Le 9 février 2024, la Philharmonie de Paris accueille le festival Présences. Le Chœur et l’Orchestre Philharmonique de Radio France interprètent, sous la direction de Brad Lubman, la création de Michèle Reverdy, Crimen Amoris et The Desert Music de Steve Reich. Le quatuor à corde Tana, joue Aheym de Bryce Dessner.
Le concert débute par un hommage au chef d’orchestre Seiji Ozawa qui s’est éteint le 6 février 2024. Le festival Présences 2024 se déroule à Paris du 6 au 11 février. Cette 34ᵉ édition est consacrée à Steve Reich (né à New-York le 3 10 1936). Steve Reich est le père du mouvement minimaliste qui vise dans les années 70 à revenir à la musique tonale, mais sans retourner à une vision purement occidentale ou romantique. Il vise la simplicité, la sobriété et s’inspire de traditions séculaires africaines, indiennes, orientales. Ce soir, l’orchestre philharmonique de Radio France est dirigé par le chef New Yorkais Brad Lubman. Il a fondé en 2008 l’Ensemble Signal qui se consacre aux œuvres des minimalistes et de Steve Reich en particulier.
Le concert débute, parfaite introduction au minimalisme, par «Clapping Music». Huit percussionnistes applaudissent pendant cinq minutes sur un rythme apparemment immuable. Mais s’ils débutent tous ensemble, des décalages subtils, d’une seule croche, se succèdent jusqu’au retour final à l’unisson.
Le quatuor Tana est résolument orienté vers la création contemporaine. Il va interpréter Aheym, une œuvre créée par Bryce Dessner en 2009. Aheym, retour à la maison en Yiddish, est dédié à sa grand-mère immigrée de Russie jusqu’à New York. L’influence du courant minimaliste est là, le quatuor débute par une note unique répétée qui va se moduler peu à peu. Le rythme est inquiétant, traduisant peut-être la souffrance du migrant. Une mélodie apparaît au violoncelle, seul, reprise par les violons après quelques cordes pincées, délicates. C’est la douceur du foyer retrouvé. Puis le thème se répète, lancinant avant une fin précipitée, douloureuse, comme un retour des périls. Cette œuvre poignante a été interprétée par le quatuor Tana avec beaucoup de sensibilité et de virtuosité.
«Or le plus beau d’entre tous ses mauvais anges avait seize ans sous sa couronne de fleurs». La création de Michèle Reverdy, Crimen Amoris est une adaptation musicale du poème de Paul Verlaine, écrit en prison en 1873 et dédié à Rimbaud. Le chœur et l’orchestre épousent la poésie. L’orchestration est riche, inventive, toujours surprenante. L’œuvre débute par un bourdonnement croissant des cordes rejointes par la batterie, le xylophone puis le chœur qui commence à déclamer le poème. Les violons, la flûte expriment la douceur. Quand «la fête autour se faisait plus folle», les accents de l’orchestre deviennent inquiétants, les cordes se déchaînent, furieuses. Lorsque «la torche tombe de sa main éployée», déclenchant l’incendie, la musique devient chaotique, les percussions menaçantes. L’atmosphère de violence, de crise sacrificielle est parfaitement rendue. Le héros va mourir, la musique devient calme, recueillie, comme une ébauche de requiem. Un affreux coup de tonnerre retentit suivi par un très beau moment : le chœur est accompagné par les seules contrebasses avant l’envolée finale et le dernier vers: «c’est la fête aux sept péchés ». Michèle Reverdy, présente dans la salle, nous a offert une très belle, très expressive création, une alliance réussie de la musique et de la poésie.
The Desert Music a été composé par Steve Reich en 1982-1983 d’après le poème de William Carlos Williams. Pour une œuvre minimaliste, l’orchestration est … maximaliste. Un entracte de quarante minutes a été nécessaire, le temps de l’installation particulièrement complexe de l’orchestre. Les deux xylophones et les deux glockenspiels sont au centre face au chef, ils vont imprimer le rythme. Mais il faut noter la présence de deux pianos (avec quatre pianistes) et de deux synthétiseurs. Steve Reich s’est inspiré des déserts du Sinaï, de Judée, de White Sands au Nouveau Mexique là où a été testée la première bombe atomique. L’œuvre comporte cinq mouvements qui sont joués d’un seul tenant.
Les pianos, les Glockenspiels, les cordes se succèdent, le rythme s’installe. Un rythme lancinant, répétitif qui va captiver la salle. Il est porté par les xylophones et les glockenspiels créant une fausse monotonie, en perpétuelle variation. L’ambiance sonore est saisissante, à la fois fixe et mouvante, changeante par glissements successifs, au gré d’une orchestration complexe. Il s’en dégage une sensation d’infini, de dilatation de l’espace et du temps. L’auditeur peut se transporter sur une longue route traversant le désert. La puissance des chœurs est frappante, les mots du poème sont déclamés. La mélodie, la plénitude du chant des choristes s’élève au-dessus de la base rythmée, plus constante, de l’orchestre. Le mouvement minimaliste s’est inspiré de traditions musicales africaines et orientales. Le rythme peut devenir rapide, envoûtant, évoquant des danses africaines. Mais, lors des moments calmes, cette musique répétitive peut inciter à la méditation, et nous laisser imaginer un temple oriental. Ou nous rappeler à la réalité, lorsqu’un puissant grondement des cuivres pourrait être l’allusion à une explosion nucléaire. La musique se fait pianissimo et cette œuvre si particulière se termine dans l’apaisement. Une œuvre qui a suscité les applaudissements fournis du public.
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