Entre guerre et paix : le Musée de l’Armée présente la 31ème saison musicale des Invalides

En l’absence du général Henry de Medlege, le directeur du Musée de l’Armée, c’est son adjoint, Ludovic Abiven, qui prend la parole devant la presse réunie dans la majestueuse Salle Royale du Musée de l’Armée. Le nouveau directeur adjoint (nommé à ce poste en décembre 2023) se réjouit d’une excellente année 2023/24, marquée par une hausse de 20% de la fréquentation du Musée de l’Armée et le succès de l’exposition Duels. L’art du combat, visible jusqu’au 18 août. Christine Dana-Helfrich, conservatrice en cheffe du patrimoine et cheffe de la mission musique, procède à la présentation par cycles thématiques de la programmation 2024/25 de « l’une des dernières saisons de musée qui survit.»

Si les Invalides m’étaient contés : l’histoire d’une noble mission

Dans le cadre du cycle Si les Invalides m’étaient contés, commencé en 2020 pour commémorer le 350^ème anniversaire des Invalides, Dana-Helfrich introduit d’abord le concert du 28 avril 2025. Avec un programme pétri de pépites baroques, l’ensemble Les Talens lyriques y fait référence au crépuscule de la vie de Louis XIV, le fondateur de l’Hôtel royal des Invalides, érigé à partir de 1670 afin d’accueillir des militaires blessés, âgés ou inaptes à la guerre. Le 5 juin 2025 à la Cathédrale Saint-Louis, le prestigieux ensemble Organum présentera en concert la séquence la plus originale d’un des chefs-d’œuvre des réserves du musée de l’Armée : le graduel et antiphonaire de Saint-Louis des Invalides. Ce livre de chants liturgiques, datant de 1682, relié en cuir et doté de pièces métalliques et réalisé dans les ateliers des Invalides, sera exposé pendant le concert.

Une certaine idée de la France : général de Gaulle, la résistance et l’exile

S’inspirant de la phrase avec laquelle le général de Gaulle introduit ses Mémoires de guerre, le deuxième cycle, intitulé Une certaine idée de la France, est consacré à de Gaulle, à la fuite de quelque 1500 musiciens aux Etats-Unis entre 1933 et 1944 et à l’exil intérieur de ceux qui sont restés. Le 18 novembre 2024, Francis Huster lira des extraits de discours et de déclarations emblématiques du général de Gaulle, accompagné d’un florilège d’œuvres musicales allant de Saint-Saëns à Chostakovitch. Le 1 décembre 2024, on aura l’occasion de découvrir l’art des sonneurs de trompe, inscrit depuis 2020 au patrimoine immatériel de l’humanité de l’UNESCO et particulièrement utile le long de la ligne de démarcation pendant la Seconde guerre mondiale.

Le temps d’une soirée, le 27 janvier 2025, la mezzo-soprano Isabelle Druet incarnera, à travers un cabaret imaginaire de la France libre, « les femmes artistes qui se sont opposées à la barbarie nazie. » Le 16 décembre 2024, la violoncelliste franco-américaine Sonia Wieder-Atherton, accompagnée par le pianiste Alexander Paley (nous aurons l’occasion de voir son « interprétation incandescente » de Rameau le 7 avril 2025), jouera les chants juifs liturgiques (qu’elle a enregistrés en 1989), mais aussi Dutilleux, Bartok et Stravinski, faisant ainsi écho à la douleur et la nostalgie de la musique en exile. Le 12 décembre 2024 on entendra le dernier ouvrage inachevé de Bartok, le Concerto n°3, joué par Roustem Saïtkoulov, mais aussi la Suite élisabéthaine de Jacques Ibert, crée le 27 juillet 1942 dans un théâtre en plein air à l’initiative de la comtesse Lily Pastré, mécène, bienfaitrice et fondatrice du festival d’Aix-en-Provence. Pastré a caché de nombreux artistes juifs pendant la guerre et elle a légué une parcelle attenante à son château à Emmaüs. Le concert du 13 mars 2025 est consacré aux compositeurs qui ont fui aux Etats-Unis, parmi lesquels Stravinski et Milhaud, accueillis à New York par Nadia Boulanger et Kurt Weill, respectivement. Le Concerto n°2 de Milhaud nous sera restitué par le violoncelliste Aurélien Pascal, accompagné de l’Orchestre symphonique de la Garde républicaine.

