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Avec Victor Ray et Paloma Faith, le storytelling au sommet au Montreux Jazz Festival

par Hannah Starman
13.07.2024

Vendredi 12 juillet, la salle du Casino affiche complet pour un concert 100 % british, riche en contraste et en émotion. Entre le ravissement attachant du chanteur Victor Ray et la fureur auto-dérisoire de la rockeuse Paloma Faith, le « good boy » et la « bad woman » comblent le public montreusien avec un spectacle authentique et puissant.

Victor Ray entre en scène vêtu d’une doudoune sans manches et tout sourire. Sa voix chaude et enveloppante se répand dans la salle comble et dès les premières mesures de « It Only Cost Everything », le public est conquis par ce grand gaillard gentil de 24 ans. « C’est de la folie ! Je suis à Montreux ! » Ray s’exclame pour la première fois de la soirée (il le fera à intervalles réguliers jusqu’à la fin) : « Je ne sais pas si vous vous rendez compte d’où je viens. Jusqu’à maintenant je chantais aux pigeons. »

 

De Picadilly Circus au Montreux Jazz, en passant par TikTok

 

Né en Ouganda et élevé à Newcastle, Victor Ray a commencé à jouer dans les rues de Londres pour financer ses études de musique. Il s’est fait connaître en publiant des vidéos sur TikTok où ses performances de busking à Piccadilly Circus lui ont fait gagner 3 millions d’abonnés. Il a été repéré et propulsé dans une autre vie, mais le succès ne l’a pas changé : « Je serai toujours le même, même avec mon nom gravé dans le Hall of Fame », nous rassure-t-il dans sa prochaine chanson. On est prêt à le croire, tant sa confiance est sereine et son engagement avec le public, fluide. Jouer dans la rue lui ont visiblement appris une résilience vocale et humaine qui accompagnent son ascension fulgurante.

 

« Halfway There », « Sink or Swim », « A Little Less Lonely » sont autant de chansons autobiographiques de cet auteur-compositeur-interprète qui se livre avec une timidité désarmante de jeune homme. « C’est un peu gênant, s’excuse-t-il, mais beaucoup de ces chansons parlent de la même fille. » A en croire ses textes, Victor Ray vit ses amitiés tout aussi intensément. « Like The Moon » est une chanson dédiée à « un ami en difficulté mentale » et il nous confie qu’il a écrit « Off Balance » à la suite d’une douloureuse rupture amicale qui a « brisé ses fondations ».

 

L’émotion est palpable dans sa voix quand des centaines de lumières de téléphone s’allument pour « Falling Into Place » et ne fait que s’accentuer au travers la séquence qui suit. « Je viens d’un monde cassé et solitaire et c’est merveilleux de pouvoir grandir et rebondir grâce aux relations aux autres », confie-t-il en introduction de son dernier single « Lose Myself ». Si cette balade met en valeur la sensualité grave de son timbre, « Comfortable » démontre que Ray est tout aussi confortable dans le registre aigu. Le jeune homme que les spectatrices assises rêvent en gendre et celles dansant debout en petit copain, fond même les cœurs les plus endurcis quand il reprend la parole.

 

 

« Papa nous a quittés pour refaire sa vie avec une autre femme et j’ai un demi-frère que je connais à peine. J’ai écrit cette chanson pour lui et j’y ai mis des mots que j’aurais aimé entendre de mon père. » Applaudissements et cris de soutien accompagnent l’introduction à la guitare de « Popcorn And a Smoothie ». Victor Ray clôt ce voyage musical intime avec deux chansons emblématiques : « Stay For a While » et « Hollow », son premier single, « celui que je chantais aux pigeons ».

 

La rage créatrice et l’humour salutaire de Paloma Faith

 

Après l’entracte, un tout autre storytelling nous attend : celui d’une star de rock « en pleine crise de nerfs » et c’est Paloma Faith qui le dit. La chanson d’ouverture, « Stone Cold Sober », son premier single de 2009, en donne le premier aperçu. La rockeuse blonde, vêtue d’une minirobe et gants en latex noir – il ne manquait que la cravache pour parfaire sa tenue de dominatrice –, est clairement d’humeur de dogue. Ce qui ne peut que nous enchanter, car, connaissant l’animal, le show n’en sera que meilleur. « Bonsoir, Montreux », résonne sa voix inimitable.

