Après son triomphe récent dans L’autre Voyage, Stéphane Degout nous proposait le célèbre Winterreise, cet inéluctable voyage romantique et désespéré vers la mort. En orfèvre du beau phrasé, il nous a merveilleusement transmis toute la tristesse de cette dernière odyssée.
Nous savions depuis quelques années que le baryton Stéphane Degout avait tout à la fois la technique et la sensibilité pour nous proposer sa propre interprétation des cycles de Lieder allemands. L’an dernier à l’Athénée Louis Jouvet, dans le cadre les lundis musicaux, il avait déjà convaincu de son exceptionnel phrasé avec la Belle Maguelonne de Brahms puis était venu son enregistrement de différents opus de Schubert, Schumann, Weber, sorti récemment chez Harmonia Mundi sous l’intitulé Mein Traum.
La décision de franchir le pas en abordant, seul en scène avec son pianiste, le cycle le plus emblématique du romantisme allemand, s’imposait donc, d’autant que la voix évolue, s’élargit et correspond désormais parfaitement aux exigences du répertoire.
Et, malgré le stress évident dans cette belle salle Favart, totalement remplie, Stéphane Degout nous a conduits sur les chemins enneigés de cet hallucinant voyage, nous transmettant son extrême concentration, de celles qui subjuguent le public.
Dès le « Gute Nacht » (Bonne nuit), donné presque comme un murmure résigné face au malheur, Degout démontre sa capacité à incarner ce Wanderer désespéré. Le phrasé est souverain, l’allemand magnifiquement prononcé, la musique de Schubert sublimée. Le « Wetterfahne » (La girouette) qui suit, agile, rocailleux, presque coléreux, montre les variations que le baryton propose pour exprimer les différents états d’âme du poète. Et d’une manière générale, chaque Lied sera véritablement « dit » en même temps que chanté, avec un « Gefrorne Träme » (larmes gelées) bouleversant, ciselé, une voix devenant soudain fragile, au bord de la rupture, en évoquant ces larmes de glace tandis que le « Erstarrung » exprime le véritable saisissement de son « cœur pris dans la glace » Erstarrung, sur un rythme rapide, pressé, angoissé.
Et nous avons pu pleinement apprécier son « Lindenbaum » qui commence par la description presque tranquille des lieux avant de se rompre sur les derniers vers et l’annonce du « repos, là-bas ».
Un « Wasserflut » (Déluge) suit avec quelques forte sur les deux vers accentués, un « Auf dem Flusse » (dans le courant) où le legato est roi, avant le final sautillant et déchirant. L’eau, la neige, la glace, la tristesse…et toujours, l’angoisse et la mélancolie des Lieder qui suivent.
Car Winterreise c’est vingt-quatre véritables stations où l’attirance vers la mort inéluctable, se précise et où le trait se fait plus accusé, les écarts de notes plus meurtriers, les difficultés plus nombreuses.
L’interprète se libère de plus en plus au fur et à mesure de ce cheminement, et nous offre en particulier un « Die Post » (la Poste) puis un « Die Krähe » (la corneille) et surtout un « Letzte Hoffnung » (dernier espoir), d’anthologie. Et il sait parfaitement amener ce sentiment de lutte perdue d’avance contre les éléments déchainés dans « Mut » (courage), ses hallucinations dans « Die Nebensonnen » (les faux soleils) pour terminer en apothéose sur l’inoubliable « Leiermann » (le joueur de vielle) qui annonce la fin du voyage, apaisée, presque chuchotée, merveilleuse d’émotion.
Stéphane Degout ne fait pas le choix de l’expression théâtrale du cycle. Il préfère l’intériorisation gestuelle et l’expressivité des couleurs de son chant. Et c’est incontestablement ce qui lui convient le mieux.
Presque replié sur lui-même, évitant de croiser les regards du public, il s’évade dans ce monde froid et glacé du malheur, des pensées sinistres, de cette attirance pour la mort et nous propose de l’accompagner dans la superbe expression de sa solitude.
On lui pardonnera sans problème, quelques très légères baisses de régime sans conséquence, et compréhensibles pour une première fois.
Concernant l’accompagnement piano souvent virtuose de Alain Planès, nous serons un peu plus circonspects malgré de très grands moments où piano et chant s’accordaient parfaitement. Quelques fausses notes montrent cependant des limites dans le travail préparatoire sur un piano lui-même historique, un Pleyel de 1837.
Alain Planès nous a également proposé, en soliste, l’Allegretto D915 en do mineur de Schubert au milieu du cycle. Si la proximité musicale est incontestable, le choix est discutable, le cycle s’exécute en général sans discontinuité.
La soirée s’est terminée sur de nombreux rappels saluant les artistes et nous ne pouvons que souhaiter à Stéphane Degout de poursuivre l’exploration de ce vaste répertoire du Lied qui lui va très bien !
Photo : © Planès Photo DR