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Wagner, Schumann, Mahler pour une belle soirée de l’Orchestre de l’Opéra de Bavière en visite à Paris.

par La redaction
22.09.2023

Étape d’une prestigieuse tournée européenne qui permet à l’Orchestre de l’Opéra de Bavière de témoigner de son dynamisme hors les murs, le concert du Théâtre des Champs-Élysées a offert de très grands moments d’émotion à un public conquis qui lui a réservé une grande ovation.

Par Hélène Adam

Cinq cents ans !

Le Bayerisches Staatsorchester, qui fête en cette année 2023 ses cinq cents ans d’existence, a connu de nombreux grands chefs d’orchestre, tous plus prestigieux les uns que les autres.

 

Autant dire qu’il peut revendiquer une très solide expérience et beaucoup de qualités musicales dans un répertoire, qui ne s’est jamais résumé à l’art lyrique, mais qui a su gagner de nombreux galons dans la musique symphonique. Vladimir Jurowski, son directeur musical depuis 2021, russe comme son brillant prédécesseur Kiril Petrenko, est un homme de profondes convictions, qui n’avait pas hésité à bouleverser le programme de ses concerts au moment de l’invasion russe en Ukraine pour montrer son horreur de cette guerre d’agression, guerre qu’il avait alors dénoncée dans un long et enflammé discours introductif à Munich en mars 2022.

Paris, étape d’une tournée européenne

L’orchestre de Munich a arpenté plusieurs grandes villes d’Europe pour cette tournée, qui a commencé le 7 septembre en Italie du Nord et s’achèvera le 23 septembre à Vienne.

 

Le programme de la tournée européenne a varié d’une soirée à l’autre. Pour Paris, Vladimir Jurowski a choisi, en première partie, le prélude de Tristan et Isolde de Richard Wagner (1865) puis le concerto pour piano de Robert Schumann (1845) et, en deuxième partie, la symphonie n°4 en sol majeur de Gustav Mahler (1900). Il a invité deux solistes, le pianiste Yefim Bronfman et la soprano Elsa Dreisig.

 

Le prélude de Tristan et Isolde est, en quelque sorte, constitutif de l’ADN de la formation musicale qui a créé cette œuvre cardinale de Richard Wagner en 1865 à Munich. Véritable poème symphonique, cet opus, qui reprend les six thèmes de l’acte 1, délivre, sous la baguette de Jurowski, cette magie enveloppante de la musique instrumentale wagnérienne, qui s’enroule et se déroule autour de l’auditoire, devenu lui-même le jouet de cette potion magique qui perdra les deux amants dans une fusion totale et funèbre. On apprécie tout particulièrement la beauté des cordes exécutant le fameux « accord de Tristan », l’obstination envoûtante des cuivres autour des leitmotivs du philtre d’amour puis de mort, et l’efficacité de l’orchestre pour exprimer la délivrance finale. On regrettera cependant que les tempi un peu trop rapides du maestro ne donnent pas toujours sa place aux longues notes filées en crescendo, diminuendo qui confèrent toute la magie à cette lente fusion des sens, Jurowski préférant insuffler une tension parfois trop forte et trop rythmée qui ne sied pas toujours à la majesté du propos wagnérien.

 

Sans transition autre que les nécessaires ajustements de la scène pour amener le grand piano juste devant l’estrade du chef masquant pour partie sa gestuelle à nos yeux, nous passons de Wagner à Schumann pour le romantique et unique Concerto pour piano du compositeur.

 

Le pianiste Yefim Bronfman est un artiste discret, qui « rêve de jouer derrière un rideau pour faire passer la musique avant l’interprète ». Nul éclat dans son interprétation, une fidélité scrupuleuse à la partition et une posture sans la moindre gesticulation.

