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Concert « Carte blanche aux solistes invités » à Hattonchatel : le petit festival qui monte

par Philippe Manoli
10.07.2024

Le dimanche 23 juin, lendemain du Concert de gala anniversaire relaté dans nos colonnes, le Festival Musique aux mirabelles retrouvait la collégiale Saint-Maur d’Hattonchatel pour un concert au programme surprise. Bien loin de redescendre d’un cran après la fête de la veille, le niveau artistique était si élevé qu’il bouscule bien des idées reçues : certains des moments qu’on a vécus dans la modeste église meusienne peuvent rivaliser, en termes de qualité artistique, avec des festivals internationaux bien plus prestigieux.

Seule Lucienne Renaudin-Vary, prise par d’autres engagements, n’a pu participer à ce concert. Tous les autres solistes présents la veille à Heudicourt ont répondu présent et ont concocté un programme surprise des plus enthousiasmants. La joie d’être ensemble, le sentiment de liberté émanant d’artistes heureux d’être là étaient patents, rendant le rendez-vous en terre meusienne particulièrement palpitant.

Aucune thématique précise n’encadrait les œuvres choisies, mais la tonalité générale s’est révélée souvent sombre. Première surprise : l’acoustique difficile de la collégiale, que l’on n’a connue qu’au mois de septembre lors des précédentes éditions, est bien meilleure en juin, sans doute pour des questions d’hygrométrie. Comme toujours, Frédéric Chaslin fait montre d’une culture encyclopédique et d’un humour évident en introduisant les œuvres pour le public, quand ce ne sont pas les artistes qui le font.

 

Liszt mystique

 

Etsuko Hirosé ouvre le bal avec Saint-François de Paule marchant sur les flots, œuvre rare d’un Liszt trouvant la consolation dans la religion après le décès de sa fille. La composition est bouillonnante, le saint traversant, imperturbable, les éléments déchainés contre lui. La main gauche d’Etsuko Hirosé gronde sans cesse dès l’entame, frappant comme des pas lourds se muant en vagues ronflantes. La mélodie s’illumine, même si en arrière-plan les grondements persistent, en diminuant. La majesté se mêle à une certaine urgence, dans des accords ascendants puissants, se muant en vagues rageuses mais fluides. La mélodie se fait alors solennelle, dans une ascension marquée de frappes rappelant le premier concerto de Tchaikovski. Enfin règne le calme, un apaisement serein apparaît, avant que de puissants accords mènent à des trémolos aigus sidérants. Le saint triomphe dans l’aigu avant que des accords telluriques ensuite se brisent dans un retour au calme après cette tempête. La profondeur du son d’Etsuko Hirosé donne à cette Légende un caractère mystique très impressionnant.

 

Languide idylle

 

Aude Extrémo entre alors en scène. Très impressionnés la veille par l’interprétation d’un des Wesendonck Lieder de Wagner, « Im Treibhaus », en version avec orchestre, nous voilà enchantés d’apprendre que la mezzo bordelaise va nous offrir le cycle complet dans la version originale pour voix féminine grave et piano, accompagnée par Frédéric Chaslin. Les poèmes de Mathilde Wesendonck, dont Wagner était amoureux, sont empreints de douleur et d’un désespoir stylisé, sans pathos excessif. Ils tissent une véritable toile de significations symboliques, dans une vision romantique de l’amour et de la souffrance, l’être souffrant dialoguant avec la nature, dans un balancement tout baudelairien entre spleen et idéal (Wagner a expérimenté dans ce cycle certains passages plus tard utilisés dans Tristan und Isolde, grand poème d’amour vénéneux, comme un miroir de sa relation avec Mathilde).

 

« Der Engel » (L’Ange) est le plus célèbre Lied du cycle et le plus lumineux. Sa structure est fondée sur des phrasés qui montent par paliers, agrémentés d’effets de soufflet très impressionnants, qui, en appui sur les voyelles, étirent les notes comme l’ange élève à tire d’aile l’humain qu’il vient chercher. La palette de couleurs déployée par la mezzo est sidérante, comparable seulement à celle que Kirsten Flagstad employait dans ce cycle. Son grave ample et puissant de mezzo dramatique est empreint du tragique qui nimbe cette œuvre, tandis que le métal du timbre recèle une lumière qui fait jaillir la transcendance qui s’y exprime.

