Le 29 juin dernier, les trompettistes Eric Le Lann et Robin Mansanti jouaient ensemble pour la première fois lors d’une soirée événement au Sunside. Avec Laurent Courthaliac au piano, Clément Daldosso à la contrebasse, Fabrice Moreau à la batterie et Camille Bertault au chant sur un titre, les musiciens ont rendu un vibrant hommage à Chet Baker. Retour sur deux sets envoûtants.
Ambiance feutrée et cosy au Sunside en cette belle soirée d’été. Tandis que le public s’engouffre dans le mythique club de jazz de la rue des Lombards et s’installe sur les petites chaises en bois, une lumière indigo envahit l’espace. Du fond de la salle, le bar s’anime, les boissons coulent à flot et l’on entend les glaçons s’entrechoquer dans les verres, rythmant les conversations alentours. Des rires épars ponctuent l’excitation de la soirée qui s’annonce. L’auditoire se retrouve alors plongé dans le noir et progressivement, les discussions s’étiolent pour laisser place à la musique. Hiératiques et concentrés, les musiciens se fraient un passage et montent sur scène, acclamés comme il se doit.
Dès les premières notes, le public se retrouve immergé dans une atmosphère chaleureuse et ouatée. Le piano, délicat et sensible, la contrebasse, élégante et grave, ainsi que le doux murmure des balais de la batterie créent un cocon musical où l’on se sent tout de suite bien.
Imprégné de la douceur mélancolique de son idole, Robin Mansanti démarre le premier set avec « My Foolish Heart ». Ce standard de jazz, composé en 1949 par Victor Young, dont les paroles sont signées Ned Washington, était à l’époque interprété par la chanteuse Martha Mears dans le film éponyme. En 2018, le réalisateur néerlandais Rolf van Eijk reprendra ce titre pour son propre film sur les derniers jours de Chet Baker à Amsterdam.
Quand Eric Le Lann, qui a partagé la scène avec l’icône de jazz disparue, saisit sa trompette et fait résonner ses notes si particulières sur ce titre, la magie opère immédiatement. Le public est happé par le jeu virtuose d’un trompettiste hors norme. Le son est à la fois clair, brillant, net mais aussi chaud, velouté et enveloppant. Avec son phrasé unique et son expressivité éclatante, c’est toute la salle qui vibre avec lui.
« How Deep is The Ocean » sera le deuxième morceau choisi. Titre composé en 1932 par Irving Berlin puis repris par toute la sphère jazz de Charlie Parker à Chet Baker et Paul Bley en passant par Billie Holiday, Stan Getz, Miles Davis, Coltrane ou encore Nat King Cole, ce standard incontournable ayant pour thème principal l’immensité de l’amour et la profondeur des émotions, offre autant de versions que de personnalités l’ayant exploré. Avec sa rythmique entraînante et ses plages d’improvisation grandioses, « How Deep is The Ocean » nous embarque ici dans un swing jubilatoire, où la voix de Robin Mansanti se mêle harmonieusement aux envolées lyriques de la trompette, aux notes bondissantes du piano, le tout soutenu par une section rythmique redoutable.
Suivront le savoureux « Just Friends » composé par John Klenner en 1931, « I Fall in Love Too Easily », ballade sentimentale dont les versions de Frank Sinatra (Anchors Aweigh, 1945) et Chet Baker prédominent dans l’inconscient collectif et puis l’excellent « Shifting Down », composé par le trompettiste Kenny Dorham, dont le style bebop très cadencé fera frétiller les plus récalcitrants.
Pour finir en beauté le premier set, Camille Bertault rejoindra alors le quintet sur scène et nous interprétera « You’ve changed », composé en 1952 par Carl Fischer (musique) et Bill Carey (paroles). Langueur et tempo ralenti seront de rigueur pour laisser une place de choix aux émotions. Âmes sensibles, ne pas s’abstenir.
Après une petite pause permettant aux artistes d’échanger avec leur public et de partager leur passion musicale, les revoilà sur scène avec notamment « Funk In Deep Freeze », « Milestones » ou encore « My Funny Valentine ». Les morceaux se suivent et l’auditoire se laisse bercer par le chant des instruments, par l’envoûtement de l’instant et la beauté des mélodies.
Une bien belle soirée de partage, d’amour du jazz et bien sûr un magnifique hommage rendu à une figure emblématique du cool jazz, disparue il y a maintenant 36 ans. 36 ans, c’est également l’âge de Robin Mansanti, dont la vocation de chanteur et de trompettiste, rappelons-le, est née quand il avait 17 ans, après avoir découvert une vidéo de Chet Baker en concert avec Michel Graillier et Riccardo Del Fra au Ronnie Scott’s de Londres.