Parmi les compositeurs qui ont fui l’Europe en guerre pour se réfugier aux Etats-Unis, il y a toute une génération de musiciens décomplexés qui composent pour Hollywood. Les 5 et 10 décembre 2024 sont consacrés à la musique de films, présentée à travers une sélection des plus célèbres airs pour chœur et orchestre de films hollywoodiens. Une place d’honneur de cette édition revient à Londres, la capitale de la résistance européenne. Le 23 janvier 2025, l’orchestre symphonique de la Garde républicaine et le violoniste bulgare Svetlin Roussev (« le seul capable de relever ce défi » selon Dana-Helfrich), restitueront le programme d’une grande soirée musicale, organisée le 4 avril 1943 à au Royal Albert Hall à Londres, avec Yehudi Menuhin au violon.

De nombreux artistes ont rejoint la résistance et le récital du 17 mars 2025 leur rend hommage, ainsi qu’au Front national des musiciens, organisation de résistance animée par Elsa Barraine. Parmi les actions menées par le FNM, Christine Dana-Helfrich rappelle la mise en musique des poèmes interdits (Aragon, Eluard et autres) et contrebande musicale, qui consistait à jouer devant les Allemands des fragments d’airs patriotiques insérés dans d’autres œuvres. Ainsi, Poulenc insère un passage de Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine dans la partition des Animaux modèles.

Pour sonder la profondeur de l’exil intérieur de ceux qui n’ont pas pu ou n’ont pas voulu fuir, Christine Dana-Helfrich nous propose le concert du 2 décembre 2024, consacré à Musik der Trauer (Concerto funèbre) de Karl Amadeus Harmann, compositeur allemand farouchement opposé au nazisme, et à l’œuvre de l’abbesse mystique et visionnaire du XIIème siècle, Hildegarde von Bingen. La violoniste Marianne Piketty créera à cette occasion la nouvelle œuvre de Philippe Hersant, Une vision d’Hildegarde. Le 6 février 2025, la Symphonie n°2 Voïna (Guerre) d’Elsa Barraine et Requiem pour la paix d’Henri Tomasi dédicacé « à tous les martyrs de la Résistance et à tous ceux qui sont morts pour la France » viennent clore avec éclat le cycle.

Esprit de Locarno : après une guerre dévastatrice, un fragile espoir de paix

Historienne passionnée, Christine Dana-Helfrich, introduit le cycle avec un aperçu historique des accords de Locarno, signés le 16 octobre 1925 à Locarno en Suisse. Les représentants de l’Allemagne, de la France, de la Belgique, du Royaume Uni, de l’Italie, de la Pologne et de la Tchécoslovaquie s’y engagent à assurer la sécurité collective en Europe et les frontières de l’Allemagne qui intègre la Société des nations. Le 3 avril 2025, le compositeur franco-suisse Karol Beffa nous offrira en création mondiale Locarno et le pianiste David Kadouch interprétera deux œuvres majeures de Beethoven : Fantasie et Concerto n°5 dit Empereur. Ce dernier était l’œuvre préféré de Saint-John Perse, rédacteur des accords de Locarno auprès d’Aristide Briand, nous explique le choix la directrice artistique. La Fantaisie comporte déjà une esquisse de « l’Ode de la joie » de la 9^ème symphonie, le futur hymne européen auquel songeait déjà le Comte Coudenhove-Kalergi, fondateur en 1926 à Vienne de l’Union paneuropéenne internationale.

