Quand la sensualité aérienne de la harpe de Sophye Soliveau se mélange à sa voix profonde dans une musique aux couleurs RnB, gospel et jazz : coup de cœur pour cette jeune artiste envoûtante qui était au New Morning ce 4 septembre.
La grande harpe de concert de Sophie Solyveau est au milieu de la scène. Il est peu commun de croiser une harpe dans un concert RnB, jazz and soul. Cet instrument attend celle qui sait le caresser pour le faire chanter. Harpiste et chanteuse, Sophye Soliveau fait partie de ces musiciennes à la voix aux plusieurs teintes. Choriste, cheffe de chœur, on y entend du velours, du doux, du rugueux, de la soul, du blues et du gospel. Du rythmique et du mélodique. Du groove et du phrasé.
Ce soir, c’est en sextet qu’elle présente son premier album Initiation. 3 femmes , 3 hommes, équilibre parfait. Basse, harpe, batterie, et 3 choristes. Sophye Soliveau rayonne dans la pénombre de la salle, irradie d’une énergie particulière aux airs mystiques. Ses tatouages naturels sur les pommettes créent l’illusion : on hésite entre cicatrices et maquillage gravés sur ce visage aux traits fins. Les pieds ancrés dans le sol, sa voix à l’état brut au timbre feutré fait résonner des notes longues telle une incantation. « Focus your mind » nous murmure-t-elle répétitivement dans l’écho des trémolos des cordes pincées de sa grande harpe diatonique. Riffs (motifs) répétitifs à la basse, des mouvements de notes dans des tonalités parallèles, on se laisse emporter par cette musique organique guidée par le chant du blues. « Respire » enchaîne-t-elle, sous le titre « Breathe » de son dernier album. Interlude à la pulsation lente qui nous apaise. On se réveille, on vire psychédélique et on se croit dans un show de jazz fusion à la Mahavishnu Orchestra (célèbre groupe jazz rock psychédélique des années 70 fondé par le guitariste John McLaughin). À nouveau changement de décor, Sophye Soliveau tient des notes aiguës longtemps, comme des cris, puis d’une voix basse, demande une lumière dramatique pour un moment dramatique. Absurde ou drame ? On hésite. C’est cette tension qui nous porte, entre retenue et accélération, gémissements et pulsations. C’est grâce à l’opposition des forces que la musique groove et nous donne envie de danser.
Les « ghosts notes » sont des notes en jazz que l’on ne joue pas mais que l’on suggère par l’intention rythmique. Comme un corps que l’on ne montre pas mais que l’on devine. La présence par l’absence. C’est là tout le jeu du groove sensuel que maîtrise à merveille Sophye Soliveau. La harpe se prête au jeu et se laisse faire avec des capacités expressives étonnantes lorsque sa maîtresse arpège des accords en pinçant les cordes avec volupté, ou tape les cordes, transformant la caisse de résonance en une percussion.
De formation classique, Sophye Soliveau s’incline tantôt avec respect devant cet instrument imposant qui semble la dominer parfois, puis le dompte avec une technique virtuose au son de musiques afro-américaines qu’elle porte au fond de son âme. On ne peut s’empêcher de penser à Alice Coltrane, veuve du saxophoniste légendaire John Coltrane, dont le piano était le premier amour, qui a appris la harpe tardivement et l’a célébrée dans un jazz aux consonances hindouistes et spirituelles. Les influences d’Erykah Badu ou le scat de Bobby Mc Ferrin créent un mélange détonant. Sophye Soliveau est-elle apparue par hasard ? Elle laisse planer le mystère. Odeur d’encens, dernier morceau, on aurait aimé en savoir plus, qu’elle nous raconte son histoire. On attend la suite, on a envie de la connaître mieux. Elle semble missionnée, engagée, messagère entre le ciel et la terre, comme le décrivait le poète Lamartine au XIXème qui évoquait la puissance de la harpe : « Ah ! sur tes cordes attendries / Toute âme humaine a son accent / La terre fume quand tu pries / Quand tu chantes, le ciel descend ! »
Photo : © GE