Dans l’intimité de Chopin avec Justin Taylor
par Jean-Marie Chamouard15.04.2025
Le 13 Avril 2025, au Théâtre des Champs-Élysées, dans le cadre des concerts du dimanche matin, le pianiste Justin Taylor nous a proposé un récital consacré à Frédéric Chopin.
La découverte du pianino
Sur scène le spectateur, perplexe, aperçoit deux pianos, alors qu’un seul pianiste est prévu au programme. Les deux instruments historiques datent de 1839 ; à côté du piano de concert Pleyel, un pianino dont on ne voit que l’arrière pour des raisons acoustiques. Ce pianino a une histoire. C’est « le frère jumeau » patiemment restauré ce celui de Chopin. Lors de l’hiver 1838-1839, Chopin est malade, les médecins sont pessimistes. Il se rend avec Georges Sand à Majorque, et ils séjournent à la chartreuse de Valldemossa. Mais il n’y a pas de piano. Chopin demande alors à son ami Camille Pleyel de lui faire parvenir un « pianino ». Il va pouvoir composer à nouveau…
Le jeune pianiste angevin Justin Taylor a voulu reconstituer l’ambiance musicale de la chartreuse de Valldemossa en jouant sur ce pianino. Sur scène une vasque, garnie d’oranges, fait allusion à l’orangerie qui entourait le refuge de Chopin et de Georges Sand. Justin Taylor l’avoue : apprivoiser le pianino a nécessité du travail, les touches sont moins nombreuses, elles sont plus étroites surtout. Mais quelle réussite : ce petit piano d’époque donne à la musique une clarté, une pureté séduisantes. Il a moins de puissance, les « fortissimo » sont moins impressionnants, mais l’écoute n’en est que plus attentive. Alors Justin Taylor va d’un clavier à l’autre avec beaucoup d’aisance.
Une musique intimiste
En élaborant son programme, Justin Taylor a voulu explorer la musique intime de Chopin, celle qu’il jouait à ses proches, ou dans les salons, souvent sur un piano droit. Il associe habilement les nocturnes, les mazurkas, les préludes. Les mazurkas sont initialement des danses polonaises de la région de Mazurie. Chopin en a écrit 57, révolutionnant le genre : ses pensées, ses émotions, sa nostalgie de la Pologne y apparaissent un peu comme dans les pages d’un carnet intime. Les Mazurkas ont toute leur place dans le programme du récital.
Mais les 24 Préludes opus 28, finalisés lors de ce redoutable hiver 1838-1839, sont le cœur du concert. Ces pièces très courtes, de trente secondes à quelques minutes, sont « des instantanés psychologiques et poétiques ». Justin Taylor en interprète neuf. Les émotions se succèdent selon la gravité des accords, la douceur de la mélodie, la légèreté des doubles croches, la douleur exprimée par le chant du prélude N°4 qui inaugure le concert. Il sera repris à l’orgue lors des funérailles du compositeur. Le jeu de Justin Taylor, en particulier sur le pianino, est séduisant. Il ne recherche pas la virtuosité, mais nous émeut par la délicatesse du toucher, la finesse des nuances, la poésie des moments lents.
Chopin aimait beaucoup le Clavier bien Tempéré de J.S. Bach, il jouait chaque matin un prélude de son prédécesseur. Justin Taylor est aussi claveciniste : c’est donc naturellement que deux préludes du Clavier bien Tempéré sont intégrés au programme. Ils sont interprétés avec simplicité, sobriété, sensibilité.
Le concert se poursuit par le Nocturne N°1 (opus 9), la première œuvre de Chopin jouée par Justin Taylor, celle par laquelle il a découvert la poésie de sa musique. La mélodie, ample, romantique serait inspirée par le « Bel Canto » Sous les doigts du pianiste elle évoque le calme d’une soirée d’été. Il joue aussi avec délicatesse le célèbre Nocturne N°2 (opus 9). Un travail d’orfèvre !
Pour le bis, le pianino est retourné afin que nous puissions admirer sa beauté. Justin Taylor termine le concert par un prélude de Bach et par le Casta Diva, l’aria Cavatine qui débute l’opéra Norma, composée en 1831 par Vincenzo Bellini. Il s’agit d’un arrangement pour piano de Chopin, revisité par Justin Taylor. Un moment de grande pureté musicale pour conclure un concert dont nous garderons une sensation de paix et de douceur.
Visuel : © Jean-Baptiste Millot
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