Suite au carnage de la Grande guerre, certains compositeurs français, notamment Camille Saint-Saëns, ont rejeté en bloc la musique allemande. Approché par la Ligue nationale pour la défense de la musique française qui souhaite « condamner au silence l’Allemagne moderne pangermaniste » (notice reproduite dans Ravel, Lettres, écrits, entretiens, 1989), Ravel répond avec courage : « Il m’importe peu que M. Schönberg, par exemple, soit de nationalité autrichienne. Il n’en est pas moins un musicien de haute valeur, dont les recherches pleines d’intérêt ont eu une influence heureuse sur certains compositeurs alliés, et jusque chez nous. » Le concert du 19 mai 2025 célèbre ainsi le cabaret berlinois des années 1920 à travers des œuvres d’Arnold Schönberg (Pierrot Lunaire), Kurt Weil et Bertolt Brecht (Opéra de Quat’sous). Le 15 mai 2024, la violoniste Elsa Grether nous propose un programme étonnant et prometteur, mariant le Concerto pour violon et ensemble à vents de Weil, le Pacific 231 de Honegger, Salomé de Strauss, Poema Autunnale de Respighi, qui s’achève avec Kaddish et la Valse de Ravel.

Le concert du 12 juin 2025 réunira les œuvres de Beethoven (Coriolan ouverture), Debussy (Suite symphonique de Pelléas et Mélisande) et Strauss (Mort et Transfiguration) autour du roman initiatique en dix tomes Jean-Christophe de Romain Rolland qui a valu à son auteur le prix Nobel de littérature en 1915. Lambert Wilson incarnera le jeune héros Jean-Christophe Krafft, un brillant musicien qui franchit le Rhin pour découvrir la musique française. Ami de Stefan Zweig et de Richard Strauss, admirateur de Beethoven et pacifiste européen à une époque de nationalisme forcené, Romain Rolland se sent citoyen du monde et aspire à l’amitié entre les peuples.

Cycle produit par le CIC : vingt ans d’un partenariat fructueux

Le CIC, partenaire fidèle s’associe à la saison des Invalides avec « une étincelante programmation » produite et financé par ses soins, dès la soirée inaugurale du 10 octobre 2024, entièrement consacrée à Beethoven. La pianiste Mari Kodama, réputée pour ses remarquables interprétations de Beethoven, y jouera le Concerto n°1 en ut majeur. Le 7 novembre 2024, le célèbre ténor Roberto Alagna nous offrira une sélection des grands airs d’opéra italiens et des plus belles chansons napolitaines et siciliennes. Le concert du 26 novembre 2024 mettra en valeur le violoncelle à travers un répertoire imaginé par Roland Pidoux pour l’octuor de violoncelles Cello8, dirigé par son fils, Raphaël Pidoux. Le programme se fondant sur les transcriptions d’airs d’opéras sera réalisé avec le concours de la mezzo-soprano Marine Chagnon. Également partenaire des Victoires de la musique, le CIC fait bénéficier cette relation aux auditeurs de la saison musicale. Le 6 mars 2025, l’Orchestre de chambre de Mannheim sous la direction de Paul Meyer, avec Jean-Paul Gasparian au piano nous interpréteront un programme entièrement consacré à Mozart, notamment le Concerto pour piano n°9 et Concerto pour clarinette en la majeur. Le 10 avril 2025, nous aurons ainsi l’occasion d’entendre Karine Deshayes, considérée comme une des meilleures mezzo-sopranos de sa génération. Sacrée pour la troisième fois Artiste lyrique de l’année en 2020, Deshayes chantera les extraits des plus grands airs des opéras de Rossini. La saison musicale des Invalides 2024/2025 s’achèvera le 19 juin 2025 avec le concert surprise des révélations de la musique classique, notamment les Révélations soliste instrumental et Révélations artiste lyrique 2025. Une clôture en beauté d’un programme riche et original !