Tonhalle-Orchester de Zurich et Vikingur Olafsson à la Philharmonie : magistral

Concert Românesc de György Ligeti

Le « Concert Românesc » représente une étape charnière dans l’évolution créative de Ligeti. Composée en 1951, cette œuvre orchestrale se situe à la croisée des chemins entre tradition et innovation, avant que le compositeur ne développe pleinement le langage expérimental et avant-gardiste qui fera sa renommée. Résidant encore en Hongrie avant son exil vers l’Ouest en 1956 suite à l’insurrection, Ligeti verra cette pièce censurée dans son pays d’origine. Sa première publique n’aura lieu qu’en 1971, à Fish Creek aux États-Unis.

L’œuvre, structurée en quatre mouvements, puise son inspiration dans les traditions musicales roumaines, particulièrement dans les mélodies et rythmes de Transylvanie, région qui a bercé l’enfance du compositeur. L’influence bartokienne y est palpable, mais Ligeti transcende cet héritage par un traitement singulier des enchaînements et des rapports de tempo, insufflant une modernité profondément personnelle. On y découvre des sonorités inédites et des explorations harmoniques audacieuses, sans jamais sacrifier l’accessibilité de l’ensemble.

Sous la direction de Paavo Järvi, l’orchestre a navigué avec une précision remarquable dans les méandres de cette partition, donnant corps et relief à cette musique aux accents folkloriques traversée de multiples ruptures rythmiques.

After the Fall de John Adams

Puis vint l’instant tant attendu. Vikingur Ólafsson fit son entrée sous une salve d’applaudissements à la hauteur de sa réputation, conservant malgré ses quarante ans cette allure juvénile qui le caractérise.
Initié au piano dès son plus jeune âge par sa mère en Islande, il poursuivit ses études à Juilliard où il obtint successivement un Bachelor puis un Master. En 2009, il enregistra son premier album, avant de signer en 2016 avec le prestigieux label Deutsche Grammophon pour l’album « Piano Works » de Philip Glass, compositeur avec lequel il entretient une profonde complicité. Le 3 février 2025, il fut récompensé par un Grammy Award dans la catégorie « Best Classical Instrumental Solo » pour son interprétation magistrale des « Variations Goldberg » de J.S. Bach.

Le concerto pour piano et orchestre de John Adams, le troisième de cette envergure dans son catalogue, résulte d’une commande conjointe de plusieurs institutions prestigieuses, dont le Tonhalle Orchester Zürich et la Philharmonie de Paris.

John Adams, profondément marqué par le jeu d’Ólafsson lors d’une tournée européenne sous sa direction, ainsi que par sa connaissance exhaustive de son répertoire, a composé « After the Fall » en 2024 spécifiquement pour lui.

Selon les mots du compositeur : « Vikingur possède un éventail extrêmement large de possibilités expressives. Ses interprétations de Rameau, Bach et Mozart sont d’une incroyable délicatesse, mais quand la musique le requiert, il sait tirer de son piano un son puissant sans agressivité. J’ai essayé d’intégrer cette sensibilité dans « After the Fall ». » L’interprétation à laquelle nous avons assisté incarnait parfaitement cette vision.

L’œuvre se déploie en un mouvement unique, articulé en sections narratives évocatrices. Elle s’inspire d’images de champs, de vol, de turbulences, de poursuites et de battements cardiaques. Son titre fait écho à un autre concerto pour piano, « No Such Spring », composé par Samuel Carl Adams, fils du compositeur.

La création mondiale s’est tenue avec le San Francisco Symphony, interprétée par Víkingur Ólafsson sous la direction de David Robertson, entre le 16 et le 19 janvier.

La prestation d’Ólafsson et la symbiose parfaite avec l’orchestre ont électrisé l’auditoire, déclenchant une ovation méritée. Sa passion communicative pour ce concerto était manifeste, insufflant une énergie saisissante à cette œuvre rythmiquement complexe.

En guise de remerciement, il nous offrit deux extraits des « Variations Goldberg » de Bach, un pur moment de grâce qui confirma, s’il en était besoin, le jugement d’Adams sur son « incroyable délicatesse ». De Rameau à Philip Glass, il sublime chaque partition qu’il aborde.

Symphonie n°3 de Robert Schumann

Après l’entracte, plus de cent musiciens du Tonhalle-Orchester de Zurich ont investi la scène pour interpréter la célèbre « Symphonie rhénane » de Schumann. L’acoustique exceptionnelle de la salle Boulez nous permit d’apprécier toute la palette sonore de l’orchestre, jusqu’aux tintements les plus subtils du triangle.

Composée en 1850, après l’installation de Schumann à Düsseldorf, cette symphonie s’inspire du Rhin et des paysages qui le bordent, d’où son surnom évocateur. Sa structure en cinq mouvements, inhabituelle pour l’époque, se déploie ainsi :

• Lebhaft (Vivace)
• Scherzo: Sehr mäßig (Très modéré)
• Nicht schnell (Pas rapide)
• Feierlich (Solennel)
• Lebhaft (Vivace)

Le premier mouvement, bien que solennel, dégage une atmosphère festive et pastorale, contrastant avec le quatrième qui évoque davantage une cérémonie à la cathédrale de Cologne. L’œuvre entière se distingue par sa richesse mélodique romantique et son caractère descriptif, dans la lignée beethovénienne.

Dans ses écrits critiques, notamment dans sa revue « Neue Zeitschrift für Musik », Schumann faisait souvent référence à Beethoven comme modèle insurpassable. Pourtant, il a su assimiler cet héritage en forgeant un langage musical profondément original, plus introspectif et littéraire que celui de son illustre prédécesseur.

La maîtrise de Paavo Järvi à la tête d’un effectif aussi imposant dans une œuvre d’une telle ampleur nous a particulièrement impressionnés.

En réponse aux applaudissements nourris, l’orchestre gratifia l’assistance d’une version orchestrale de la « Danse Hongroise n°1 » de Brahms en guise de bis.

Quelle plus belle conclusion pour cette soirée d’exception !