« 1 voix, 6 cordes » On a retrouvé Claude Nougaro au Off d’Avignon 2024 !

Chez Nougaro

Cela ressemble à un home concert comme on dit à « Nougayork » (chanson de Nougaro sur New York), un concert à la maison, chaque soir dans cette salle du théâtre de l’Arrache-cœur. Chez Nougaro, c’est surtout ceux qui y habitent qui comptent  plus que le décor. Les murs sont noirs pour faire ressortir la lumière, le visage d’un taureau dessiné au crayon nous regarde, Autoportrait de Nougaro par Nougaro , lui qui était fils de baryton, autodidacte et grand amateur de littérature.

Du flamenco à la musique brésilienne, l’artiste toulousain a voyagé, s’est inspiré de rythmes et de cultures différentes pour partager son humanité. On entre dans le théâtre, on attend impatiemment les histoires et on s’assoit « à côté de la cheminée ». Yvan Cujious au chant nous accueille d’une voix chaleureuse. « Ma cheminée est un théâtre, Où l’on ne joue qu’un seul auteur, le feu, J’ai pris ma place devant l’âtre ». Les six cordes de guitare de Louis Winsberg résonnent. Couleurs et énergie du flamenco. Louis est un musicien que l’on connaît bien dans le groupe star Sixun (avec, entre autres, Paco Sery) et dans le flamenco (album Jaleo). Son jeu de guitare est incroyablement articulé et mélodieux. Autant intuitif que connaisseur des chemins harmoniques, il utilise sa guitare expressive pour accompagner Yvan Cujious en toute délicatesse, ponctuant les mots prononcés avec précision et persuasion. Le parcours d’Yvan est étonnant. À l’origine professeur de physique et musicien, il devient ami de Nougaro qui le défie un jour de donner une leçon de physique en alexandrins. Exprimée ainsi, la physique devient séduisante… ! Il nous décrit ensuite avec nostalgie et joie en même temps leurs échanges et nous lit le début d’une lettre pleine d’humour que Claude lui a écrite lorsqu’il était en cure de repos : « Professeur de Physique, Retour à la lettre Pi / Retour à mon physique, Thalassothérapie ». Beaucoup de respect et de bienveillance entre Yvan et Louis, aux cœurs accordés et aux notes sensibles qui emmènent notre imagination au cinéma. Paroles de Nougaro, musique de Michel Legrand, Yvan chante avec une exigence permanente de sincérité et on imagine la belle « Pour te dire que je t’aime rien à faire, je flanche, J’ai du cœur, mais pas d’estomac, C’est pourquoi je prends ma revanche, Sur l’écran noir de mes nuits blanches, Où je me fais du cinéma ». Un concert sans tabou. Yvan se lève et interpelle Jésus « Ne réponds pas quand ton père te cause, tu te rends compte des soucis que tu me causes ! », on sourit et on a l’impression qu’il est là, Nougaro, dans le public et qu’il rit avec nous. C’est rassurant. Après les Don Juan, « coureurs impénitents », il se met à pleuvoir . « La pluie fait des claquettes sur le trottoir à minuit (…) « Salut, pourquoi tu pleures ?» Et la pluie me répond «Parce que je t’aime, salaud » ». Louis pince répétitivement le sol de sa guitare et on les entend les gouttes de pluie.

Un témoignage touchant

Puis on s’interroge sur les relations hommes/femmes, sur le rôle de l’art. Nougaro cherchait du sens à la vie, il a sublimé ses doutes et ses moments de tristesse dans ses créations. « J’aime la vie quand elle rime à quelque chose ». On a les larmes aux yeux avec Cécile ma fille « Elle voulait un enfant, Moi je n’en voulais pas, Mais il lui fut pourtant facile, Avec ses arguments, De te faire un papa, Cécile ma fille», et ça fait réfléchir sur le rapport à la paternité et sur ce que veut dire donner la vie . Ce soir, Yvan et Louis insufflent un nouveau souffle de vie aux chansons de Nougaro en se les réappropriant et en croisant leurs histoires personnelles avec des anecdotes inédites de vie de Claude Nougaro. Chanteur, musicien, Nougaro avait du mal à se définir. Ce soir, on comprend que les frontières s’effacent et qu’ il était tout simplement un poète qui faisait swinguer sa poésie.

Les confidences se terminent en célébrant la liberté de la musique, des émotions, du jazz et de la java, Yvan prend sa trompette et enchaîne dialoguant avec la guitare de Louis, les chansons connues de Nougaro. On se croirait dans un club de jazz. Performance finale avec « À bout de souffle » sur un standard de jazz « Blue Rondo à la Turk » de Dave Brubeck, très difficile à articuler et à chanter. Défi relevé !

C’est sincère et c’est touchant. Provoquant et délicat. Intime et Universel. C’est plus qu’un hommage, c’est un témoignage. D’une amitié partagée, d’histoires de vies racontées, d’amours égarés. On est ému parce que les mots de Nougaro savent dire ce que les sentiments dictent, parce qu’on devine son courage à exposer ses faiblesses d’humain sur scène dans ses chansons. On a rêvé la vie une heure et demi.