle introduit l’émouvante et mélancolique ballade « Twice a Day » qui suit : « Mes concerts montrent ma personnalité, à la fois explosive et douce. La noirceur et le désespoir forment une grande partie de ma vie et il s’agit tout le temps de trouver l’équilibre. Il me paraît important de montrer aussi ces aspects difficiles de la vie. »

 

 

Les spectateurs applaudissent au rythme de l’entraînant « I Won’t Go For More » et Selah Sue s’aventurera à inciter le public à chanter le refrain avec elle, une tentative qui se solde par un succès mitigé. Elle enchaîne immédiatement avec un autre tube de son album Reason, « Alone. » Soulagés à ne pas devoir chanter, les spectateurs agitent vigoureusement leurs bras, parfois aux dépens de leurs voisins non avertis. Le prochain titre, « When It All Falls Down » est consacré à la dépression, tout comme les autres titres de son nouvel album Persona, paru en 2023. « All The Way Down » est facilement la chanson la plus puissante de la soirée, tant l’interprétation de Seleh Sue est intense et son abandon total. Un superbe solo de guitare lui permet d’humidifier ses cordes vocales après cette remarquable performance.

 

L’artiste belge introduit la prochaine chanson « Pills » avec un délicieux lapsus en français. Parlant de l’importance de l’équilibre mental, elle dit : « Il s’agit de trouver ma balance. Toutes mes chansons parlent de ma balance. Mais maintenant ça va bien. » La première partie de « Pills » parle des antidépresseurs et la deuxième partie d’ecstasy, une narration admirablement traduite en musique. Elle terminera ce spectacle varié, mais toujours honnête et puissant, avec un énergique et bousculant « Piece Of Mind. » Un coup de pêche d’enfer !

Visuels : ©Marc Ducrest ©Thea Moser ©Francesca Jennings