 

 

Elle enchaîne avec « Can’t Rely on You, » un morceau funk-soul avec des rythmes en boucle et des voix gutturales. Après une tentative avortée d’imiter des positions sexuelles avec le concours d’une vocaliste visiblement consciente des limites de ses obligations contractuelles, le public découvre par la même occasion le rire de Paloma Faith, un son à mi-chemin entre le ricanement d’hyène et celui d’une Arielle Dombasle aux « Grosses Têtes ».

 

Sans plus attendre, Paloma Faith, flanquée de deux vocalistes et un band majoritairement féminin, joue un tube après l’autre, tel un TGV en rase campagne. « Enjoy Yourself », « Crybaby, » et « I Am Enough » sont tous des titres récents, paru sur son album The Glorification of Sadness (2024), que son autrice ne tardera pas à introduire avec un aparté féministe. « J’ai écrit les chansons à l’issue d’une relation de dix ans avec le père de mes deux enfants. » Paloma Faith introduit ainsi le sujet qui semble marquer tout son travail musical depuis, avant de dénoncer les idées patriarcales et ceux et celles qui les perpétuent. « Les femmes doivent se serrer les coudes », plaide-t-elle avec ferveur avant d’ajouter : « Il faut arrêter d’être gentille, cela ne m’a menée nulle part. Je suis toujours célibataire ! »

 

 

« Hate When You’re Happy », écrite pour son « bel ex franco-algérien qui a la témérité d’être toujours aussi beau », description qu’elle accompagne de son rire incomparable. L’irritation et la colère qu’elle injecte dans la chanson y donnent une énergie explosive et engendrent une petite pensée pour le beau gosse qui l’a échappé belle. Mais tout de suite après et comme pour nous montrer son côté plus attachant, Faith interprète « Already Broken, » une balade mélancolique sortie tout droit des années 1980 et chantée sur un registre grave et velouté.

 

Sa voix de mezzo étrange se déploie dans toute sa puissance (y compris dans les très aigus) dans son ode au pouvoir féminin, « God in a Dress ». Ses cheveux blonds au vent artificiel (« J’ai chaud, pas vous ? ») elle se lance dans « Let It Ride » avant de nous offrir encore quelques réflexions poignantes sur le divorce : « On entend les émissions sur toutes ces femmes ravies de se retrouver célibataires. Mais une séparation, c’est toujours de la merde. Si tu restes avec lui, c’est de la merde que tu connais et si tu pars, c’est de la merde inconnue. Mais comme j’aime le changement, je me confronte à la nouvelle merde. »

 

 

Cet interlude lui sert d’introduction de la personne à qui elle rendra superbement hommage ce soir. « On m’a demandé de faire un classique du jazz et j’ai décidé de chanter un classique plus récent et plus pertinent pour nous. » Quand les premières mesures de « Back to Black » retentissent dans la salle du Casino, on pourrait entendre l’épingle tomber.  Sa reprise recrée à la perfection déchirante la voix enfumée de l’icône britannique. Morte en 2011 à 27 ans, Amy Winehouse n’a jamais joué au Montreux Jazz. Plus d’un spectateur s’essuie une larme.

 

Le reste du show déroulera des vieux tubes dansants et pop, parmi lesquels « Upside Down » et « Changing ». Dans son introduction tordante, Paloma s’excuse pour ces chansons « tout à fait inappropriées pour un club de jazz » avant de poursuivre avec une lucidité autodérisoire qui force le respect : « Je ne souhaite offenser personne, mais je suis parfois offensée moi-même, parce que je ne peux pas croire que j’écris des trucs comme ça, alors que j’étais élevée avec de la musique exquise. Ce que je suis devenue me dévaste. Mais heureusement pour moi, nous vivons dans un monde où les gens n’apprécient plus de la bonne musique. »

 

Elle finira avec son plus grand tube que les spectateurs chantent en chœur avec elle, « Only Love Can Hurt Like This », mais pas sans envoyer une pique à Masego (qui se produisait à Montreux la veille) avant : « Il a traité tout le monde de vieux comme s’il avait 19 ans, alors qu’il en a 31. Les femmes s’améliorent avec l’âge, ce qui n’est pas du tout le cas chez les hommes. Prouvez-moi le contraire, salauds ! » Un sacré personnage.

Visuels : © Anna Francesca © Thea Moser