Le 4 août, avant la soirée finale du festival de Crest qui a offert à la gagnante du concours, Julia Richard, la première partie d’André Manoukian à l’espace Soubeyran, Eric Seva et Rabih Abou-Khalil nous ont envoûtés par leur musique métissée.
Eric Seva nous a proposé, pour cette avant-dernière soirée de festival, un projet âgé de trois ans, « mother of pearl »… sauf que le covid est passé par là. L’album n’a pu être que peu joué jusqu’à présent, et c’est bien dommage. Inspiré par l’album « Summit » de Piazzolla et Gerry Mulligan, comme l’indique le morceau « Mitmus » dont le titre en est l’anagramme, le concert commence avec des accents de tango argentin. L’accordéon, joué par Daniel Mille, accompagne en contre-chant les saxophones soprano et baryton d’Eric Seva. La formation est complétée par Alfio Origlio au piano et Fender Rhodes, Christophe Wallemme à la contrebasse et l’incroyable Zaza Desiderio à la batterie et aux percussions. Au milieu d’un solo des plus virtuoses, il glisse une citation taquine de la Marseillaise. La deuxième partie de la soirée confirmera décidément l’excellence des percussionnistes de cette édition du festival.
Eric Seva nous livre des compositions douces, des « ballades intérieures », pour reprendre ses termes, comme « Hope in blue« , « Ilha Grande » ou « travel day » qui cherche à évoquer le temps passé à réfléchir. L’accordéon et le saxophone dialoguent dans une complicité réjouissante pour le public, à partir de trames sonores plus ou moins oniriques. Créateur de mélodies comme d’ambiances inventives, nous souhaitons à ce projet une longue vie sur scène…
Oudiste libanais, Rabih Abou-Khalil était entouré de l’excellent violoniste Mateusz Smoczinski, du violoncelliste Krysztof Lenczowski, du batteur Jarrod Cagwin et de la superbe chanteuse Elina Duni, qui marie des mélodies issues du folklore oriental et balkanique avec des accents soul et jazz. Les instrumentistes, quasiment toujours à l’unisson (excepté lorsque le violoncelle tenait un ostinato en pizz sur une durée assez longue, ce qui ne doit pas être évident), accompagnaient la mise en musique de poèmes français. « J’aurais pu les chanter moi-même », plaisante Rabih, « mais je ne rentrais pas dans la robe ». Elina Duni portait en effet une sublime robe violette, toujours moins sublime que sa voix. Après « La dernière feuille » de Théophile Gautier et « Moi je vis à côté » de Charles Ducros écrit à cinq temps, morceau durant lequel nous avons pu admirer l’agilité du violoniste, c’est au tour d’Arthur Rimbaud d’être interprété avec son poème « Le Mal », sur un rythme de boléro. Elina Duni chante tout cela d’une voix cristalline, aigüe et hypnotique. Ses improvisations marquent sa musicalité et sa tessiture impressionnante.
« Puisqu’il est tard, on peut passer à la partie pornographique, maintenant », dit Rabih : en effet, la poésie française fut très souvent érotique. Pour « Nous dormirons ensemble » de Louis Aragon, l’oudiste nous offre donc une musique sautillante, en majeur, et on lui pardonne vite de prendre plusieurs minutes pour s’accorder entre chaque morceau. « Il faut toujours faire attention quand on achète quelque chose chez les Arabes », nous dit-il, « au début, c’était bien accordé ! ». Lorsque l’humour et l’esprit s’ajoutent à l’art, on ne peut que passer un bon moment.
Visuel : (c) pochette de l’album d’Eric Seva, « mother of pearl »