 

Le premier effet de soufflet, sur le mot « Engel », est marqué par un doux vibrato. «Tauschen » est explosif, « Erdesonne » orné d’un reflet rougeoyant, « verborgen » montre un grave tellurique et fauve, « brünstig » irradie de lumière grâce aux reflets de métal du timbre, « Einzig » est un éclat ensoleillé, jusqu’à ce que « niederschwebt », en fin de phrase, exprime la libération du personnage dans un envol de l’arpège ascendant émis piano. Entre l’autorité et l’apaisement, le chant d’Aude Extrémo bouleverse par la puissance des messe di voce, insistantes et de plus en plus libératrices, accompagnées par le son étale du piano de Fréréric Chaslin, serties dans un phrasé d’une précision absolue, grâce à une longueur de souffle impressionnante, et à une diction sculptant les consonnes (« meine Geist ») jusqu’à l’épanouissement final d’un « himmelwärts » reconnaissant et comme caressé par la voix.

« Stehe still » (Reste tranquille) est un texte d’une étonnante modernité : le « je » romantique y déplore l’étourdissement ressenti devant le monde qui tourne à une vitesse folle, et réclame l’apaisement, rencontrant l’éternité dans la fusion de l’être dans un autre être, couronnement de la « sainte nature ». Il démarre par de véritables rugissements de fureur au piano, rejoint par la voix furibonde aux consonnes virulentes (« Sausendes, brausendes Rad »), le grave se fait terrible et rauque, l’aigu dévastateur (« lass mich sein ! »). Puis vient l’apaisement, étalé par un legato de velours (« alle Wonnen ermessen »). La longueur de souffle exprime ici la fusion des êtres (« Seele »), le second « Seele » diminué mimant l’extinction du soi dans la fusion avec l’autre. « verstummt » prend une couleur désolée, « Schweigen » est d’une tendresse inquiète, l’âme bouleversée par son anéantissement ne se libérant finalement que dans un « ew’ge Natur » céleste, mis en orbite par l’aigu appuyé de  « Rätsel », d’une lumière aveuglante. Aude Extrémo a su exprimer toutes les ambiguïtés d’un Lied d’une rare complexité, soutenu par le piano de Frédéric Chaslin au toucher délicat, tirant de son instrument des couleurs formant un camaïeu d’une étonnante clarté.

 

On revient ensuite à l’atmosphère moite d’« Im Treibhaus » (La Serre), ouvert par les accords désabusés du piano. Aude Extrémo interprète la première phrase comme une ascension effrayée, peignant des paysages sombres aux reflets d’eau-forte qui encore évoquent Soulages : « Smaragd » irradie de la lumière aveuglante du noir. La longueur de souffle déployée par la mezzo nous offre une expérience quasi mystique, quand les plantes embrassent dans une vaine illusion le vide horrible. Quelle palette ! « Schweigend » exprime un silence comme une bouche d’ombre, « Zweige » est un reflet d’ardoise, « Luft » illumine cet anthracite d’un éclat de quasar. Le doux parfum des plantes (« süßer Duft ») exhale un sentiment fugace d’étrange jouissance, tandis que « ehnendem Verlangen » (le désir impatient) se fige en une terreur froide. Dans ces paysages désolés dignes de Jacques Callot, le mouvement de la phrase musicale reste ascensionnel, débouchant sur un effet de surprise extasiée. Mais derrière chaque libération se cache une Liebestod en filigrane, le piano accompagnant la voix sombre d’un pas de deuil. Le nom de celui qui souffre (« leidet »), mime un aller sans retour dans le manteau du silence (« in Schweigens Dunkel »), quand la voix de mezzo atteint les tréfonds d’un grave jamais appuyé. Tout son corps participe à l’expression : la main de l’artiste se lève et s’avance quand le son de la voix va vers l’extinction (« An der Blätter grünem Saum »/ au bord vert des feuilles) puis le bras se referme vers le corps au son des accords funèbres du piano. Une fois encore, dans ce Lied, Aude Extrémo touche au sublime.

 

L’avant-dernier Lied, « Schmezen » (Douleurs) est une métaphore de l’humain face au soleil, qui chaque soir pleure et meurt puis renaît (sous l’influence du« stirb und werde » – mort et renaissance – élaboré par Goethe au siècle précédent). Le « je » trouve du réconfort devant l’exemple du soleil qui triomphe des ténèbres et de la mort. La mezzo porte son regard au loin, les yeux rougis du « je » se parent des teintes fauves du grave (« Augen rot »), tandis que l’aigu brillant irradie la gloire du monde obscur (« Glorie der düstren Welt »). La netteté des attaques permet un dessin de lignes vocales d’ une grande finesse dans ses linéaments. « Muß die Sonne untergehn? » signe l’acceptation de son sort par le « je », « O wie dank ich » dans un énorme effet de soufflet, exprime le remerciement avec puissance, mais le retour à la « Natur! » mène au recueillement dans une assomption extasiée que soulignent un bras ramené au corps et les accords rassérénés du piano de Chaslin.

