En clôture du Tremplin Jazz d’Avignon, l’immense star du saxophone Émile Parisien s’est emparée de la belle scène du Cloître des Carmes pour nous livrer une musique où la beauté se souffle dans les expérimentations démentes d’un sextet parfait.
Cette fois-ci, c’est vraiment fini. Samedi 5 août au soir, le Cloître des Carmes, qui joue comme depuis 31 ans les prolongations du Festival d’Avignon, s’endort jusqu’en juin 2024. Le 3 et le 4 août se tenait le Tremplin Jazz, qui permet de déceler les talents de demain. En trois décennies, la compétition est devenue un point de rencontre des jazz européens les plus pointus. Cette année, c’est le duo de pianos augmentés Cosmic Key qui a remporté le concours. Il fera la première partie du concert de clôture 2024, tout comme l’élégant Matthias Van Den Brande Trio, qui se produisait samedi soir.
La nuit est désormais bien tombée sur le cloître dont les gargouilles aux mines patibulaires se teintent de couleurs, roses, rouges, vertes, violette… Émile Parisien se présente en sextet pour nous jouer une grande partie de l’un de ses derniers albums, Louise. Tous les musiciens présents sur scènes sont des icônes du jazz contemporain : Roberto Negro au piano, Manu Codjia à la guitare (électrique), Yoann Loustalot à la trompette, Florent Nisse à la contrebasse et Gautier Garrigue à la batterie.
Émile Parisien n’arrête pas en ce moment. On le retrouve en compagnie de son partenaire de jeu Vincent Peirani, Ballaké Sissoko, Vincent Segal, dans Les Égarés, un projet somptueux aux allures de voyage. En mai, il a sorti un autre album, Les Métanuits (avec justement Roberto Negro), une adaptation pour piano et saxophone de Métamorphoses nocturnes de György Ligeti.
Le concert avignonnais s’ouvre sur le premier titre de l’album Louise. Ensuite, l’ordre changera. On entendra Jojo, un hommage à Joachim Kühn, Memento, un morceau écrit pour la maman d’Émile, Il giorno della Civeta, Madagascar et en rappel Prayer for Peace, qui pourrait vraiment ramener la paix sur Terre si les guerriers prenaient la peine d’écouter son lento somptueux.
Si on vous livre cette liste à la Prévert, c’est que l’ensemble fait unité chez Émile Parisien qui ne cesse de s’entourer des gens qu’il aime. Cela donne un jazz où le regard, l’écoute et le corps sont mis à contribution. On aura vu Émile Parisien courir sur place après son saxophone alto, et Roberto Negro, sur Memento, jouer du piano avec le coude.
Alors, on sourit en les regardant jouer, souvent. On est bouche bée comme des enfants devant la dose d’exigeantes subtilités que le groupe 100% masculin nous offre. C’est souvent sensible à en pleurer. Surtout quand Manu Codjia sert des boucles aux allures futuristes. Quand Yoann Loustalot pousse loin le souffle pour nous tripoter l’échine. Quand Gautier Garrigue dans Jojo rappelle que la batterie peut être subtile et mélodique. Ou quand Florent Nisse à la contrebasse témoigne d’une dextérité libre.
Les structures des morceaux sont très étonnantes. Elles jouent le jeu du jazz avec ses temps d’unisson et de solo mais autrement. Le sextet s’amuse à flirter avec la dissonance sans chercher l’arythmie. C’est toujours super chic et pourtant très complexe, très original. Émile Parisien s’amuse avec les sons et les textures pour amener son saxophone à sonner comme une clarinette, dans des ouvertures de notes se déployant dans des expansions qui ne crispent jamais. Superbe.
Prix du public : Hugo Diaz Quartet.
Prix de composition : Emanuel Van Mieghem ( Mojo Jojo).
Prix de soliste : Simon Riou et Sebastian Sarasa du duo A+B
Prix de groupe (couronné par un enregistrement au studio La Buissonne et une première partie lors de la prochaine édition de l’Avignon Jazz Festival : le duo Cosmic Key.
Visuel : ©ABN