Jacques présente « Vidéochose » au CentQuatre

Sous la halle du CentreQuatre, il était une fois la vie. Sur une panoplie d’écrans, s’expriment et s’exposent des images de bulles organiques, semblables à des formes élémentaires de vie. Casquette à l’endroit et (fausse) coupe au carré, Jacques s’empare de l’espace visuel et sonore, à coups de percussions brutistes et à grand renfort d’images saturées. Ses compositions incluent dans leur musicalité des sons ordinaires et des bruits du réel : les crépitements d’un feu succèdent à une langue de serpent avant de laisser place à des gargarismes et des sonorités aquatiques. Le tout accompagné de vidéos et de choses. Car c’est bien le nom du concert de ce soir : Vidéochose. Une expérimentation électronique et esthétique, un laboratoire où interagissent sons du quotidien et particules graphiques, un clip en direct où fusionne les sensations visuelles et auditives.

Sous une lampe de bureau, Jacques s’affaire sur son synthé tandis que crépitent des néons, défilent des images de rails, retentissent les mots de « portes ouvertes » caractéristiques des digicodes d’immeuble. Mais la vie se faufile entre les images et les bruits urbains : des bancs de poissons traversent les écrans, des méduses déambulent en suspension, un cœur bat et une respiration s’accélère. Avec cette chirurgie rythmique, la tension est brutalement musicale dans cette opération à coeur débridé. C’est comme si la scène elle-même devenait vivante sous nos yeux et sous nos pieds. Dans ce tourbillon, Jacques nous présente des nouveaux morceaux : un qui a eu le droit à 86 versions, un autre intitulé « Moi » qui parle de chacun de nous.

Soixante verbes, soixante mots, pour composer des phrases au hasard. Ne vous y trompez pas, l’expérience est loin d’être absurde. L’aléatoire a bien des choses à dire sur notre monde : « Le pétrole énerve la jeunesse », « le sexe représente la vérité », « l’enfer chérit tout le monde »… Et en conclusion de cette succession d’idées suggestives, « Tout est magnifique » s’affiche sur chacun des écrans. Cela fait maintenant dix ans que ce morceau éponyme est sorti, offrant à Jacques ses premiers succès. Et aujourd’hui, il nous confie qu’il est chaud comme si c’était le début, que la vie est plus magique que ce qu’il pensait. Qu’il y a dans cette vie, une sorte de magie cachée.

Jacques compose avec ce qu’il a, chaque objet qui lui passe sous la main recèle une pépite sonore : une éponge, une agrafeuse, une grenouille guiro. Car c’est dans la vie de tous les jours que se niche l’inspiration de cet artiste qui fait feu de tout bois, qui fait de tout son une musique. Pour compléter ce champ lexical élémentaire, il pioche dans des films, des vidéos YouTube, des bibliothèques sonores pour composer des fresques frénétiques qui entretiennent un dialogue continu avec les vidéos projetées. En mêlant des « bip » de scanner de code barre et d’acceptation de paiement, de la viande grillée et du plastique fondu, la société de consommation est synthétisée dans des pixels musicaux. Et en toile de fond, les armes, l’argent et le pétrole cassent des tasses et détruisent la nature sur des airs d’aboiements et de coups de feux.

Après cette croisière expérimentale, Jacques poursuit son voyage en reprenant quelques-uns des morceaux de son album L’importance du vide, sorti en février 2024. Avec un remix du morceau « Qu’en avez-vous fait ? », l’enfance, les kaplas et les tétines sont passées au vocodeur. « Ça se voit » est martelé à coups de poings, de marteaux et de pieds, imprimant le refrain entêtant dans nos tympans. Et finalement, l’incroyable « Kick ce soit » célèbre une liesse collective tandis que sont projetés d’innombrables visages aussi différents les uns que les autres. Puisque « Moi, ou ce qui fait office de moi, N’est qu’une version de toi », n’oublions pas que « La vie s’installe dans des corps, Dont la forme n’est qu’accessoire »… Alors que le set touche à sa fin, Jacques revient avec une sorte de casquette à facette pour illuminer une dernière fois la grande halle. L’occasion de remercier l’équipe dont le public fait partie et de féliciter tous ceux qui lui ont envoyé une lettre motivation. Car, le concert n’étant pas complet, pourquoi ne pas offrir quelques places à des gens qu’on ne connaît pas en échange d’une lettre de motivation ?