« Traüme » (Rêves) clôt le cycle de Wagner dans une atmosphère toujours sombre, malgré les élans initiaux sveltes du piano. La voix implore (« Sag ») les rêves qui flottent dans l’air comme le délicat vibrato de la mezzo (« Träüme »), la longueur de souffle porte au loin ces rêves au travers d’un esprit heureux (« durchs Gemüte ziehn! »). Les « Traüme » triomphants puis retenus expriment le bouleversement d’une âme ballottée entre spleen et idéal, « der neue Tag begrüßt » semble atteindre une sérénité plaintive, « ihren Duft », d’une sublime délicatesse, mène vers l’acceptation de l’anéantissement, le vibrato léger fait frémir « verglühen » dans une couleur fanée, jusqu’à ce que le grave insondable de « sinken» plonge l’âme dans les tréfonds d’un caveau presque accueillant (« in die Gruft ») quand les scintillements du piano ralentissent en mode mineur jusqu’à l’extinction.

 

Ici on atteint au sublime : une artiste au sommet de son art, remarquablement accompagnée dans une œuvre majeure du répertoire : on ne trouve mieux ni à Salzbourg, ni à Wigmore Hall.

 

Plus près du soleil

 

S’étant adapté au répertoire français en vigueur dans le concert de la veille, Gaston Rivero va cette fois se produire dans son cœur de répertoire, des arias pour ténor spinto de Verdi. Il entame ce concert avec « Celeste Aida », accompagné au piano par Frédéric Chaslin, qui le dirigeait il y a quelques semaines à Riga dans Don Carlo. Après un récitatif où le cuivre du timbre exprime sa lumière fauve, conclu par un aigu rond et large (« ho vinto »), le ténor uruguayen nous régale dans l’aria par son art des diminuendi. Un vibratello délicat irrigue « serto », « fior » étale une longueur de souffle remarquable. La diction est ciselée, le legato parfait, « trono » est large et longuement tenu, avant un « al sol » encore idéalement filé. Rivero alterne les effets de soufflet ascendants et descendants avec maestria, libérant la lumière intense d’un médium nourri et celles, plus fauves, d’un grave très plein (« il tuo bel cielo »). La voix s’élargit alors (« regal serto ») vers un premier si bémol  au volume impressionnant, mais totalement intégré au reste de la voix (« Ergerti »). Puis « un trono » se pare d’une lumière à la vibration délicate, avant un si bémol final commencé fortissimo puis filé (« al sol »). Voilà une entrée en matière qui promet pour la suite !

 

Pastiche de rien

 

Le violoniste Nicolas Dautricourt présente ensuite, avec beaucoup de chaleur et de décontraction le duo qu’il va interpréter avec la pianiste Etsuko Hirosé. C’est une œuvre étrange, le Prélude et allegro dans le style de Gaestano Pugnani, de Fritz Kreisler. Le grand violoniste viennois avait affirmé qu’il s’était inspiré d’une oeuvre baroque jusqu’à ce que l’ enquête d’un journaliste américain eut prouvé en 1935 que c’était faux : Kreisler en était lui-même l’auteur. Il en résulte un opus étonnant, une sorte de « pastiche de rien ». L’œuvre débute avec un thème très lyrique où le violoniste boucle des trilles sur son Stradivarius, avant que la mélodie prenne des accents tsiganes en trémolos et se mue en quasi passacaille au ton enjoué. S’ensuivent de longues montées chromatiques débouchant sur des rythmes très soutenus dans l’aigu, l’artiste venant à gratter ses cordes avec une certaine virulence, le piano accompagnant à la basse. Nicolas Dautricourt alterne chaleur et émotion, tendresse et ironie, dans cette pièce virtuose.

