Alfredo Rodriguez et Kenny Garrett revisitent le jazz traditionnel et innovent au Nice Jazz festival : Jazz is not dead !

Hommage aux musiques latines

Ce soir, après l’apéro dinatoire de la chanteuse américaine Stella Cole reprenant en première partie les grands standards de jazz, c’est le pianiste Alfredo Rodriguez qui entre en scène. Musique du corps, musique de la liberté, les motifs polyrythmiques qu’il répète complexifiés après chaque cycle rythmique, au tempo de plus en plus rapide font monter l’énergie. Il y a du suspens, de l’action puis l’explosion. Alfredo Rodriguez maîtrise tout aussi bien la culture de la musique classique, que le sens du rythme et la mélodie. Il utilise sa technique pianistique sophistiquée classique au service de l’improvisation dans l’instant et de l’envie de faire danser grâce au jazz et aux musiques populaires latines. Tantôt percussif, tantôt lent et suave lorsqu’ il joue des ballades écoutant le son de ses longues notes se disperser dans le silence, accompagné par la voix soul de la chanteuse Alana Sinkëy. Il crée une œuvre d’art très colorée, jaillissante, pleine de vie, inspirée des temps anciens mais parfaitement renouvelée. « Les idées me font parfois penser aux graines trouvées sous les glaciers après des millénaires, qui redeviennent fécondes dès qu’elles sont rendues à l’air libre et à la lumière, et se remettent à vivre, à s’épanouir et à triompher », disait le célèbre Romain Gary dans Les Enchanteurs, ayant passé une partie de son enfance à Nice . C’est exactement le message d’Alfredo Rodriguez dans son nouvel album Coral Way qu’il présente ce soir en nous livrant, grâce à une énergie vitale contagieuse, une mosaïque des musiques latines comme la salsa , la bachata, la pop, la timba cubaine (mélange de salsa cubaine, de funk, de jazz-rock et de soul ). C’est pimenté, acide et rythmé puis doux parfois dans des mélodies qui chantent aussi la nostalgie. S’ajoutent des moments oniriques de piano solo aux ostinatos (motif musical répétitif) dans un mouvement perpétuel, baladant ses doigts des notes aiguës aux graves. On en redemande, les sourires se dessinent les visages et les gens debout dansent. Applaudissements, rires, bras levés, et changement de scène, Kenny Garrett se prépare. Le temps pour le public d’aller se chercher un verre.

Du hardbop au hiphop

Le Nice Jazz festival est le plus ancien festival de jazz au monde, la première édition date de 1948 avec Louis Armstrong et Django Reinhardt. A partir de 1971, il a lieu tous les ans face à un public initié qui voit défiler les plus grandes stars du jazz : Herbie Hancock, Charlie Mingus, Dizzie Gillepsie et tant d’autres. L’objectif est de relier les générations, de faire la transition entre le jazz traditionnel et une musique plus moderne, tout en restant très reconnaissant des grands noms de l’histoire du jazz. C’est dans cette vision que s’inscrit Kenny Garrett. Sounds from the Ancestors est son dernier album. Légendaire saxophoniste ayant joué ,entre autres, avec Art Blakey, Miles Davis, Freddie Hubbard. Dès le premier morceau , on est sur le ring comme dans un combat de boxe. Upbeat, downbeat, swing, R&B, soul, Kenny fait monter la température. Il esquive, se décale, envoie des phrases intenses au saxophone comme des uppercuts, chasse les notes, fais un pas en arrière, puis revient sur le devant de la scène. Il va même jusqu’à squatter avec sa voix, comme les rappeurs « à l’ancienne », c’est le « Sounds from the ancestors ». On lit son histoire, on comprend d’où il vient. C’est sa vie qu’il nous raconte, cette rage de vivre qui a construit le jazz, musique de rue, musique populaire dont Détroit représentait un haut lieu dans les années 1960, notamment grâce au hardbop, plus rythmique que le bop. . C’est un dialogue entre lui-même et son saxophone alto. Parfois, on a l’impression qu’il saisit son saxophone, comme on dompte un chien sauvage., il passe de motifs plutôt « free jazz » , à une musique plus accessible, plus funk, pop, puis dédicace un morceau à Wayne Shorter. Le groupe est impressionnant. Kenny Garrett est un passeur de la tradition du jazz à la nouvelle génération et il s’entoure de jeunes musiciens talentueux qui lui apportent une couleur hip hop. Le très jeune contrebassiste Jeremiah Edwards, né à Détroit comme Kenny, fait vibrer sa contrebasse dans un groove profond, alliance entre son sens organique du rythme et des lignes de basses mélodiques. Il répond parfaitement aux phrases jazz-funk que lance Kenny Garrett. Cela nous fait penser au trompettiste Roy Hargrove, qui avait pour grand talent de mélanger tous les genres, du RnB au bebop et hardbop. Le concert se termine avec tout le public dansant debout dans un élan de liberté. Kenny au bord de la scène, acclamant ses fans, ne s’arrêtant jamais, lançant des phrases mélodiques et rythmées, on aurait presque pensé qu’il allait sauté dans le public à la manière d’une rockstar. Un public très soutenant, respectueux de la musique, enthousiaste, jeune mais aussi plus âgé. Un public uni par le besoin de rêver, de liberté, d’aimer et de danser. Jazz is not dead.

Concert d’Alfredo Rodriguez : Alfredo Rodriguez (Claviers, Piano) Alana Sinkëy (Voix) Michael Olivera (Batterie) Yarel Hernandez (Basse) Carlos Sarduyn (Trompette)

Concert de Kenny Garrett : Kenny Garrett (Saxophone) Melvis Santa (Vocaux) Rudy Bird (Percussions) Mark Whitfield Jr (Tambours) Keith Brown (Piano) Jeremiah Edwards (Basse) Thierry Girard (Ingénieur du son) Léa Ginibre (Rep Loop)