Voilà dix ans qu’ils n’avaient pas foulé des pieds la scène du Trianon, et c’est dans une salle impatiente puis bouillante que les Feu! Chatterton signent un retour triomphal et présentent, en partie, leur nouvel album sur scène. Avec ce projet, le groupe poursuit son odyssée rock’n’roll poétique, son ode à la vie.
Les rockers burlesques du Feu! Chatterton nous enchantent depuis le milieu des années 2010. Après deux premiers albums, Ici le jour (a tout enseveli) en 2015 puis L’oiseleur en 2018, les cinq garçons ont fini de conquérir le cœur (et les oreilles) de leur large public avec Palais d’argile en 2021 ainsi que par l’interprétation de « L’Affiche rouge », le 21 février 2024, lors de la cérémonie de panthéonisation de Missak et Mélinée Manouchian. Ce 12 septembre, ils dévoilent la suite de leur épopée et nous emmènent nous promener dans leur Labyrinthe.
Plus qu’une présentation d’album, cette soirée a tout d’un concert de retrouvailles. Ou plutôt d’une nuit, tout est là, et le songe s’ouvre. La scène ressemble à une caverne/clairière avec un fond pierreux sur lequel s’amuse une scénographie lumineuse magistrale qui nous immergent. Les notes se distillent en joie et en douceur, incantées par ces drôles de druides et farfadets. Leurs cinq drôles de silhouettes, accompagnées de leurs batteries, micros sur pied, claviers et basses, frôlent la scène sous un tonnerre d’applaudissements. « Nous sommes le Feu! pour vous servir », dit Arthur Teboul en guise d’entame, mais il va sans dire que le feu, c’est à la salle qu’ils l’ont mis. À leur public, pour leurs retrouvailles, ils ont tout donné…
Renouant le lien, le groupe déborde de cette joie cruelle de retrouver la scène, au point pour le chanteur de finir par s’y jeter pour faire sous un tonnerre de batterie, un aller-retour porté la houle à bout de bras du public. La nuit, ils l’ont ouverte avec l’un de leur plus gros succès, « Compagnons », un son qui en plus de renfermer toute l’identité du groupe, un rythme lent qui se trémousse gentiment en se mêlant à un verbe pointu, sonne tout particulièrement en ce 10 septembre 2025 et cette période politique troublée. Des sons comme celui-ci, Feu! Chatterton a eu la grâce d’en écrire plusieurs dont « Écran total », « Un monde nouveau », et sur ce nouvel album, « Allons voir ». De véritables hymnes populaires, preuve du public en chœur.
Dans leurs tenues de dandys modernes, le groupe passe sous silence les titres de L’oiseleur mais électrise leur premier album, comme un hommage à cette salle qui les a entendus dix ans auparavant. On s’émeut d’entendre le dramatico-poétique « Côte Concorde » et l’inconsolablement festive « La Malinche » épouser les nouveaux venus que sont « Mon frère », « L’Étranger », ou encore « Monolithe ». On retrouve dans ce jeu de passe-passe entre des titres qui ont dix ans d’écart la beauté de l’ADN de cette musique mystique qui se pense dans une qualité de sons et de mots, qui meut la musique en un doux orage.
« Nous allons traverser cette nuit, ne vous inquiétez pas ; trouver une délivrance. La clarté qui point tout au bout, il faut la trouver ensemble ». Le groupe qui parait plus complice que jamais et ému au point que le porte-voix, Arthur Teboul, qui « d’habitude {se} débrouille pas trop mal pour les discours », met du temps à trouver son verbe et temporise, à plusieurs reprises, en gratitude et en déclarations d’amour. Ce nouvel album que le Feu! Chatterton livre ce 12 septembre, le chanteur en parle avec fébrilité, et comme une grossesse dont l’accouchement, soigneusement programmé, n’en est pas moins inquiétant.
Labyrinthe se distingue pas sa douceur et des mélodies enveloppantes ou grondantes sonnant comme des appels et des hommages. Sur scène, ces moments sont connectés. Épaules droites, coudes ramassés, buste solennel et yeux fermés, Arthur Teboul détacher les mots de ces doigts, et il déclame, « L’étranger » comme « L’Affiche rouge », quand il ne se désarticule pas, chuchotant tantôt au ras du sol, tantôt de tout son être étendu vers le ciel pour implorer la piéta. A moins que ce ne soit les êtres chers partis trop tôt et dont il est sûr que la course recommence ailleurs. « Milles vagues »… Cette ballade-là, accompagnée les pleurs d’une basse et du saxophone de Oan Kim, est pour le producteur Jean-Philippe Allard. Elle dit tout ce que submerge, tout ce qui se cache, toute la poésie que l’on se doit de déceler dans « Le carrousel » qu’est la vie. Autre titre, presque comptine, où l’on entend ce que l’on veut de l’enfance, des amours fanées qui nous appartiennent ou que l’on regarde.
Pour nous transporter, le groupe continue de s’autoriser l’appétit de la longueur avec des morceaux touchant parfois les six minutes ; une latitude qui leur permet sur scène de déployer une scénographie en lumières et en plans, une mise en tableau en somme où les personnages qui y jouent ont une âme. Le plus spectaculaire est certainement « Ce qu’on devient », une fresque où la lune monte et croît dans un ciel bleu-vert appuie le texte d’une pure beauté. Le groupe se laisse traverser tout entier pour transcender une salle mystique, qui « les mains pleines ou les mains jointes », d’amour comme d’applause, se laisse guider par ces chants dans « Le Labyrinthe », de musique comme d’existence.
Photo de Labyrinthe de Feu! Chatterton
Photo cover : @misterfifou / artwork : @impekhabe