À l’occasion de la sortie de son double album intitulé Solo Game, co produit par Sullivan Fortner et Cécile McLorin Salvant et en amont d’un concert d’exception annoncé au New Morning le 3 décembre prochain, nous avons rencontré l’immense pianiste Sullivan Fortner pour parler de sa musique, de ses inspirations et de ses projets.
Quand avez-vous su que vous alliez consacrer votre vie à la musique ?
(Rires) Quelle façon de démarrer ! Je ne pense pas avoir vraiment pris cette décision et je ne sais toujours pas si je veux consacrer ma vie à la musique. Je joue de la musique depuis l’âge de 4 ou 5 ans. D’un point de vue professionnel, j’ai surtout commencé par le gospel. J’avais environ 8 ans. Puis j’ai commencé à jouer du jazz et j’ai donné mon premier concert à l’âge de 14 ans. Mais au départ, je voulais être médecin.
Peut-être que c’est la musique qui vous a choisi ?
Quoi que Dieu m’ait donné, la musique m’a permis de côtoyer des gens vraiment cool et de jouer avec de merveilleux musiciens. J’en suis très reconnaissant. Donc que la musique m’ait choisi ou non, je suis reconnaissant pour chaque moment où j’ai la chance de jouer.
Selon vous, qu’est-ce que votre musique devrait apporter à votre public ?
Je voudrais que ma musique inspire les gens, qu’elle les aide à oublier leurs problèmes, qu’elle leur donne le courage nécessaire pour les affronter. Je vois la musique et l’improvisation dans le jazz comme la résolution constante de problèmes. J’essaie de me mettre dans ces situations, où je suis face à un obstacle et j’essaie de trouver la meilleure façon de m’en sortir.
Y a-t-il des artistes, des albums ou des styles musicaux qui ont influencé votre approche du jazz ?
Avec Cécile McLorin Salvant, nous écoutons beaucoup de classique, Mahler, Messiaen, Bach, Debussy, Rachmaninoff. Nous adorons les opéras de Puccini. Récemment, nous avons écouté Madame Butterfly et La Bohème. J’écoute aussi beaucoup de flamenco, Tomatito par exemple. En ce qui concerne les musiciens de jazz, Charlie Parker et Bud Powell sont constamment dans mes oreilles. Ayant été élevé à l’église, le gospel est bien sûr présent, le R&B, la musique soul, un peu de blues. J’adore le blues. Mon père jouait constamment du Stevie Wonder au piano, j’en écoute beaucoup mais aussi Earth Wind and Fire, Marvin Gaye, Barry White, Anita Baker, Whitney Houston, Michael Jackson… et quelques artistes underground, des gens comme MF Doom et Georgia Anne Muldrow, il y en a tellement… j’écoute tout le monde.
Le double CD Solo Game sort aujourd’hui en France, pourriez-vous nous présenter votre nouvel album ?
C’est un double album et sur chaque CD, on retrouve 9 titres, donc 18 titres en tout. Cela peut sembler long mais ça ne l’est pas vraiment car certains morceaux durent 20 secondes et d’autres presque 10 minutes. Le 3 décembre prochain je serai au New Morning pour le présenter en live.
Les neuf premiers titres sont acoustiques, avec principalement des standards et des reprises. Ils font partie de l’album produit par Fred Hersch que j’avais fait en juin 2022. Fred Hersch est un ancien professeur et un mentor. Donc quand il vous propose de produire un album, vous dites oui. Cela fait longtemps que je voulais le faire. J’ai donc fait appel à lui et à James Farber, célèbre producteur de jazz et ingénieur. J’ai installé les micros dans le studio, nous y avons passé cinq heures et nous avons enregistré 30 titres. Tout s’est fait en une seule prise. « Raw Sullivan Fortner », authentique.
Les neuf autres titres, principalement des compositions et des improvisations, sont un peu plus électroniques avec une ambiance très différente mais avec un concept similaire. C’était au départ un projet « pandémique », né d’une frustration. Cécile McLorin Salvant m’avait dit d’aller au studio, de m’enfermer pendant une semaine et de trouver quelque chose. Et c’est ce que j’ai fait. La majorité de l’album est donc constituée d’improvisations qui se sont développées en morceaux, puis nous avons ajouté des effets sonores. Jack DeBoe a réalisé le mixage. Et voilà, l’album est là.
Avez-vous une anecdote à nous raconter sur l’album ?
Pour l’enregistrement, je suis allé au studio et j’ai improvisé d’une traite sans me rendre compte du temps qui passait. J’ai dû passer 7 heures d’affilée sans manger ni boire. J’étais dans un flow complet. C’était hilarant, très amusant. J’avais une impression de liberté incroyable.
Que se passe-t-il dans votre tête lorsque vous jouez ?
Cela dépend, il y a des moments où c’est très cinématographique, je vois des personnages, j’ai un film en technicolor dans ma tête et d’autres fois, je me noie dans la mer de la mélodie et j’attrape ce que je peux pour pouvoir respirer.
Quels sont vos projets ?
J’ai 3 nouveaux albums. Le premier enregistré au studio en juillet dernier, une semaine au Village Vanguard avec Peter Washington (basse) et Marcus Gilmore (batterie). Le prochain sera avec Steve McCurry puis en décembre Tyron Allen (basse) & Kayvon Gordon (batterie), ce sera une extension de la partie Game d’une certaine manière. Avec de l’électronique. J’écris également pour un album choral, que je voudrais faire l’année prochaine. Il y a des choses qui se préparent.
Visuel : (c) Pochette Album
Sullivan Fortner
Solo Game
Sortie d’album le 17 novembre 2023
En concert au New Morning le 3 décembre 2023