Bertrand Bonello aime Schönberg . Il a découvert ses œuvres et son écriture musicale enfant grâce à son professeur de piano, il a passé son baccalauréat avec lui et a continué à le fréquenter à travers l’écoute de sa musique, sa peinture, la lecture de ses textes. Le partage de cette passion est un challenge qu’Olivier Mantéi – directeur général de la Cité de la musique-Philharmonie de Paris a provoqué. Cinéaste, mais aussi musicien, Bonello aborde cette nouvelle expérience avec enthousiasme et respect. Mais, un beau concert produit-il un bon spectacle ?
Une fosse blanche, carrée, parfaitement délimitée par un espace de déambulation où circulent deux comédien.e.s Julia Faure et Adrien Dantou dès l’entrée du public, occupe l’espace central de la grande salle de la Philharmonie de Paris. Un rideau de fils sur lequel vont être projetées des images est installé sur le devant de la scène. Derrière ce rideau apparaitra le piano disposé sur un promontoire. Deux écrans latéraux dérouleront les sur titrages et quelques vidéos. Le dispositif est impressionnant et le caractère des supports annoncés, musique, peintures, textes, images créées par le metteur en scène — cinéaste intrigue.
Le spectacle – performance auquel nous sommes conviés est pluridisciplinaire et conçu dans une transversalité affichée. Mais lorsque l’orchestre s’installe, Schönberg le compositeur est au centre. La conception de Transfiguré, 12 vies de Schönberg permet d’en réentendre les œuvres connues comme La nuit transfigurée (1899), Pelléas et Mélisande (1902 -1903) ou Le pierrot lunaire (1912) et d’en découvrir d’autres moins souvent jouées comme le superbe concerto pour piano opus 42 (1942). Le choix des œuvres comme des extraits a été fait en concertation entre la cheffe d’orchestre et le metteur en scène dans le souci de faire sentir sinon comprendre l’écriture du « plus grand inventeur formel du 20ᵉ siècle » comme le définit Bertrand Bonelllo. Les 12 pièces qui composent la soirée expriment l’évolution esthétique du compositeur et sa quête de nouveaux modes de composition. À travers ces choix, on perçoit l’imagination et la force créative qui ont animé Schönberg le faisant passer d’un post romantisme brillant à l’abstraction ; du romantisme du récit de la nuit transfigurée aux tonalités plus âtres lorsqu’on approche l’année 1933, année de son départ aux USA.
L’Orchestre de Paris dirigée par Ariane Matiakh assume parfaitement cette soirée composée d’extraits d’œuvres qu’il aurait sans doute aimé interpréter dans leur entier. Le choix chronologique impose des changements d’ambiance et demande aux interprètes sensibilité et plasticité. Dans la pluridisciplinarité voulue par le metteur en scène, l’orchestre sait laisser textes, images, mouvement prendre leur place, bien qu’il semble lui-même un peu à l’étroit dans la mise en espace. La soprano Sarah Aristidou séduit par sa voix, mais aussi par sa présence qui donne du relief au dispositif scénique. Le pianiste David Kadouch fait corps avec cette musique dite difficile et souvent vécue comme déroutante. Les pièces pour piano sont superbement interprétées comme les Six petites pièces pour piano opus19 (1911) et la Suite pour piano opus 25 (1921), première œuvre véritablement dodécaphonique. L’association du piano et des projections des tableaux de Schönberg essentiellement des autoportraits, parais un instant suspendu ; ces peintures peu exposées dévoilent la force d’un créateur incontournable du 20ᵉ siècle.
Le concept choisi pour parler de Schönberg (et surtout le faire entendre) nous balade à travers une diversité de sources dont l’association est audacieuse si ce n’est aboutie. L’écriture scénique s’appuie sur la musique et les images qu’elle suscite ; malheureusement, en adoptant un dispositif scénique relativement strict, presque austère, le metteur en scène cadre le regard, l’enferme, ce qui empêche parfois le mouvement de l’esprit. S’engager dans une entreprise qui mobilise 200 personnes et plusieurs disciplines autour d’une œuvre imposante requiert une excellente connaissance des œuvres -ce qui est le cas de Bertrand Bonello- mais aussi une maitrise de l’association des facteurs mouvements – espace – temps, matières du spectacle vivant. Une recherche de phrasé dans la mise en scène éviterait quelques écueils ; elle nous prendrait par la main sans la lâcher dans ce cheminement passionnant, car se laisser embarquer par Schönberg est un bonheur.
Transfiguré, 12 Vies de Schönberg, par Bertrand Bonello, à la Philharmonie de Paris le 10 et 11 janvier.
À voir sur Arte en septembre 2024.
Visuel : — War and Peace – © Giacomo Carmagnola