Bon Iver — SABLE, fABLE — Éloge de la gaieté

Regard rétrospectif

Bon Iver gravite essentiellement autour de Justin Vernon, auteur-compositeur-interprète originaire d’Eau Claire, Wisconsin. Son approche folk teintée d’électronique a marqué les esprits dès son premier album, « For Emma, Forever Ago », qui connut un succès retentissant. On y découvre notamment « Skinny Love », devenu un hit mondial grâce à la remarquable reprise de Birdy.
Rapidement, Bon Iver s’est transformé en formation complète réunissant Justin Vernon (voix, guitare), Sean Carey (batterie, claviers, chant), Michael Lewis (chant, guitare baryton, violon, saxophone), Matthew McCaughan (batterie, basse, chant), Andrew Fitzpatrick (guitare, claviers, chant) et Jenn Wasner (guitare, claviers, chant). Cette évolution a enrichi les compositions du groupe et leurs trop rares apparitions scéniques.
Le groupe s’est aventuré dans divers territoires musicaux au cours de ses quatre premiers albums. Depuis « For Emma, Forever Ago » qui avait forgé son identité folk, il a développé son orchestration dans « Bon Iver », intégrant cordes, percussions abondantes et saxophone de Colin Stetson. En 2016 paraît « 22, A Million », où l’électronique du « Messina », instrument créé spécialement pour l’occasion, joue un rôle prépondérant. En 2019 suit « i,i », souvent considéré comme leur meilleur album. Mais peut-on réellement hiérarchiser leurs œuvres ?

SABLE

Après cinq années de silence, le groupe réapparaît avec un EP avec trois morceaux, « SABLE », renouant avec l’atmosphère folk de ses débuts. « Speyside », magnifique balade aux résonances irlandaises, portée par la guitare et l’alto, en est l’illustration parfaite. L’enregistrement stéréophonique de la guitare crée une impression saisissante de proximité. Les paroles, autobiographiques et directes, révèlent une vulnérabilité rare : « J’ai vraiment été dans une telle spirale de violence », confie-t-il.
On y trouve également « Awards Season », composition de Greg Leisz où la voix de Justin, simplement accompagnée de nappes d’orgue, de chœurs et de saxophone, se déploie dans toute son émotion et sa profondeur. « Je suis un sable / et chérie, nous sommes la fable » établit la transition vers le second album.
« Ce trio de chansons représente un délestage de l’une des périodes les plus éprouvantes de la vie de Vernon. Il fut un temps, pas si lointain, où Vernon dissimulait intentionnellement son visage. Ici, les stores sont ouverts », explique le site officiel de Bon Iver.
Les collaborateurs habituels ont contribué à cet album, apportant pedal steel (Greg Leisz), alto (Rob Moose), saxophone (Michael Lewis) et trompette (Trever Hagen).

fABLE

Ce premier disque, inclus dans « SABLE, fABLE », pourrait laisser présager un second album folk. Ce serait mal connaître nos artistes. Ils nous entraînent dans une ambiance enjouée imprégnée de R&B électronique et de pop assumée. L’ensemble du disque baigne dans une fraîcheur bienvenue pour nos oreilles, évoquant par moments les sonorités de Sly and The Family Stone, groupe de R&B avant-gardiste des années 60.
Le premier morceau, « Short Story », d’une durée de 1:56 dont 42 secondes d’introduction, avec une voix rappelant celle de Peter Gabriel, annonce d’emblée ce changement de direction.
L’influence de Jim-E Stack, collaborateur sur cet album, se fait clairement sentir, tout comme celle de Danielle Haim du célèbre trio HAIM, présente lors des sessions au studio April Base de Vernon dans le Wisconsin. La diversité des influences musicales de ces deux artistes produit un résultat remarquable, notamment sur le duo « If Only I Could Wait », splendide ballade électronique et point culminant de l’album, qui suscite une émotion comparable à celle du « Don’t Give Up » de Gabriel et Bush.
Dans « There’s A Rhythm », l’auteur s’interroge : « Puis-je ressentir autrement ? » en questionnant l’impact de sa personnalité sur sa capacité d’évolution. Les leçons peuvent-elles réellement nous faire progresser ? Cette composition, avec ses inflexions irlandaises, offre probablement la plus belle mélodie de l’album.

À bientôt

Justin Vernon atteint dans ce disque une maturité musicale où la fusion de ses diverses influences et une orchestration soignée (le mariage de la pedal steel et du R&B s’avère particulièrement réussi) lui confèrent une identité unique et inclassable.
« Au revoir », court instrumental à l’orgue qui clôt l’album, sonne davantage comme un « À bientôt ».
Une mention particulière mérite d’être accordée aux pochettes ornant chacun de ses albums, véritables œuvres d’art à part entière.