La Philharmonie de Paris, reconnaissable à sa façade argentée ornée de motifs inspirés des oiseaux d’Escher, a accueilli les 16 et 17 novembre un week-end dédié au minimalisme. Parmi les grands noms présents figurait Philip Glass, mais le point d’orgue de cette programmation fut le concert de Max Richter, figure incontournable de la scène minimaliste contemporaine. La salle Pierre Boulez, prouesse architecturale de Jean Nouvel, offrait une acoustique exceptionnelle propice à une immersion totale dans la musique.
Pour sa tournée, Richter s’est entouré d’un quintette à cordes talentueux : Eloise-Fleur Thom et Max Baillie aux violons, Connie Pharoah à l’alto, Max Ruisi et Zara Hudson-Kozdoj aux violoncelles. Le compositeur alterne entre piano, orgue Hammond et minimoog, créant un dialogue subtil entre instruments acoustiques et électroniques.
La scène, faiblement éclairée, était délimitée par des traits lumineux rectangulaires dont l’intensité et la couleur variaient en fonction de la musique. La salle frémissait à l’idée de rencontrer le Maître.
Richter a proposé des pièces de « The Blue Notebooks » (2004) et de son nouvel album « In A Landscape ». Son intention ? Relier et réconcilier les polarités : l’électronique et les instruments acoustiques, le monde naturel et le monde humain, les grandes idées de la vie et l’intime.
Le concert s’ouvre sur « They Will Shade Us with Their Wings », une progression émotionnelle ponctuée par une ligne de basse descendant toujours plus profondément dans les graves, transportante et efficace. Neuf courts « Life Studies » séparent et réunissent les morceaux, allant d’une personne s’exerçant à jouer du Mozart au piano jusqu’aux bruits étouffés des machines industrielles ou des chants d’oiseaux.
Peut-être s’agit-il d’un hommage de Richter à Cage, après avoir intégré sa voix à son premier album « Memoryhouse » en 2002 ? La composition « The Poetry of Earth » fait écho aux répétitions cycliques assorties de micro-variations de Cage dans sa composition culte qui porte le même titre que l’album de Richter. L’ajout progressif du quintette à cordes y donne un relief éclatant et tourbillonnant.
L’artiste explore les thèmes de l’écologie et de notre rapport au monde naturel. Il mêle habilement piano minimaliste, cordes délicates et textures électroniques, créant un espace sonore méditatif qui interroge notre relation à l’environnement. Une nuance sombre et mélancolique y règne, traitée avec une énergie soigneusement maîtrisée, les morceaux se terminant par un accord mineur qui emplit la salle.
La première partie s’achève par « Movement, Before all Flowers », qui apparaît avec plus de légèreté, transformant les accords mineurs en quelque chose de dynamique. Le violoncelle s’élève au-dessus du piano, indiquant le chemin du retour vers le rivage. C’est Richter dans ce qu’il a de plus optimiste et de plus beau.
La prestation scénique est sublimée par la présence en guest star de l’actrice d’origine iranienne Golshifteh Farahani. Elle récite des extraits des « Cahiers in-octavo bleus » de Franz Kafka et de « L’Hymne de la perle » et de « La Terre inaccessible » de Czesław Miłosz. Son interprétation, par sa voix profonde et son léger accent, ajoute une dimension politique poignante à l’œuvre.
Pièce maîtresse de la carrière de Max Richter, cet œuvre a tracé le chemin de toute une génération de jeunes compositeurs. Née en réaction à l’intervention américaine en Irak en 2003, Richter s’y préoccupe avant tout de la mélodie et de son dépouillement, une formule qu’il exploite avec une efficacité stupéfiante tout au long des quarante minutes du concert.
« The Blue Notebooks » est une succession de morceaux courts, qu’il est préférable d’apprécier comme un morceau continu. On y trouve de nombreux moments forts au piano : « Horizon Variations », « Vladimir’s Blues » et « Written In The Sky », qui revisite la structure harmonique de « On the Nature of Daylight ». « Shadow Journal » représente, avec ce dernier, un sommet du concert.
L’album a été popularisé au cinéma par des réalisateurs comme Denis Villeneuve (Arrival) et Martin Scorsese (Shutter Island), et à la télévision dans des séries comme The Handmaid’s Tale ou The Last of Us. Richter en a fait sa propre illustration en 2018, avec l’actrice britannique Elisabeth Moss qui incarne au plus juste, dans le froid et le vent, la tension intraduisible du titre.
Autant d’éléments qui expliquent la proximité de Richter avec le public dans la salle.
La conjugaison d’une acoustique exceptionnelle, d’une interprétation magistrale et de la réceptivité du public a créé un moment suspendu dans le temps. La présence d’artistes comme Woodkid témoignait de l’importance de l’événement.
Ce concert a démontré la vitalité actuelle du minimalisme et la capacité de Max Richter à créer des ponts entre tradition classique et sensibilités contemporaines.
Il faut écouter Max Richter et le voir sur scène : c’est une expérience transcendante. Il se produira pour 42 performances à travers le monde entre 2024 et 2025.
Visuel : ©MR