Monty Alexander, légendaire pianiste de jazz, était en trio sur la scène du Nice Jazz Festival, ce jeudi 22 août. Du boogie woogie, du blues, du swing traditionnel, des chansons pop de Bob Marley, mais surtout, de la joie !
C’est un voyage dans le temps. Retour aux années 1960-70 entre New York et Los Angeles, villes où la longue carrière de Monty Alexander commença. On se croirait dans un petit club de jazz intimiste à NYC. Boogie-woogie et swing : Monty pose le décor. Il fait partie de la cour des grands, des légendes même. Âgé de 80 ans, il est toujours ce petit monsieur au sourire à la Louis Armstrong – dont la rencontre a marqué sa vie – qui honore à chaque concert le miracle de pouvoir transmettre de la joie à travers la musique.
Place aux jeunes qui maîtrisent parfaitement le swing à l’ancienne, le musicien s’entoure de la jeune génération pour célébrer son dernier album « D-Day », anniversaire du débarquement et de la naissance de Monty le 06 juin 1944. Luke Sellick (contrebasse) et Jason Brown (batterie) tiennent solidement la rythmique. Monty utilise le piano comme un orchestre à lui tout seul. Accords très riches, des blocks chords (accords plaqués), on y entend un peu du Count Basie Orchestra. Ce sont les notes de la mélodie qui guident l’harmonie et c’est grâce à cela que la musique de Monty Alexander chante. On y reconnaît quelques-unes de ses influences : le phrasé mélodieux et le swing d’Ahmad Jamal, le jeu relevé de Wynton Kellly, l’audace de Miles Davis.
Né en Jamaïque, Monty joue « à l’oreille » et est doué. Autodidacte, il n’apprend nullement la théorie de la musique avec la sévérité d’un enseignement trop rigoureux, mais approche le jazz dans sa forme la plus originelle, l’écoute. Il ne lit pas la musique, il reproduit ce qu’il entend, et il prend un plaisir fou à jouer. C’est ce qu’il nous transmet. Medium tempo, il lance les premières notes de « no woman no cry » en posant les accords à la main gauche dans une rythmique aux airs de reggae et aux influences caribéennes. Puis il enrichit les notes du thème avec des couleurs harmoniques plus « jazz », y ajoutant des neuvièmes et des altérations, et il nous emporte en nous montrant que le jazz peut encore être au service de la musique populaire. Chanté par Bob Marley, le titre provient d’une expression jamaïcaine, « no woman, nuh cry » qui en créole jamaïcain signifie : « femme, ne pleure pas » (et non « pas de femme, pas de larmes »). On ne pleure pas de tristesse ce soir, mais d’émotion. Puis le trio revient à l’essentiel, au blues. Le contrebassiste lance les premières basses d’un blues en fa et Monty joue si humblement cette musique qui lui est si familière. Un blues originel construit en 12 mesures. C’est beau ; c’est comme un film en noir et blanc avec des grands acteurs à l’ancienne, on imagine la rencontre en 1962 entre Frank Sinatra et Monty Alexander à New York, alors âgé de 18 ans seulement.
Les larmes viennent au cœur quand on entend « Smile » de Chaplin. « Smile » c’est la chanson finale du film Les Temps Modernes, lorsque le gamin et la gamine s’en vont vers un nouvel espoir. C’est exactement ce que l’on ressent à la fin du concert, de l’espoir. Luke Sellick joue le thème à l’archet dans une très belle introduction, puis Monty pose les notes avec tant de délicatesse et de sensibilité. On pense à Chaplin – qu’il a sans doute un peu connu -, on pense à cet artiste, à la sensibilité d’un enfant qu’était Chaplin, à la joie qu’il transmettait derrière une profonde tristesse. Un peu comme Monty Alexander, à l’énergie de vie si joyeuse, qui touche à l’enfant intérieur de chacun et qui a dû traverser certaines épreuves de la vie comme nous le suggère son dernier album avec les titres « Restoration », « Agression », « River of peace ». La scène est belle, Monty regarde affectueusement son piano et les projecteurs dessinent des vapeurs de lumière comme des nuages de couleur. À la fin du concert, le groupe revient pour un ultime morceau sous l’insistance enthousiaste et les acclamations du public.
Ahmad Jamal disait : « Je ne fais pas de parano avec le mot « jazz », mais tout mot exige son exactitude. Deux inventions inédites marquent les États-Unis d’Amérique : l’art indien-américain et la musique classique américaine, autrement dit la musique afro-américaine. Je joue de la musique classique afro-américaine. » (in « La mort d’Ahmad Jamal, le pianiste américain qui inspira Miles Davis et Keith Jarrett », par Francis Marmande, Le Monde, 17 avril 2023). Monty Alexander est un des rares ambassadeurs vivants du jazz, c’est-à-dire, de la « musique classique afro-américaine ».
Visuels : © Hanna Kay