« Poetic ways », quand la poésie rencontre le jazz

Poésie lyrique

Ce sont cinq amis musiciens qui jouent ensemble sur scène et créent une expérience en live dans l’instant. . C’est de la « poésie lyrique », un moment organique où le public se sent à la même hauteur que les musiciens dans la transmission des émotions. Pas d’album, pas de projet figé, pas d’esthétique musicale proclamée. Chaque concert s’adapte à la scène où il a lieu et provoque la surprise. Le phénomène Poetic ways se construit dans le partage avec le public. Sensibilité aux mots, sensibilité au monde, les langages se mélangent, la musique et les mots. « La poésie est une clameur. Elle doit être entendue comme la musique », chantait Léo Ferré.

Ce soir, on y est, on entend les phrases du saxophone de Raphaël Imbert, les lignes mélodiques délicates du piano de Pierre-François Blanchard et les mots de Celia Kameni qui rend hommage à Ferré, mais aussi à Brel, Baudelaire, ainsi que des chants afro-américains traditionnels. Anne Paceo à la batterie et Pierre Fenichel à la contrebasse donnent le rythme. Le concert commence par « He got the whole world », un « negro-spiritual » de la première moitié du 20e siècle, que Nina Simone a chanté. Chaque mot est pensé, pesé, prononcé avec conviction par voix sincère et profonde de Celia Kemami.

Le jazz engagé pour la liberté

Entre tradition et modernité, Poetic Ways sculpte une matière ancienne pour la transformer en une création d’aujourd’hui. Le jazz comme transmission, le jazz militant, le jazz qui rassemble. Nous sommes le 14 juillet, Raphaël Imbert égrène quelques notes de la Marseillaise et le public chantonne. En ce soir de fête nationale, dans un contexte politique français tumultueux, il est à la fois puissant et apaisant de traverser ces émotions tous ensemble. Passion, tendresse et sarcasme. Humour aussi, lorsque Raphaël Imbert se met à souffler à la fois dans la clarinette et le saxophone, tel un enfant improvisant un numéro de cirque . Un son de saxophone expressif et puissant qui nous rappelle que le jazz est aussi une musique de fanfare. On reconnaît des airs d’avant-garde, de free jazz. Tout en contraste. Des tempos lents et des sons doux qui nous guident vers l’introspection avec les chants afro-américains. Des morceaux entraînants aussi avec des tonalités plus féroces où l’on ressent le groove, au sens propre du terme, c’est-à-dire le « sillon » en anglais, ou aller au fond de la note, dans le temps. Soudainement, un magnifique a cappella de Celia Kameni qui nous impressionne. Unités rythmiques et liberté se côtoient. Les barres de mesure sont abattues. Des airs de Albert Ayler, pionnier du free jazz, à la conquête d’une nouvelle étoile dans un élan de liberté .

Dernières notes de « Ain’t got no/ I got life », hymne à la liberté en hommage à Nina Simone, et les premiers éclats de rire du feu d’artifice résonnent sur la baie de Juan. L’enchaînement et le déchaînement sont parfaits.

Hommage à ceux qui nous manquent, que ce soit Brel ou Ferré, Sonny Rollins, John Coltrane, Nina Simone, ce concert nous a laissé un écho qui nous rappelle les mots d’un magnifique texte de Leo Ferré, anarchiste et poète engagé.