 

Composé en mode mineur, pour le premier mouvement, et majeur pour les deux suivants, le concerto fait davantage appel au sens lyrique du pianiste qu’à sa virtuosité. Et les thèmes, célèbres pour la plupart, dominent une partition très riche en mélodies que Yefim Bronfmann valorise par un jeu subtil, très intériorisé. On regrettera par moment cependant que le piano et l’orchestre ne soient pas davantage insérés dans le processus de dialogue nécessaire pour arriver à une osmose parfaite entre le soliste et l’ensemble. Le pianiste, saluant sobrement et presque mécaniquement, offre au public, après trois rappels, un bis tout en nuances romantiques avec le Nocturne posthume de Chopin, ce morceau de rêve aux trilles et arpèges obsédants, dont la mélancolie submerge l’auditeur.

Lumineuse et miraculeuse Elsa Dreisig

La Symphonie n°4 de Gustav Mahler est la moins tragique et la plus lyrique des symphonies du compositeur autrichien. L’œuvre est originale à plus d’un titre : les grelots et les flûtes qui introduisent le premier mouvement évoquent des danses villageoises que l’on verrait dans une sorte de rêve brumeux où le thème deviendrait obsessionnel ; le second mouvement apparaît étrangement rustique et inachevé avec son solo de violon désaccordé ; le troisième est le plus classique, valorisant les ensembles de cordes soyeuses et les cuivres et bois harmonieux de la formation munichoise dans un élan final très sonore qui introduit le quatrième mouvement, où la voix de soprano est dominante et mène le bal des joies de la vie céleste (Das himmlische Leben). Ce Lied en quatre parties est extrait du cycle de Lieder « Des Knaben Wunderhorn » (Le cor merveilleux de l’enfant). Et l’ensemble s’achève alors que la voix étouffe peu à peu l’orchestre qui lui cède les dernières mesures en s’effaçant complètement.

 

Vladimir Jurowski nous offre une belle interprétation, très sensible et très lyrique, de cette œuvre, en prenant grand soin d’en faire ressortir le caractère bigarré et mystérieux, en soulignant les contrastes, les changements de style et de dominante instrumentale, valorisant son excellente formation musicale dont le premier violon nous éblouit de sa technique et de sa sensibilité quand il doit alterner ses deux instruments dont l’un est volontairement désaccordé. Les gestes du maestro sont sobres, mais précis. Le premier mouvement reste cependant hésitant, le thème en ritournelle des grelots et des quatre flûtes se noyant parfois dans la masse orchestrale, tandis que le deuxième démontre une belle maîtrise des phrases musicales contrastées et, parfois, très fantaisistes de Mahler. Le troisième mouvement, le plus classique sur le plan musical, et qui voit le grand ensemble instrumental jouer à l’unisson à plusieurs reprises, manque par instant un peu de tension par son côté un peu trop lisse et régulier. Mais le dernier mouvement emporte tous les suffrages et termine le concert par un final grandiose.

 

Elsa Dreisig, toute dorée de la tête aux pieds, apporte en effet une délicieuse touche originale, fraîche, jeune, juvénile même. Son chant, magnifiquement articulé, est exactement ce que l’on attend de ces quatre strophes du Lied. Cette voix, légèrement acidulée, se projette très bien, et domine aussitôt l’ensemble du mouvement tandis que les interludes entre les strophes, qui évoquent les thèmes du premier mouvement, sont ici réalisés avec une musicalité largement supérieure, stimulés par la voix et le style irréprochable de la soprano. Se produit alors un immense moment d’émotion où la salle retient son souffle, suspendue aux lèvres de la jeune femme, qui incarne la candeur et l’innocence, la ferveur et le bonheur dans cette conclusion poétique et sublime : Die englischen Stimmen/Ermuntern die Sinnen/Daß alles für Freuden erwacht (Ces voix angéliques/réchauffent les cœurs !/ Et tout s’éveille à la joie).

 

L’orchestre nous offre encore un bis, l’adaptation par Mahler d’une suite de Bach pour conclure cette belle soirée.

Visuels : © Vera Zhuravleva