Les éditions Gremese viennent de publier un livre du critique de cinéma Enrico Giacovelli consacré à Édith Piaf sous-titré Certaines vies sont comme des chansons… Les dix chapitres qui le composent portent des titres de films. Ils s’ouvrent sur des vers de ses chansons.
Comment être sûr de la véracité des faits relatés dans cette biographie d’Édith Giovanna Gassion, plus connue sous son nom de scène, Édith Piaf (1915-1963) ? Ceux-ci peuvent-ils être garantis pour avoir été moult fois énoncés, colportés, publiés dans des centaines d’articles et des dizaines d’ouvrages ? Repris, consultés, compilés sans cesse jusqu’à aujourd’hui ? Méfiance! Sachant que l’entourage de la chanteuse put changer sans problème la date et le lieu de sa mort pour ne pas faire d’ombre à celle déjà ébruitée de Jean Cocteau ou être éclipsée par celle-ci, comment croire à ce qui relève d’une légende, d’un mythe ou d’une mystification, d’un conte pour enfants arrangeant tout le monde, à commencer par l’office de tourisme de la ville de Paris, suivant laquelle la Môme Piaf serait née sur les marches du 72 de la rue de Belleville ?
La gigantesque plaque qui a remplacé celle qui se trouvait à cette adresse il y a seulement quelques années (arrachée/chapardée peut-être par un fan de l’idole) paraît un peu trop grosse pour dire vrai. Qui plus est, l’inscription est pléonastique, affirmant que la chanteuse naquit «dans le plus grand dénuement ». Faut-il comprendre que la nouvelle-née ne portait pas encore sa robe noire à col Claudine ? Sa mère, Annette Giovanna Maillard, issue, affirme-t-on, d’une famille «circassienne d’origine berbère», devait monter la pente de la rue de Belleville pour prendre la rue des Pyrénées en direction de l’hôpital Tenon et non l’inverse. Que peut-on penser du passage concernant la période de l’Occupation ? Piaf a-t-elle collaboré ou non? Probablement pas plus qu’Arletty (que Giacovelli qualifie de «merveilleuse») qui s’afficha au bras d’un officier allemand ou Cocteau, ami du sculpteur nazi Arno Breker, grâce à qui Piaf fit ses débuts de comédienne en 1940, au côté de Paul Meurisse, dans Le Bel indifférent.
Le parcours qui conduisit à la gloire internationale une enfant misérable et chétive nous est conté avec brio. Quantité d’hommes aidèrent la jeune Édith, une fois son talent repéré. De son côté, elle en promut plus tard un grand nombre d’autres, ne se limitant pas à son rôle de chanteuse réaliste, mi-Fréhel, mi-Damia, mi-Mistinguett. Qui plus est, à l’ère des crooners genre Bing Crosby aux States ou Jean Sablon dans la France d’avant-guerre. Le paradoxe d’une chanteuse à voix à l’époque moderne, c.à.d. celle du microphone. Elle exerça par ses doubles dons une influence sur toute la variété française, au même titre que les agents et gens de métier Marguerite Monnot, Louis Leplée, Laure Jarny, Raymond Asso, Raoul Breton, Jacques Canetti qui l’avaient aidée ou promue. Cette partie du livre est pour nous la plus intéressante. Y défilent chanteurs, auteurs, compositeurs et amants de Piaf : Yves Montand, Jean-Louis Jaubert, John Garfield, Charles Aznavour, Marcel Cerdan, Eddie Constantine, André Pousse, Michel Emer, Jacques Pills (qu’elle épousa), Charles Dumont, Georges Moustaki, Théo Sarapo…
L’ouvrage est donc plaisant à lire, ne serait-ce que pour ses mots d’esprit. Citons-en quelques-uns pour donner une idée : «le fait que la petite Édith vive dans une maison de tolérance est intolérable pour le curé de Bernay (…) Il ne reste plus qu’à lui mettre en main une sébile pour mendier et à lui dire de raconter aux gens que son grand-père est mort au front pour la France. Il faut bien rentabiliser les guerres, non ? (…) tout est possible dans cet univers où s’enchevêtrent le sexe, les amours, la pauvreté, les guerres, l’alcool, les drogues et les arts (…) les premières chansons d’Édith parlent d’un monde où la morphine et la cocaïne incarnent à la fois la maladie et son remède (…) Faire les premiers pas dans la prostitution est facile et gratuit. En sortir a un prix (…) En province, on a toujours l’air d’un meurtrier, même si l’on n’a tué personne.» On voit que la vie de Piaf ressemble à un roman noir agrémenté d’humour surréaliste.
Visuel : pochoir sur un mur de Valence (Espagne) © Nicolas Villodre 2009.