Pour la 35ème édition, le 29 février 2024, le Festival des Inrocks a eu pour invités The Libertines, des ambassadeurs du rock anglais des années 2000. Le lendemain, le 1er mars, les concerts étaient hétéroclites : Lambrini Girls, Fat Dog, Gwendoline, Mary in the Junkyard, Bingo Fury et Rally. Bref, deux soirées intenses au Centquatre !
La grande salle du Centquatre est remplie et la foule attend avec impatience que le groupe se pointe. Le traumatisme est là : viendront-ils ou ne viendront-ils pas ? Même si tout le monde sait que les membres de the Libertines se sont bien calmés depuis les années 2000, l’annulation du concert des BabyShambles en 2008 en a marqué plus d’un (« J’t’encule ok ?! « ). Mais à 21h40, le groupe britannique débarque sur scène. Pete Doherty est bien là, accompagné par Carl Barât, John Hassall et Gary Powell.
Fondé en 1997, le groupe est aujourd’hui largement entré dans l’histoire de la musique. La grande aventure rock de notre poète damné ainsi que le duo aussi fusionnel que conflictuel (tradition rock héritée des Stones, des Beatles ou encore d’Oasis) a largement participé à la légende Libertines. Après une longue pause de près de dix ans, entrecoupée de retrouvailles brèves, c’est en 2014 que le groupe fait son grand comeback. Anthems for Doomed Youth sort en 2015 et ils sont aujourd’hui en tournée pour leur nouvel album All Quiet on The Eastern Esplanade qui sortira le 29 mars 2024.
Les voix iconiques de Pete et Carl résonnent enfin dans le 104 avec Up the Bracket. Sont chantés les classiques Don’t look back into the sun, Music when the lights go out, Heart of the matter mais aussi Shiver, Run Run Run ou encore Night of the Hunter. Dès la première chanson, un beau pogo se forme devant la scène : la magie opère encore et toujours ! Tout le monde chante et danse, la foule connaît les paroles. Le show est bien rôdé, bien huilé – c’est pas très punk, c’est pas très trash. Après bientôt 30 ans de concerts, tout est bien maîtrisé. Doherty est clean, les deux frères maudits sont réconciliés et la patience de Powell et Hassall a payé. Oui, c’est un peu plus straight age et peut-être un peu moins marrant, mais avions-nous vraiment envie de jouer au jeu malsain de « qu’est-ce qu’un rocker défoncé » ? Réjouissons-nous plutôt que leurs noms ne s’ajoutent à celui de leur amie Amy dans le club (pas très fermé) des 27…
Impossible de nier que le public était gagné d’avance, mais à qui n’avaient-ils pas manqué ? So you really Can’t stand them now ?
Le lendemain, c’était le tour de trois keupones – dont les deux leadeuses Lunny et Lilly Ava-Adore – d’enflammer la scène. Putain, qu’est-ce qu’on aime le punk quand c’est queer et féministe ! Dignes héritières musicales de Sleater-Kinney, Hole ou encore Bikini Kill, elles embrasent la scène. Elles ont la rage au cœur et sont 100% politiques. Oui, on est là pour la musique, mais pas que. Elles s’éloignent avec succès de certaines valeurs punks vieillissantes pour se réapproprier les nouveaux enjeux féministes : “This song is when you don’t know if you’re a boy or a girl or something in between !” et condamnent hardiment la transphobie avec un son comme Terf Wars. Puis, entre deux pogos majestueux, elles dénoncent l’omniprésence des violences sexuelles sur la scène musicale anglaise (et internationale) et hurlent cette injustice dans Boys in the band. Après un show complètement stupéfiant et juste avant d’entamer Craig David, Lunny nous demande “Do you want to go fucking mental ?”. Apparemment, la salle 400 du Centquatre a explosé à ce moment-là…
C’est le groupe de jazz-expérimental Bingo Fury qui se produit ensuite dans la salle 200. Le son est dissonant et franchement intéressant. C’est même un peu dada avec la chanson Unlistenning dont la fin rappelle la création du pianiste George Antheil dans le Ballet Mécanique. Vrai groupe de jazz, il y a sur scène un piano, une trompette, une batterie, une guitare et une basse. Mais l’élément inratable est la voix du leader Jack Ogborne. Gutturale et traînante, rappelant King Krule ou McGorvern, c’est un chant particulier et fascinant qui envahit le public. Peut-être pas le meilleur groupe live – le public n’est pas en furie – mais à coup sûr des musiciens d’excellence.
Que dire de Fat Dog ? Groupe londonien. Cinq membres. Une guitare, une basse, une batterie, un clavier, un saxophone. Une petite intro en français. Et puis ça part. Fat Dog est un melting-pot réussi de punk, de techno, de rock et de klezmer. C’est à la fois chaotique, complètement second degré et vraiment intense. Les paroles sont chantées en même temps que le chanteur, la foule danse avec passion. Et alors qu’on pense qu’ils sont déjà à l’apogée, on entend un « Round two motherfuckers ! ». Encore une fois, les pogos s’enchaînent jusqu’à la fin. Concert de rock ou rave-party ? Telle est la question. En tout cas, le King of the Slugs invective une dernière fois ses sujets avec un “now we go to war !” annonçant le climax du show.
Deuxième groupe français de la soirée après Rally, ils concluent la soirée du festival des Inrocks. Ils sont trois sur scène et on les devine à peine dans la pénombre. Si la danse est au rendez-vous, le public est aussi très attentif. En effet, c’est un groupe de rap plutôt engagé qui se produit sur scène : l’impression que La Femme et Achab ont brainstormé pour créer Gwendoline. Un écran géant surplombe la scène et des clips y sont projetés. Si pour un son comme Conspire cela permet d’exhiber des images profondément politiques, cela n’empêche pas une certaine ironie et un décalage entre le discours anti-capitaliste et ce choix de la facilité. En même temps, ce n’est pas facile de passer après les Lambrini Girls… Malgré tout, Gwendoline a réussi à produire une version live qui mélange rock et rap et qui fait bouger sur des textes en français aussi drôles qu’intelligents. Chapeau Gwendoline, nous on en a pas rien à foutre !