Le ténor italien Vittorio Grigolo vient de sortir un album chez Sony Classical, intitulé « Verissimo » et composé d’airs extraits d’opéras de Puccini et de compositeurs « véristes » de la même époque. Décousu et peu convaincant, le résultat affiche quelques réussites au milieu d’un ensemble brouillon où les qualités du ténor ne sont guère valorisées tant le répertoire apparaît hors de portée. Décevant.
Vittorio Grigolo a été le « ténor italien » que l’art lyrique recherchait depuis la fin de la belle époque de Luciano Pavarotti. Et il a été incontestablement un très beau ténor lyrique durant des années, particulièrement brillant dans ses rôles fétiches que furent Nemorino (Donizetti), Roméo (Gounod), Des Grieux (Manon de Massenet) ou le Duc de Mantoue (Donizetti). Son aisance sur scène malgré un jeu parfois outré, son physique de latin lover faisaient merveille et ont largement contribué au succès sur les scènes internationales du ténor dès 2011. Il se produisit en particulier plusieurs fois à l’Opéra Bastille dans les plus belles productions. Excellent Hoffmann (Offenbach) notamment au Royal Opéra House, c’est également au Royaume Uni qu’il réussit son premier Werther sous le contrôle du directeur musical Antonio Pappano, mais aussi un brillant Faust tandis que sa présence au Metropolitan opera de New York, devient régulière et de plus en plus centrale avec un fameux premier Cavaradossi aux côtés de Sonya Yoncheva. Le label Sony lui assure alors plusieurs enregistrements de suite : « The Italian tenor » en 2010, puis « Arrivederci » en 2011, « Ave Maria » en 2013 et « The Romantic Hero » en 2014.
Et l’on regrette qu’il n’ait pas tenté d’approfondir le répertoire purement lyrique, notamment dans le grand opéra français, quand on écoute son interprétation de « l’Africaine » (Meyerbeer) ou de « la Juive » (Halevy) dans ce précédent album, quand la beauté de son timbre ne souffrait d’aucun vibrato déformant et que l’on pardonnait les petites imperfections ou tentations du chanteur de colorer certains passages avec trop d’affectation et de sensiblerie.
Il faut ensuite attendre dix ans pour que le label Sony lui offre une autre chance avec la publication de ce « Verissimo », enregistré pour partie en novembre 2016 (sans doute pour un projet qui n’a pas abouti à l’époque), et pour partie en juin 2023.
On s’interroge légitimement déjà sur l’intérêt de ce patchwork dont l’intitulé ne reflète pas le contenu puisque cinq titres sur 15 sont de Puccini qui n’appartient pas au vérisme.
Mais c’est surtout les contre-performances du ténor qui posent sérieusement la question de savoir si le choix est judicieux après un si long silence. Est-ce parce que Sony classical, l’un des majors de la profession, peine à trouver un artiste d’aujourd’hui capable d’aborder le répertoire spinto, alors que ses concurrents sponsorisent ardemment les jeunes ténors Freddie de Tommaso, 30 ans (Decca) et Jonathan Tetelman, 36 ans, (Deutsche Grammophon).
Vittorio Grigolo est une nature généreuse et sa tendance à l’extériorisation sur scène lui permet souvent d’obtenir de très grands succès mérités en salle, tant son engagement physique est total et parfaitement adapté à son style de latin lover. On lui pardonne volontiers quelques excès, des notes pas tout à fait en place ou des fantaisies avec la mesure, d’autant plus que, bien encadré, il parvient à des merveilles dès lors qu’il contient son exubérance excessive.
Mais ces petits défauts dans un répertoire qui lui convenait parfaitement, deviennent beaucoup plus problématiques dans les extraits des rôles qu’il aborde dans son dernier album.
C’est un enregistrement consacré aux grands compositeurs véristes, Arrigo Boito, Pietro Mascagni, Amilcare Ponchielli, Francesco Cilea, Umberto Giordano, Ruggero Leoncavallo auxquels Vittorio Grigolo ajoute des arias célébrissimes de Puccini comme le fameux « Nessun Dorma » extrait de Turandot pour composer un album de 15 titres.
Et le premier problème vient du fait qu’on imagine mal Grigolo dans la plupart de ces emplois tant il apparaît que ni technique et ni la voix ne sont adaptées et qu’il malmène son bel instrument.
Les qualités incontestables de Vittorio Grigolo ne sont guère mises en valeur dans cet album et sans doute aurait-il mieux valu pour lui, tenter une recherche sur des titres lui convenant davantage et dont les répertoires italiens et français ne manquent pas.
