Deux groupes de haute volée se sont succédés ce dimanche 3 septembre à la Grande Halle de Jazz à la Villette. Le trio composé de Jean-Jacques Milteau, Vincent Segal et Harrisson Kennedy nous a présenté son album CrossBorder Blues puis le quartet de Ballaké Sissoko, Vincent Segal, Vincent Peirani et Emile Parisien nous a offert avec Les Égarés une performance rare qui restera dans nos mémoires. Une expérience transcendantale.
En cette chaude soirée d’été parisien, le public est venu nombreux dans la Grande Halle de la Villette. Le lieu est bondé, l’air à peine respirable et tout le monde transpire en attendant les artistes. Ça et là, les éventails s’agitent comme des ailes de papillons frétillantes. Les lumières s’éteignent, un frisson parcourt l’auditoire. Jean-Jacques Milteau (harmonica), Vincent Segal (violoncelle) et Harrisson Kennedy (chant, banjo) s’installent sur la grande scène. La tension est palpable, l’énergie du public se condense, les projecteurs déploient leurs faisceaux d’or et le concert démarre.
D’emblée, l’auditoire est saisi par la voix envoûtante du chanteur. Vient alors se greffer le son des cordes pincées du violoncelle et de l’harmonica qui semble littéralement porter le chant. Le temps s’arrête, la magie opère. Toute la salle est sous le charme. « The Thrill Is Gone ». En quelques notes seulement, les musiciens ont instauré une véritable communion avec le public. L’expérience est multisensorielle et chaque spectateur se retrouve enveloppé de beauté où l’universel rejoint l’intime.
Harrisson Kennedy desserre sa cravate, retrousse ses manches. La chaleur est étouffante mais la musique allège tout. « Here Comes Sunday Morning », « What’s Going On », « Prisoners in the Open Air ». Les titres s’enchainent et l’on se retrouve absorbé dans une bulle de bien-être. Le trio propage une onde vibratoire saisissante. Claquements de doigts dans le public. Le dialogue est instauré. Puis le tempo ralentit, l’espace entre les notes s’étire, l’archet glisse sur les cordes, l’harmonica chuchote : « Georgia on My Mind ». Moment suspendu, émotions exacerbées. Le public est debout et frappe dans ses mains à tout rompre. Quoi de mieux qu’« Imagine » en guise de rappel ?
Prenez maintenant deux duos aguerris et rassemblez-les pour former un quatuor d’exception : Ballaké Sissoko à la kora et Vincent Segal au violoncelle, Vincent Peirani à l’accordéon et Emile Parisien au saxophone soprano. Quatre musiciens de talent qui vont nous présenter leur dernier album sorti fin mars 2023 : Les Égarés.
Quand les artistes investissent la scène baignée de lumières bleues, le public est déjà bouillant. « Ta Nyé » sera le premier morceau joué, plongeant l’auditoire dans un ailleurs contemplatif. Les fumigènes expulsent de part et d’autre de la scène des volutes blanches, créant un climat onirique chatoyant, comme un écho visuel à la musique. L’album est un voyage où chaque composition nous arrache à la réalité et nous embarque vers un monde diapré.
« Time Bum » suscite l’émerveillement brut et les harmonies envahissent l’espace. Il se passe quelque chose de spécial. Une nouvelle dimension s’ouvre. La spiritualité est partout. D’une force insoupçonnée, chaque morceau nous transperce et l’extraordinaire devient palpable. « Izao », composition de Vincent Peirani pour son fils présent dans la salle, nous apporte des sonorités venues de loin. La kora se mêle majestueusement à l’accordéon, au saxophone puis au violoncelle. L’ensemble est un régal absolu, une ode magnifique. La scène se colore alors d’orange avant de s’imprégner de vert puis d’un bleu intense qui absorbe tout. Moment liturgique. Alchimie sublime. Le public retient son souffle.
« Orient Express » de Joe Zawinul diffuse une rythmique entrainante et résonne dans nos corps qui se synchronisent avec le tempo. Puis nous écoutons « Banja » avec cette intro incroyable d’Emile Parisien qui nous ramène à l’essentiel. « Esperanza » répand une vague joyeuse communicative et la lumière dorée sublime tout. Quand « Amenhotep » est annoncé, nous sommes déjà au rappel et encore une fois, la salle est debout, captivée. Des faisceaux incandescents se croisent et convergent vers le centre de la scène. Les musiciens sont enrobés d’or et de feu. Et la musique nous embrase totalement.
Une soirée définitivement flamboyante.
Visuel : (c) GE