Ce samedi en fin d’après-midi, autour de Fauré et Ravel, nous avons eu un délicieux et lumineux concert au Studio de la Philharmonie de Paris, avec Elsa Dreisig, Celia Oneto Bensaid et des musiciens de l’Orchestre de Paris, le tout doublé en chansigne.
La Philharmonie de Paris s’attache à donner des concerts doublés en langage des signes depuis 2021. Cette fois c’est le collectif « Intégral » qui assurait des traductions simultanées des paroles. C’est donc un public inhabituel et manifestement passionné qui occupait une bonne partie des places du Studio, cette salle réservée le plus souvent aux répétitions.
Il y a quelques mois nous avions déjà assisté à la représentation d’un Fidelio doublé en chansigne par le Deaf West Theatre où, en hommage à la surdité de Beethoven, des acteurs doublaient les paroles et jouaient les rôles de l’opéra sur la scène de la Grande Salle Pierre Boulez. Une entreprise complexe s’il en est !
Pour le récital d’Elsa Dreisig, la traduction est plus simple et se concentre uniquement sur les paroles des chansons. Et il est vrai que le choix de la soprano de puiser intelligemment dans le répertoire de Ravel et de Fauré s’avère très judicieux. Elle valorise la beauté des poèmes mis en musique, de son timbre lumineux et d’une clarté impressionnante.
Accompagnée par le piano virtuose et toujours inspiré de Celia Oneto Bensaïd, Elsa Dreisig commence par une « Ballade de la reine morte d’aimer » très mélodique, où la pureté de son timbre fait merveille tandis qu’elle confirme une aisance désormais parfaite dans les aigus longuement tenus. C’est une composition du jeune Ravel (1893) où se répondent ligne de chant sobre et martèlement du piano, l’ensemble formant un délicat alliage où la complicité des deux jeunes femmes fait merveille.
Le charme se poursuit avec « les Trois beaux oiseaux du paradis» composé en 1916 par un Ravel beaucoup plus expérimenté qui donne à cette chanson un aspect éthéré admirablement rendu par la voix d’Elsa Dreisig avec cette obsessionnelle ritournelle « Ton ami z’il est à la guerre » et ce long aigu final qui semble s’évanouir dans le ciel.
Le troisième titre, « Tripatos », extrait des « cinq mélodies populaires grecques » est un exercice de virtuosité fort plaisant, chanson autant que danse d’ailleurs, virevoltante et dynamique.
Les Trois Poèmes de Stéphane Mallarmé qui suivent ont été mis en musique par Maurice Ravel en 1913 pour voix de soprano, deux flûtes, deux clarinettes, piano et quatuor à cordes.
Elsa Dreisig s’entoure donc de quelques brillants instrumentistes de l’orchestre de Paris, résidents à la Philharmonie de Paris, pour offrir un écrin à sa voix et interpréter successivement, l’évanescent et délicat « Soupir » (dédié à Igor Stravinsky) où la voix se pose par-dessus le jeu des cordes observant une lenteur calculée, le complexe « Placet futile » (dédié à Florent Schmitt), où les écarts de notes hors tonalité et les changements de rythme donnent une évidente richesse à la partition, le piano faisant irruption en cours de route. Fantaisie à nouveau avec le dernier poème, « Surgi de la croupe et du bond » ( dédié à Erik Satie) où la flûtiste échange son instrument pour un piccolo, cette petite flûte très aiguë tandis qu’en contrepoint la clarinette devient clarinette basse. Les instrumentistes nous offrent une étrange et très musicale courte introduction avant que la voix ne prenne le relai et ne domine l’ensemble tant l’accompagnement se fait discret. Elsa Dreisig montre une fois encore, son grand sens de l’interprétation dans la chanson française à tonalité complexe comme elle l’a fait à maintes reprises dans le plus classique Lied allemand. Et sa voix épouse à merveille ces différents styles, du grave profond à l’aigu percutant et longuement tenu, elle ne connait aucune difficulté et domine son sujet de manière impressionnante.
Ce sera d’ailleurs tout autant le cas, avec les neuf mélodies que Gabriel Fauré a composées sur le recueil « La Bonne chanson » de Verlaine, qui conclut le concert avec le retour de Elsa Dreisig et des instrumentistes sur scène. L’œuvre est composée par Fauré en 1894, et dédiée à la cantatrice française Emma Bardac dont il était amoureux. Fauré a lui-même transposé l’accompagnement piano et accompagnement pour quintette (deux violons, alto, violoncelle et contrebasse), version que nous présente Elsa Dreisig pour finir le concert en beauté.
De « Une sainte en son auréole » à « l’hiver a cessé », les neuf poèmes progressent dans la clarté et la luminosité propre à ce compositeur qui travaillait en étroite collaboration avec l’artiste qu’il adorait.
Parlant de ce travail, il confiait « Je n’ai rien écrit jamais aussi spontanément que La Bonne Chanson. Je puis, je dois ajouter que j’y ai été aidé par une spontanéité de compréhension au moins égale de la part de celle qui en est restée la plus émouvante interprète. Le plaisir de sentir vivre et s’animer ces petits feuillets au fur et à mesure que je les apportais, je ne l’ai plus rencontré jamais ». Et l’on a plaisir à se dire que notre belle soprano a adopté avec talent cette fraicheur et ce naturel dans l’interprétation qui convient si bien au style de la chanson française.
Entre deux, nous avons eu une partie purement instrumentale, le quatuor à cordes de Ravel, composé en 1903 et créé en 1904 à la Schola Cantorum de Paris, dédié à Gabriel Fauré qui était son professeur de composition. Le quatuor composé parmi les instrumentistes de l’Orchestre de Paris (deux violons, un alto, un violoncelle) s’attaque à l’œuvre complexe de Ravel, l’un des plus beaux quatuors de cette période, en quatre mouvements très contrastés, qui culmine après un mouvement très lent, par un rythme « vif et agité » qui permet aux instrumentistes de donner toute la mesure de leur talent.
Durant cette partie, Elsa Dreisig et Célia Oneto Bensaïd sont venues s’installer dans la salle pour écouter leurs collègues.
Une ambiance simple et chaleureuse, pour un concert de très grande qualité, et un début de soirée magique. Et les ovations d’un public comblé !
Elsa Dreisig et les musiciens de l’Orchestre de Paris – Célia Oneto Bensaid – Ravel, Fauré
Visuels : © Capucine de Chocqueuse / Caroline Doutre ; Elsa Dreisig © Simon Fowler ; personnel