Se rajoutent un choix artistique et sans doute personnel qui conduit le ténor à opter pour un ton chargé de pathos, à la limite du larmoyant, quand on sait à quel point l’émotion de l’auditeur naît rarement de ces excès qui peuvent prêter à sourire, mais au contraire, de la sobriété et de la gravité des situations tragiques et réalistes typiques du vérisme.
Les premiers titres, « Dai campi, dai prati » extrait de Mefistofele de Boito et « Apri la tua finestra » extrait de Iris de Mascagni, où la voix se montre très instable avec un vibrato conduisant à un tangage sur plusieurs phrases musicales, sont assez peu avenants et introduisent fort mal l’enregistrement.
Davantage d’émotion se dégage du célèbre « Cielo e mare » de la Gioconda, opéra remis au goût du jour par les productions récentes, successives et multi-stars de Salzbourg et Naples, mais là aussi, si le ténor se montre plus prudent, plus engagé, et s’il tient longuement sa note finale, il n’a pas la maitrise technique qui lui permettrait de réussir les diminuendos et crescendos assurés par les plus grands chanteurs.
Maurizio d’Adriana Lecouvreur le voit à son meilleur et on salue la délicatesse avec laquelle il aborde « L’anima ho stanca » puis surtout « La dolcissima effigie » tout en mode piano et en petites touches, avec de vrais élans de fièvre mieux maitrisés, et de très belles couleurs et nuances.
Il vient à bout des deux airs d’Andrea Chénier en contrôlant davantage son vibrato et les tremblotements de sa voix. Son « Come un bel dì di maggio » est satisfaisant sans rivaliser avec les grands titulaires actuels, et non exempt de légers décalages de tonalité. Mais le « Colpito qui m’avete… Un dì all azzuro spazio » manque de mordant et ses difficultés à aborder le mode spinto où la voix doit passer les montées d’orchestre, se traduisent à nouveau par un chant un peu débraillé, un peu approximatif.
Le ténor ne rencontre pas de difficultés techniques dans le fameux « Mamma, quel vino è generoso », air lyrique de Turiddu dans Cavalleria Rusticana, mais il surcharge son interprétation de tant d’affectation hors de propos que l’on est tenté de sourire à ce moment tragique de l’œuvre. Sa prise de rôle devrait se faire à Munich dans un an, espérons qu’entretemps, il aura davantage accepté de brider un peu son tempérament…car, contrairement au rôle beaucoup plus exposé de Canio dont il esquisse un difficile « Vesti la giubba », celui de Turiddu devrait parfaitement lui convenir.
Concernant les quelques airs choisis de Puccini, il est évident que Grigolo est sans cesse à la limite de ses possibilités vocales. Il se ménage un peu en chantant, vibrato serré, en mode piano les premières parties pour se permettre un fortissimo sur les notes finales, mais l’on sent avec « Hai ben ragione » extrait de Il Tabarro, «Ch’ella mi creda libero » extrait de La Fanciulla del West et même « Addio, fiorito asil » extrait de Madama Butterfly, que ces rôles ne sont pas vraiment pour lui, même à l’état de simples arias.
Rappelons qu’il demeure une référence dans de nombreux ouvrages de Puccini où les performances du ténor sont davantage lyriques et donc dans ses cordes : il reste un très beau Rodolfo (La Bohème) et un Cavaradossi intéressant (Tosca), et il a été un Rinuccio désopilant et magnifique (Gianni Schicchi).
Dans la même veine, on aime plutôt son élégant « Non piangere, Liu ! » et on est surpris par son « Nessun Dorma » extraits de Turandot, tous deux finalement bien menés et agréables à écouter.
Enfin, nouvelle erreur de « casting » : pourquoi n’avoir pas terminé ainsi plutôt que par cet « Ave Maria », arrangement vocal sirupeux de Giacomo Zani sur l’intermezzo du Cavalleria Rusticana (Mascagni) que Grigolo charge d’une véritable armée de trémolos hors de propos ?
Une simple écoute de ses anciens CD permet de se rendre compte, malgré tout, d’une dégradation, que l’on espère passagère, de son instrument vocal…
Saluons la beauté de l’Orchestre symphonique national tchèque et la direction délicate et inspirée de Pier Giogio Morandi qui donnent à la voix souvent en difficulté de Grigolo, un bien bel écrin et souligne les qualités orchestrales du répertoire.
1 CD Sony Classical.
Enregistré à Prague les 25/26 novembre 2016, et dans les Empire Studios de Cavarzere en mai 2023.
Notice de présentation en anglais et allemand.
Durée : 44:44
Photo : © Sony Classical