En trio et en quatuor, les adelphes Moreau – Edgar et Raphaëlle – , David Kadouch et Raphaël Sévère explorent Beethoven et Messiaen avec une rare acuité. Entente, technicité et sensibilité au programme de ce très beau concert du dimanche matin.
Par Suzanne Canessa.
On connaît la complicité qui unit David Kadouch à Edgar Moreau : régulièrement présents en duo et autour de différents compositeurs, de musique française – mais pas que ! – les deux instrumentistes savent s’attaquer avec musicalité à des partitions souvent ardues, sans forcer sur l’épate et sans pour autant renoncer à un lyrisme certain. On sait aussi que le violoncelliste aime également se produire en famille, riche d’une fratrie comportant trois autres grands musiciens en devenir. Dont sa cadette, Raphaëlle Moreau, violoniste au parcours déjà ahurissant : nomination aux Victoires de la Musique, Konzertmeister du Gustav Mahler Jugendorchester … Autant dire qu’on pouvait en attendre beaucoup de ce jeune et joyeux trio.
Et on avait bien raison : l’entente entre les trois musiciens sur Beethoven et son opus 11 est manifeste, et même admirable. Les jeux de question et réponse entre les instruments à cordes, la finesse des traits et l’intuitivité mélodique subliment une œuvre à laquelle on n’aurait jusqu’alors prêté que peu d’attention. Le premier mouvement, virtuose, révèle les qualités d’entente de l’ensemble. Le second laisse poindre une réelle émotion : les graves sombres et poignants du violoncelle s’unissent avec grâce à un piano pudique. Le final déploie ses variations avec vigueur : David Kadouch s’y impose davantage comme soliste, avant que le fugato entre violon et violoncelle ne s’impose. Nuances, tonalités, caractères s’enchaînent sans temps mort, rappelant la riche palette expressive de musiciens ne manquant ni de ressources, ni d’idées.
S’ensuit un Quatuor pour la Fin du Temps enrichi de la présence de Raphaël Sévère à la clarinette. Et une formation quatuor peu commune, pensé par Olivier Messiaen lors de sa déportation au Stalag de Görlitz, avec les musiciens présents auprès de lui. Souvent réduit à cette funeste genèse, à une supposée noirceur du propos à la violence de sa « Danse de la Fureur », le Quatuor pour la Fin du Temps plaide pourtant, dans son abolition rythmique du temps musical, et dans l’enchaînement de ses harmonies moins dissonantes qu’éthérées, pour la foi dans un avenir meilleur. C’est du moins ce que semblent dessiner les chatoyantes mélopées modales esquissées par une clarinette brillante, jouant ici les Anges et les Oiseaux – ce qui équivaut, pour le compositeur, peu ou prou à la même chose. En tutti, les instrumentistes annoncent et entérinent la fin du Temps à coup d’unisson et de vigueur rythmique et thématique. Mais ce sont bien les poétiques et chromatiques louanges, doucement chantées par le piano et le violoncelle, puis le piano et le violon en conclusion, qui s’imposent au spectateur dans toute leur beauté. Le travail admirable sur les nuances, les modes de jeux et le rubato révèlent un sens de la couleur inouï.
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