Le magazine Diapason existe depuis 1956 et distribue une distinction appréciée dans le monde entier, le Diapason d’or de l’année, qui récompense les meilleurs enregistrements des douze derniers mois. Mais c’était la première fois qu’un gala était organisé sous le patronage des Grandes Voix et avec la présentation d’Émilie Munera, critique musicale et célèbre journaliste de France Musique que l’on retrouve tous les matins avec plaisir aux côtés de Rodolphe Bruneau-Boulmier pour En pistes, l’émission consacrée aux sorties de CD.
Le Diapason d’Or, récompense fort convoitée du fait de son prestige, s’adresse à tous les répertoires, du baroque à la musique du XXe siècle, de l’opéra à la musique de chambre.
C’est ce qui rendait particulièrement attractive cette soirée du 13 novembre, aussi variée par le programme qu’homogène par la qualité et très brillamment et intelligemment présentée par la talentueuse Émilie Munera.
Rappelant les Diapasons que telle ou telle formation avait obtenus cette année ou une précédente, resituant le parcours des artistes dans un historique fort bien documenté, présentant l’originalité de tel ou tel morceau et/ou interprète, Émilie Munera a su rendre vivant et utile un exercice qui fait parfois grincer les dents du mélomane quand les références sont malmenées par des « Messieurs Loyal » aux dents blanches et au savoir limité.
Et l’éclectisme peut procurer beaucoup de plaisir quand il permet de découvrir des œuvres ou des artistes justement récompensés.
Comme ce ne sont pas forcément les superstars qui nous ont le plus impressionnés au cours de la soirée, nous commencerons par quelques coups de cœur assez unanimement partagés si l’on en juge par les réactions du public (de connaisseurs manifestement) : citons d’abord le merveilleux quintette de la violoncelliste Héloïse Luzzati, son savoir-faire, la beauté des instruments et l’exécution magistrale d’une œuvre fort peu connue de la compositrice Rita Strohl qu’elle contribue depuis quelques années à sortir de l’oubli, et qui nous avait accordé un entretien autour de son projet « un temps pour elles ».
Avec son label « la Boite à pépites » Héloïse Luzzati publie en effet le troisième album des œuvres inédites de Rita Strohl : après la « musique vocale », la « musique de chambre », c’est au tour de la « musique orchestrale » de compléter une monographie indispensable pour connaître enfin tous les aspects de celle que le critique, Carlos Larronde qualifiait ainsi dans Le Soir en 1931 : « Elle a donné un langage aux abstractions les plus sublimes, habillé d’une chair orchestrale le feu et l’eau, suggéré par le son, les mouvements de l’atome et de la sève. ».
Avec ses complices dans l’aventure, et notamment la divine pianiste Celia Oneto-Bensaid avec laquelle nous avions eu également récemment un entretien, le quintette nous a transportés dans un univers musical fort diversifié, capable de passer de quelques mesures évoquant la cascade et les bruits d’eau à des passages plus graves et plus tourmentés dans un ensemble très bien mené par nos artistes très applaudis à juste titre.
Autre très belle découverte, la qualité de la formation de chambre de l’Ensemble Inter Contemporain (EIC) qui nous a proposé les Six Bagatelles du compositeur György Ligeti, dont le centenaire a été honoré lors de la précédente saison au travers de diverses manifestations et des retrouvailles des grandes scènes lyriques avec son Grand Macabre, y compris à l’auditorium de Radio-France. Beau choix là aussi d’un compositeur moderne parfois un peu oublié auquel le talent de l’EIC sous l’égide de son nouveau directeur Pierre Bleuse rend justice à merveille.
Outre la musique de chambre, les interprétations des solistes instrumentaux sont sorties victorieuses à l’applaudimètre et nous avons également été particulièrement gâtés par les prestations successives du pianiste norvégien Leif Ove Andsnes avec le troisième mouvement du Concerto l’Empereur, le quatre-main des deux complices et amis, Éric Lesage et Frank Braley, avec le Lebensstrüm de Schubert. Auparavant le violoncelliste Sheku Kanneh-Mason, nous avait bouleversés avec son très émouvant « adagio » du Concerto pour violoncelle op. 85 d’Elgar, avant de nous proposer, en compagnie de Leif Ove Andsnes, une nouvelle incursion dans le répertoire des compositrices avec les « trois pièces » de Nadia Boulanger pour violoncelle et piano.
Nous serons plus circonspects à propos de l’Orchestre Consuelo et de la direction de Victor Julien-Laferrière qui, s’il est un excellent violoncelliste, ne nous a pas paru – comme chef d’orchestre – toujours à la hauteur de la première symphonie de Prokofiev qui a souffert de quelques décalages entre les pupitres et d’un léger manque de souffle.
Côté lyrique saluons d’abord les magnifiques prestations de la soprano Julia Lezhneva, spécialiste du baroque virtuose, ce qu’elle nous prouve dès son pyrotechnique « Agitata da due venti », air extrait de La Griselda de Vivaldi avec lequel elle ouvre le bal. Elle revient en fin de programme avec un « Parto, parto » éblouissant, cet air de Sesto extrait de la Clémence de Titus pour terminer dans un duo de Cosi fan tutte, « Fra gli amplessi », toujours de Mozart, mais d’un Mozart d’un style plus classique et moins virtuose qui convient moins à sa voix légère, souple et cristalline, malgré une très belle exécution.
Nous avons été moins convaincus par la mélodie de Fauré, « Les Roses d’Ispahan » où Véronique Gens montre les limites actuelles de son instrument (alors qu’on l’a connue comme l’une des plus brillantes sopranos) et peine à passer un orchestre pourtant fort discret.
Et nous avons été plutôt déçus par le Mitridate de Pene Pati, dans le très acrobatique « Se di lauri » dont il ne maitrise que difficilement les sauts de registre qui exigent une véritable technique belcantiste et même un ambitus de baryténor à la Michael Spyres. Les vocalises sont un peu savonnées, les aigus manquent de lumière et la dissociation entre le registre grave et le registre aigu affecte l’homogénéité du chant.
Mieux maitrisés, car davantage au centre de sa voix, mais quand même assez loin de son répertoire lyrique de prédilection, le « Se all’impero » de la Clémence de Titus montre également quelques difficultés du ténor dans l’exercice des vocalises et des trilles qui laisseraient entendre une légère fatigue vocale.
C’est dans le duo de Cosi qu’il est le plus à l’aise, sans pour autant éblouir pour une soirée où il avait manifestement assez mal choisi son répertoire alors que son dernier enregistrement était des plus réussis.
Tout ceci s’est cependant passé dans la joie et la bonne humeur, l’ensemble du plateau est venu saluer une salle fort satisfaite de sa soirée et l’on ne peut que souhaiter la poursuite de cette expérience.
À noter : En Pistes ! du mercredi 27 novembre de 9h à 10h30, Émilie et Rodolphe consacreront leur émission au palmarès des Diapasons 2024.
À retrouver en podcast sur le site de France Musique et l’Appli Radio France.
Visuels : © Cyr-Emmeric Bidard