Le 24 Octobre 2023, au théâtre des Champs Élysées l’Orchestre national de France, interprète sous la direction de Cristian Macelaru, le concerto N°3 de Sergueï Rachmaninov, avec Evgeny Kissin au piano, et la Symphonie N°5 de Sergueï Prokofiev.
Deux œuvres majeures du répertoire russe du 20ème siècle sont jouées ce soir au Théâtre des Champs Élysées. Deux œuvres spectaculaires ! Le concerto N°3 de Rachmaninov (1873-1943) a été composé pendant l’été 1909 à Ivanovska, la maison de campagne familiale et créé à New York le 28 11 1909 avec le compositeur au piano. Cette œuvre est un trait d’union entre la campagne russe, les tourments de l’âme slave et l’enthousiasme américain. C’est aussi un concerto redouté pour ses difficultés techniques par tous les pianistes.
Sergueï Prokofiev (1891-1953) est rentré en URSS en 1936. Il y a été à la fois honoré et persécuté mais sa 5ème symphonie est une œuvre patriotique, guerrière, célébrant la victoire contre l’Allemagne. C’est une œuvre historique, créée le 13 Janvier 1945, le jour du franchissement de la Vistule par l’Armée Rouge, lui ouvrant la route vers Berlin.
Ce soir le Théâtre des Champs Élysées accueille des artistes célèbres. Cristian Macelaru est directeur de l’Orchestre national de France depuis 2020. Il le dirige avec dynamisme, énergie, lui insufflant son enthousiasme, son bonheur de jouer. Le pianiste Evgeny Kissin a été enfant prodige et mène une carrière internationale. Il chérit tout particulièrement le répertoire romantique et … Rachmaninov. Il va interpréter son troisième concerto avec une sensibilité touchante et une virtuosité époustouflante.
«Je ne pensais qu’à la sonorité. Je voulais chanter la mélodie au piano et lui trouver un accompagnement adéquat» écrivait Rachmaninov à propos du thème inaugural de son 1er mouvement. Effectivement, cette mélodie est très belle, toute simple, émouvante. Le toucher du pianiste est délicat, comme de velours. Le deuxième thème, introduit par l’orchestre est ample, romantique, donnant son souffle épique au concerto. Le soliste joue sur les contrastes entre les moments lents, sensuels et les accents tourmentés qui éclatent dans les graves. La cadence est époustouflante, le piano assène, martèle, devient percussion. Le chant de la flûte, doux, apaisant, va accompagner temporairement le piano. Lors de la coda l’orchestre et le piano reprennent le thème initial dans un moment d’une grande douceur. L’orchestre débute seul l’adagio, par une mélodie romantique, langoureuse. L’entrée du piano est fracassante, conduisant à de grands élans lyriques, à un déchaînement de passions. Le rôle du piano est prépondérant, il devient le deuxième orchestre, dans une ambiance sonore fascinante, si caractéristique de Rachmaninov. Après une transition tumultueuse, le troisième mouvement, paraît à la fois ludique et triomphal. Entre les moments impétueux et orageux, le jeu pianistique devient léger, malicieux. Un phénoménal crescendo termine ce concerto grandiose, spectaculaire, manifestement écrit pour conquérir le public américain. Le public parisien sera tout aussi séduit par l’interprétation d’Evgeny Kissin. Il sera longuement applaudi et nous offrira deux bis, une valse de Tchaïkovski et une de Chopin.
Avec Sviatoslav Richter, imaginons la scène au conservatoire Tchaïkovski de Moscou. «Lorsque Prokofiev est arrivé devant l’orchestre la lumière a paru couler sur lui. Il se tenait là comme un monument sur un piédestal». L’andante initiale débute avec les seules cordes dans le calme et la sérénité. Puis l’orchestre monte en puissance, Cristian Macelaru lui transmet toute son énergie. La musique est joyeuse, entraînante, elle célèbre la victoire. Les élans patriotiques, les accents martiaux se succèdent. Mais les roulements des tambours, les éclats des cymbales en témoignent, l’écho de la guerre n’est pas loin. La fin du premier mouvement est saisissante, toute la puissance de l’orchestre symphonique se déchaîne. L’allegro marcato est plus vif, plus léger. Il est surtout très rythmé. L’ambiance est festive, réjouissante, presque dansante grâce aux castagnettes et aux cordes pincées. Même si quelques traits plus violents de l’orchestre rappellent la proximité de la guerre. La clarinette est à l’honneur dans le 3ème mouvement, adagio. Elle chante une très belle mélodie douce et lyrique, accompagnée par les arabesques des cordes. On peut imaginer un chant d’amour à la patrie sauvée, même si de lourds accents rappellent la tragédie en cours. L’allegro final débute par la douceur des violoncelles. C’est un rondo joyeux, pétillant, presque insouciant. Ce moment de bonheur ne dure pas . La musique s’accélère, se précipite, les percussions interviennent lourdement. L’emballement devient chaotique, les dissonances tourmentées se multiplient. Cette symphonie à l’orchestration si riche se termine dans un orage guerrier.
Ce fut un concert mémorable, par le caractère spectaculaire des œuvres, le talent d’Evgeny Kissin, l’interprétation riche en couleurs de l’Orchestre national de France.
Visuel (c) : JMC