Le jeudi 12 septembre, à la bibliothèque musicale La Grange-Fleuret dans le 8e arrondissement de Paris, nous avons fait la connaissance de Joshua Weilerstein, le nouveau directeur musical de l’Orchestre national de Lille de 36 ans. Il était accompagné du directeur général François Bou et du directeur de la programmation Fabio Sinacori.
Après avoir été chef de la Philharmonie de New York, ce violoniste et chef d’orchestre de formation, originaire d’une famille de musiciens, prend la succession d’Alexandre Bloch en tant que directeur musical de l’Orchestre national de Lille. Ce rôle crucial pour l’orchestre implique notamment d’insuffler enthousiasme et motivation aux musiciens, mais permet aussi d’inscrire l’orchestre sur la carte internationale des grands orchestres symphoniques. Pendant cette conférence, les représentants de l’orchestre ont mis en avant la volonté de passer à un « nouvel air » de l’orchestre. Le changement de directeur musical a aussi accompagné un renouvellement de la direction artistique de l’orchestre, avec notamment un nouveau logo et une esthétique plus moderne et vivante. François Bon présente cela comme un « nettoyage de printemps », l’envie de redonner une énergie nouvelle à l’orchestre afin que celui-ci puisse aller encore plus loin que ces capacités actuelles. Un tel changement ne s’est pas fait si rapidement, la première candidature de l’actuel directeur musical datant de 2023. Depuis, cette candidature a accompagné toute une réflexion sur la manière dont l’orchestre pouvait se moderniser, sans déroger à sa discipline et à son authenticité.
Entre tradition et modernité, Joshua Weilerstein souhaite « casser le 4e mur » entre le public et les musiciens, rendre la musique classique plus accessible et sortir de cette image très codifiée qui entourait jusqu’ici ce genre musical d’anthologie. Le jeune directeur explicite son propos en racontant une anecdote sur l’ancien président américain Barack Obama, qui avait dit avant un concert d’opéra : « Je demanderai à Michelle quand applaudir ». Joshua Weilerstein utilise cet exemple pour exprimer sa volonté de sortir l’opéra et la musique classique de leurs stigmates élitistes, afin d’étendre son impact au plus large public possible.
Accompagnant ainsi une programmation qui, pour le moment, reste assez « classique » avec Faust, Gounod, et la 5e symphonie de Berlioz, le directeur souhaite cependant retravailler la connexion entre le public et les musiciens, que ces deux se comprennent et se connectent de façon plus intime. L’expérience musicale est, selon lui, plus qu’une simple expérience auditive, c’est un moment de partage et d’échange entre l’orchestre et le public. Il est d’ailleurs important de mentionner que Joshua Weilerstein a fait l’unanimité auprès des musiciens de l’orchestre, lui qui a été présenté comme unique candidat pour ce poste. C’est un réel coup de foudre professionnel qui eut lieu, le nouveau directeur décrivant sa première répétition avec les musiciens de l’orchestre comme inédite. Il mentionne leur « énergie volcanique » qui l’a tout de suite frappé. Il appuie sur le fait que l’orchestre montre beaucoup de potentiel, et notamment dans son objectif de rendre sa performance « identifiable » dans tous les registres.
C’est une nouvelle saison pleine de surprises et de nouveautés que nous propose l’Orchestre national de Lille, rafraîchissante, mais toujours de qualité. Nous avons pu poser quelques questions à Joshua Weilerstein :
C’est vrai que je vis à Londres et qu’au cœur de mes nombreux voyages pour la musique, j’ai posé mes valises à Lausanne et à Aalborg au Danemark. Et je suis très heureux d’arriver à Lille. J’ai déjà eu l’occasion de diriger l’orchestre en participant à un marathon Mozart aux côtés de Jean-Claude Casadesus et d’Alexandre Bloch, les deux précédents directeurs artistiques de l’orchestre, en juin dernier, lors du 20e festival Lille Piano(s). Au programme du 17 octobre, il y aura des compositeurs américains, Ives et le concerto pour piano en fa de Gershwin, mais aussi du Ravel avec sa Valse et son Tombeau de Couperin…
Je m’en réjouis beaucoup. C’est en effet très particulier ce qu’ont réussi à créer Jean-Claude Casadesus – qui revient d’ailleurs, selon la tradition, diriger l’orchestre qu’il a créé à la fin du mois de février – puis Alexandre Bloch depuis 1976. Tous les Lillois connaissent leur orchestre, ils y tiennent avec beaucoup d’affects, ce qui ouvre bien des perspectives pour choisir des programmations éclectiques et ouvrir les répertoires.
La « musique classique» est naturellement éclectique. Quand on y pense, c’est absolument formidable et aussi un peu fou que l’on classe sous le même étendard de « musique classique » les œuvres des compositeurs aussi différents que Beethoven, Brahms, Ravel, Rachmaninov et Gershwin. À partir de là, il est naturel de vouloir pousser les limites et les frontières du « répertoire », surtout avec une machine aussi sophistiquée qu’un orchestre.
Absolument. L’Orchestre national de Lille a interprété avec Alexandre Bloch l’intégrale des symphonies de Mahler et il y a là un fil de continuité important. Alexandre Bloch a été très généreux en conseils et en attention et il y a en effet une chaîne qui se construit. Néanmoins, et cela me marque également dans l’histoire de la musique quand on entend les plus grands chefs d’orchestre : c’est fou comme une œuvre est différente selon l’interprétation. J’ai entendu la 5e de Mahler dirigée par Alexandre et évidemment ma manière de conduire l’ONL dans la 5e est très différente.
Évidemment, dans un contexte politique où l’antisémitisme explose en France, en Angleterre, aux États-Unis, et où la guerre se poursuit depuis plus de deux ans et demi en Ukraine, ces œuvres résonnent fort avec ce que nous sommes en train de traverser. Même si la musique ne peut pas et ne pas doit dicter la manière dont nous devons penser, elle a un rôle à jouer, notamment celui de créer les conditions de sonder sa propre conscience. J’avais d’ailleurs tenté de proposer de jouer la symphonie 13 de Chostakovitch juste avant la guerre en Ukraine, mais je n’ai pas pu la jouer. C’est assez compliqué.
En tout cas, je vais essayer de proposer des formats plus courts pour pouvoir le poursuivre et le rendre encore plus accessible.
Photos : © Ugo Ponte ONL