Le Théâtre des Champs-Élysées et Les Grandes voix nous proposaient une belle soirée avec ce « Messie » aux tempi vifs et inspirés d’une des formations baroques les plus brillantes dans ce répertoire, l’orchestre et le chœur étant accompagnés de cinq brillants jeunes solistes.
C’est en 2017 que Hervé Niquet et sa formation baroque Le concert spirituel enregistre la version de 1754 du Messie de Haendel sous le titre « Handel, Messiah, 1754 » chez Alpha Classics. Une captation des représentations à Versailles est également publiée en DVD en 2019 sous le label du Château de Versailles Spectacles.
Cette version que Haendel avait composée pour les concerts de charité du Foundling Hospital de Londres, et dont il avait fait un rendez-vous annuel de charité, avait été réhabilitée de nos jours par Christopher Hogwood, l’un des plus grands musicologues de cette période, claveciniste et cher d’orchestre, et l’un des premiers à l’avoir enregistrée à la tête de l’Academy of Ancient Music qu’il avait fondée en 1973.
Hervé Niquet, tout en rendant hommage à son prédécesseur, avait annoncé vouloir donner une « version opératique » à ce Messie. S’éloignant d’une interprétation trop religieuse et intériorisée, la proposition de Niquet s’appuie résolument sur le récit biblique comme sur une épopée universelle dont il donne les étapes et qu’il rend vivante par le triple jeu allégé et vif, des parties orchestrales, des chœurs, et des cinq solistes.
Dans le texte en anglais, les paroles fortes des chœurs, des deux sopranos, du ténor, du contre-ténor et du baryton, font revivre, de l’Annonciation à la Résurrection et à la Rédemption, le mythe fondateur du christianisme.
Et il faut reconnaître à Hervé Niquet un talent exceptionnel quand il dirige du Haendel, le véritable ADN de la formation qu’il a créée en 1987, Le Concert spirituel et qui, des instruments baroques aux chœurs spécialistes de ce répertoire, insufflent une force et une vérité impressionnante à ce Messie.
Il en donne la lecture théâtrale que souhaitait Haendel qui compose cet oratorio en anglais peu près avoir abandonné l’opéra italien confronté aux déboires des rivalités entre les deux compagnies productrices, la sienne et celle de Nicola Porpora, dont nous avons parlé dans l’article consacré à Polifemo.
Le compositeur, qui ne se consacre plus qu’à l’oratorio dès son Saül (1739), conçoit en effet son Messie comme une œuvre lyrique qui n’aurait pas de mise en scène, mais déroulerait quand même un récit dont la veine théâtrale serait essentiellement musicale. Haendel compose ses oratorios sur la base de livrets et chaque « personnage » joue son propre rôle dans le récit inspiré de la Bible, ancien et nouveau testament.
Car si ce Messie narre en première partie les grandes prophéties de l’Ancien Testament dont l’Annonciation, la deuxième partie est consacrée à la condamnation, la mort et la Résurrection du Christ célébrée par un très fameux « Alleluyah » apothéose de la partie « historique ». Car la troisième partie est une formidable réflexion sur la Rédemption et l’espérance dans la tourmente. L’écrivain autrichien Stefan Zweig avait ainsi retenu la composition de ce Messie comme l’une des « très riches heures de l’Humanité », ouvrage qu’il écrivit en 1927 et qui consacre un chapitre à ce qu’il appelle « La résurrection de Georges-Friedrich Haendel ».
L’on a reproché parfois à l’interprétation du Concert spirituel un manque de « spiritualité » et une vulgarisation du « sacré ». À l’écoute de ces chœurs, nul excès dans l’incarnation, certes théâtrale, de ce Messiah façon drame sacré. Au contraire le subtil mélange des genres convient bien à Haendel et le choix des cinq solistes renforce cette diversité et favorise le dynamisme de la partition qui tend alors vers ce final sublime.
L’on est littéralement transporté par l’orchestre et les chœurs du Concert Spirituel dont les qualités sont inégalées dans l’interprétation vivante et racée de cette partition.
Dès la « sinfonia » (cette ouverture qui est presque un tube de la musique baroque), les instruments donnent leur meilleur et l’on ne perçoit même pas la sécheresse des premiers accords dont sont souvent victimes les cordes naturelles, tant le savoir-faire de cet orchestre baroque dépasse les autres dans ce répertoire. Et dès le « And the glory of the Lord », les chœurs leur donnent la réplique avec un sens de la fugue, de l’écho, de la réponse qui fuse servi par une diction parfaite de ce vieil anglais qui s’adapte si merveilleusement à la musique de Haendel et nous éloigne finalement des souvenirs « latins » des épîtres.
Et le « His yoke is easy, His burden is light », canon enivrant entre les voix de femmes et d’hommes, conclut la première partie de ce Messie avec brio tandis que la deuxième commence dans le même style avec le très balancé « Behold the Lamb of God ».
Nous apprécions alors tout particulièrement le solennel « the Lord gave the word » suivi de près par le très rythmé et tout en contrepoints « They sound is gone out » précédant le formidable et même grandiose « Allelujah » qui conclut la deuxième partie tandis que le « Thanks to be God » et le « Worthy is the lamb » ponctué par l’orgue termine ce Messie avec toute la classe nécessaire à cette œuvre grandiose.
Hervé Niquet a choisi cinq solistes habitués du baroque, mais qui chantent finalement dans des styles un peu différents les uns des autres et offre une palette d’interprétation elle-même très dynamique. Deux sopranos, un contre-ténor, un ténor et un baryton se partagent donc les différentes parties réservées aux solistes.
L’impressionnante soprano hongroise Emőke Baráth, rompue aux cascades de vocalises et autres trilles, nous offre une lecture ciselée, expressive tout en restant dans la sobriété qui sied à l’expression du sacré. Comme en écho la deuxième soprano, la jeune soprano franco-catalane Lauranne Oliva, qui avait remporté le Concours Voix nouvelles à l’Opéra-Comique, donne une lecture rafraichissante et parfaitement maitrisée et ce « partage » des tâches fonctionne très bien.
Le baryton allemand Benjamin Appl est un « diseur » de Lieder, répertoire où il excelle, mais il prouve lors de cette soirée, une faculté de chanter aussi avec un legato particulièrement soigné, ses parties sur le mode opératique qui domine dans la conception d’Hervé Niquet même si son premier air « Thus saith the Lord of Hosts » n’est pas des plus faciles avec une voix insuffisamment chauffée, petit défaut qui se corrigera très rapidement.
En fidèle à ce répertoire, le contre-ténor britannique Tim Mead est un brillant interprète tandis que le ténor irlandais Robin Tritschler montre quelques difficultés dans l’homogénéité des ornementations sans démériter pour autant.
Une soirée mémorable qui se termine par de très énergiques ovations du public !
Le Messie (Messiah) de Georg Friedrich Haendel, le 11 décembre 2024 au Théâtre des Champs-Élysées
Visuel : Hervé Niquet © Henri Buffetaut