 

Sois sage, ô ma douleur

 

Gaston Rivero revient pour deux extraits d’Otello de Verdi, où il va montrer la quintessence de son art. Dans son costume noir sobre, près du corps, il est soutenu par un Frédéric Chaslin en état de grâce, puisant dans son piano toutes les couleurs de l’orchestre verdien et une lumière aveuglante, débutant avec des fusées de notes furieuses et passant vite à une marche funèbre étreignante. Le chef au piano met en condition le ténor pour un « Dio mi potevi » de haute volée. La scansion du texte par Gaston Rivero est acérée, « vergogna » est quasi parlando, mais mesuré, le visage du ténor exprimant la rage rentrée du capitaine maure. « La croce crudel » se pare d’éclats du bas medium, « al voler del ciel », triple piano morendo, est exemplaire d’expressivité. L’intensité de « Ma, o pianto, o duol » subjugue l’auditoire, la désolation de « l’anima quieto » exprime tout l’effondrement intérieur du personnage. Pour « Che mi fa lieto » le medium du ténor se pare de teintes de soleil couchant, « roseo riso » y trouve un éclat sombre et ardent. « Ah! Dannazione! » ne s’attarde pas, lancé d’un trait, « Confession! Confession! » est parfaitement articulé, et le « O, gioia » final, cynique, se projette comme un énorme uppercut sans aucune distorsion de la voix, qui fuse à l’envi. Rarement aura-t-on perçu autant de lumière dans le médium d’un ténor dramatique, et l’aria, si souvent caricaturée en semi parlando guttural, trouve ici une tenue, une stylisation qui renforcent d’autant son impact dramatique.

 

Gaston Rivero enchaine directement sur la mort d’Otello, « Niun mi tema », qui démarre à nouveau par des fusées issues du piano de Frédéric Chaslin, jusqu’à une note qui s’immobilise longtemps dans l’air, avant l’entame d’une nouvelle marche funèbre. Dans un legato d’école, le ténor scande le texte de Boito, « s’anco armato mi vede », dans une pulsation nerveuse et fébrile. « O gloria ! » est long et sanguin, « Otello fu » sombre, désolé mais parfaitement sobre. « E tu » exprime avec une infinie délicatesse la douleur du mari qui se croyait trompé, « e stanca, e muta » susurré, débouche sur un « e bella » joliment posé sur le timbre mais effondré, « fredda » est sans couleur, « e cielo assorta », porté par un souffle très long, est entouré du scintillement stellaire du piano de Chaslin. L’aigu sur « Ah » fait miroiter le timbre, le second « morta » est posé sur un souffle très long, le troisième, d’une pâleur glaciale. L’aigu fortissimo d’ « Ho un arma ancor », totalement intégré au reste de la voix, donne l’impression que c’est la voix entière qui monte, avant que des arpèges descendants du piano de Frédéric Chaslin n’émanent des reflets crépusculaires sur lesquels le timbre du ténor s’accorde ; « Ti bacciai » est lugubre, et d’’« Or morendo » jaillit la lumière d’une satisfaction fugace, puis filé, littéralement morendo, étreint l’auditeur. « Un baccio » forme une arche de son brisée, « un », très doux, mène à l’ultime « altro baccio » morendo, sous les coups des accords résignés du piano. Nous voilà témoins d’une osmose exceptionnelle entre deux artistes d’envergure, qui nous ont offert un grand moment d’opéra.

 

Flamenco à bretelles

 

Après un court entracte, Félicien Brut interprète ensuite une transposition d’Asturias d’Isaac Albeniz. Nerveux et fluide, son accordéon épouse les linéaments d’une partition fière, ce qui n’exclut pas un brin de ritenuto bienvenu. Le cœur du morceau se fait calme, recueilli, avant le retour des contrastes et ruptures qui font le sel d’une Leyenda qui ne manque jamais d’impressionner.

Duo régressif

 

Les instrumentistes n’étant pas les seuls à pouvoir se produire en duo, Julie Cherrier-Hoffmann invite Gaston Rivero à chanter le duo entre Don José et Carmen au premier acte de l’œuvre de Bizet. Un duo qui risque toujours d’être ennuyeux s’il n’est pas exécuté par des interprètes pleinement investis. Gaston Rivero s’y montre très pertinent, intériorisé dans les premières phrases, et use toujours de son diminuendo si prenant (« de ma mère »). Julie Cherrier-Hoffmann répond avec un legato très en situation et un timbre aussi frais que lumineux, affirmant une présence d’abord timide puis résolue (« Oui, je parlerai »). Elle joue de tout son corps un personnage mutin, filant « en m’embrassant », puis élargissant « Et tu lui diras » avec plus de puissance. Gaston Rivero lui répond avec délicatesse, « souvenir du pays » double piano. Puis, la rage monte dans ses yeux autant que dans sa voix («de quel démon j’allais être la proie ») avant qu’il se radoucisse en un « ma mère me défend » ému. « Tu lui diras » est retenu, puis la grande phrase legato « que son fils l’aime et la vénère » enfle soudain, jusqu’à un « de ma part » filé du plus bel effet. La reprise lui permet de dessiner un « Ma mère » à la fois ébloui et ému, « Doux souvenir du pays », émis triple piano en mezza voce,  parfait le portrait d’un soldat sensible et nostalgique, quand Micaëla se fait plus enflammée à mesure qu’il s’attendrit, jusqu’à un final triple piano des deux protagonistes.

