Le concert du 6 avril a donné le départ du 28ᵉ festival de Pâques qui achèvera sa course le 27 du même mois. Mais dans cette compétition, les purs-sangs sont les virtuoses qui font vibrer les corps de nobles instruments.
En effet, depuis 1997, c’est dans cette station balnéaire normande, sous l’impulsion de Renaud Capuçon que se déroule cet événement qui tient également lieu de résidence d’artistes. À l’époque, le jeune musicien avait sollicité les conseils d’Yves Petit de Voize, alors rédacteur en chef du magazine Diapason, ancien directeur artistique du festival de Montreux, pour mener à bien cette aventure. Celui-ci est toujours présent ! Directeur artistique de l’août Musical de Deauville qui prolonge le Festival de Pâques, il en a lancé par quelques mots, sur scène, la saison 2024. Ainsi, cette année encore, dix jeunes musiciens parmi les plus talentueux de leur spécialité seront cooptés par leurs ainés et travailleront de concert à faire vivre cette « pépinière de talents », ce laboratoire musical. La première soirée s’est donc ouverte le 6 avril sur un programme riche d’une belle diversité musicale proposant les œuvres du répertoire de Schubert, Greif et Prokofiev.
Le piano était à l’honneur au fond de cette scène circulaire qui sert habituellement à la vente de chevaux de courses. On n’est pas à Deauville pour rien ! Mais c’est vers un autre bestiaire que les concertistes, emmenés par le courant énergique du jeune pianiste Arthur Hinnewinkel, 23 ans, ont entraîné leur public avec la Truite. Le Quintette pour piano et cordes en la majeur D. 667 « La Truite » de Franz Schubert, notamment portée par la clarinette de Raphaël Sévère, aurait pu être un choix très classique, voire trop sage pour une entrée en matière, mais l’interprétation qui en a été donnée, vive et subtile, a offert à l’auditoire un spectacle non seulement sonore, mais visuel. Le plaisir du jeu des musiciens, Emmanuel Coppey, et Vassily Chmykov aux violons, leur connivence, leur écoute mutuelle tandis qu’ils jouaient ce quintette, ne pouvaient échapper aux heureux spectateurs de ce soir-là. La première partie du programme a également permis de prendre toute la mesure de l’acoustique de la salle Elie de Brignac-Arqana. En effet, celle-ci avec son cadre constitué entièrement en bois s’est avérée être idéale pour magnifier les résonances harmoniques des instruments.
Puis, la Truite frétillante, mais bien élevée, a cédé la place à une œuvre peut être moins célèbre, mais combien fascinante, Ich ruf zu Dir d’Olivier Greif. L’assistance a cependant pu se sentir un tantinet désarçonnée aux premières mesures, tant sa structure musicale l’éloignait de l’atmosphère de la première partie du concert. On peut rapprocher la musique de ce compositeur du XXe siècle de celle de Stockhausen, ici l’utilisation faite des cordes, à peine frottées par les archets, faisait naître une mélodie erratique, comme un grincement surnaturel. La performance du jeune pianiste Gabriel Durliat, 21 ans, dont l’exécution précise et sans fioritures aux mouvements parfois brusques qui répondaient aux inflexions inattendues de la clarinette de Raphaël Sévère, a mis en valeur toute la dramaturgie de l’œuvre de Greif a totalement captivé l’attention du public. On ne peut que rendre hommage à la force de concentration des artistes tant la partition de la composition d’Olivier Greif exige d’eux une attention et un suivi scrupuleux. Le contrebassiste Yann Dubost, appuyant sur ses pédales pour faire défiler les mesures qui s’affichaient sur son iPad, a paru un moment étonné de devoir laisser de si longs silences avant d’affronter la création d’un maelström anharmonique de toute beauté.
Le final, Ouverture sur des thèmes juifs pour piano, clarinette et quatuor à cordes op. 34 de Sergueï Prokofiev a permis de clore la soirée sur une note plus harmonique. À l’opposé de certaines interprétations exaltant les racines folkloriques de cette œuvre magnifique, les musiciens ont opté pour un univers plus sobre afin de rester en adéquation avec la composition précédente.
Brahms, Bach, Mahler, Dvořák, Schönberg seront également à l’honneur tout au long de ce festival printanier éclectique, à la fois aussi proche du sable des plages que celui des champs de courses hippiques.
Visuel : © Claude Doaré