Prêtresse dans la nuit

 

Julie Cherrier-Hoffmann chante alors l’air de Leïla dans Les Pêcheurs de perles de Bizet. Dans l’aria, « Comme autrefois » elle joue des contrastes, entre un « caché » puissant et des aigus flûtés, se détachant des volutes parfumées que Frédéric Chaslin dessine au piano. « Il veille près de moi dans l’ombre » présente un legato envoûtant, « veille » est enflé en soufflet, jusqu’à la reprise de « Comme autrefois » d’une transparence de porcelaine. Après une vocalise et un trille, « Je puis dormir, rêver en paix! » finit l’aria dans un doux crépuscule.

 

Accordez donc

 

Félicien Brut rejoint alors Nicolas Dautricourt pour deux courtes pièces, Indifférence de Tony Burel et Escuados tango d’Astor Piazzola. Dans la première, le violon se fait très virtuose tandis que l’accordéon musarde. La fin du morceau, plus jazzy, voit les deux artistes très en phase, prenant un plaisir manifeste à jouer ensemble une musique entrainante et joyeuse. Dans la seconde, les cordes sont frottées plus rageusement par Nicolas Dautricourt, et alors que les deux instruments se partagent les retours de thème, le rythme se fait brutal, tendu, abrupt, avant une extinction sourde, puis un retour du thème aux accents rageurs, lancinant. Le violon devient hyper virtuose, tandis que l’accordéon passe de la basse continue au thème dans un échange dansant avec le violon, jusqu’aux derniers accords tranchants. Quel bel échange !

 

Etsuko Hirosé rejoint alors Nicolas Dautricourt pour proposer leur adaptation d’ « Over the rainbow », célèbre chanson issue du Wizard of Oz d’ Harold Arlen. Le piano débute tout en douceur et scintillement, le Stradivarius de Nicolas Dautricourt lui répond avec la même douceur d’abord, puis monte de plus en plus dans l’aigu, avant une variation jazzy. Puis le violon doucement s’éteint, entouré par le scintillement délicat du piano. Le retour au thème ramène le piano vers un apaisement serein, tandis que le violon s’envole dans le suraigu. Le plaisir de partager la musique qui émane des deux instrumentistes est rayonnant.

 

C’est ma prière

 

Quel n’est pas notre étonnement quand Frédéric Chaslin délaisse son piano pour un synthétiseur en vue du dernier morceau du concert ! En effet, il nous explique que Gaston Rivero a voulu nous offrir une rareté, parfaitement en phase avec les lieux, un air mystique composé par Vangelis, issu de 1492 Conquest of Paradise, la bande originale du film de Ridley Scott. Le morceau en question s’intitule « Monastery of La Rabida », mais, s’il n’est qu’instrumental dans la bande originale du film, il existe des paroles en latin, que Gaston Rivero se propose de nous interpréter. Frédéric Chaslin nous enveloppe dans une ambiance New Age assez inattendue, et les paroles forment une assez simple litanie implorante, qui demande à Dieu d’entendre notre prière, éternellement (« in secula »). Le ténor lève son regard vers le ciel, dans une posture implorante et, la gorge quelque peu en avant, laisse s’envoler les paroles qui flottent ensuite quadruple piano avant de retomber dans la nef. A chaque fin des phrases répétitives et scandées, il nous offre des diminuendi dont il a le secret, la litanie se fait ascensionnelle, et s’évanouit dans les arcades de la collégiale. Le ténor uruguayen nous fait l’offrande d’un chant de réconciliation, de concorde universelle, bouleversant point d’orgue et conclusion d’un concert d’une diversité et d’une hauteur de vue assez exceptionnelles.

 

 

 

© Isabelle Bomey et © Gérard Lesquoy