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Raphael Nussbaumer et Kateryna Tereshchenko. 4 mains et 2 voix au Gstaad Menuhin Festival

par Katia Bayer
03.09.2024

Raphael Nussbaumer et Kateryna Tereshchenko se connaissent et travaillent ensemble depuis longtemps. Réunis le temps d’un concert au Menuhin Festival Gstaad, courant août, ils ont joué, l’un au violon, l’autre au piano, un récital composé entre autres de sonates de Bach, Schubert et Brahms. Après leur concert très applaudi dans la charmante Chapelle de Gstaad, nous les avons réunis pour évoquer leurs origines, leur quotidien et leur vie hors de la musique classique.

Comment vous êtes-vous choisis tous les deux ?

Kateryna Tereshchenko : Nous avons eu le même professeur, Philip Draganov. Raphael a commencé à jouer du violon très jeune. Depuis qu’il a 6 ans, nous jouons ensemble. Dès le départ, c’était déjà évident qu’il était une petite star et que je devais tout faire pour l’assister afin de jouer, mais dès qu’il a commencé à grandir, il a évolué aussi en tant que musicien. Maintenant, nous formons vraiment un duo, nous conversons en jouant. Je ne l’aide plus, nous faisons vraiment de la musique ensemble. Avec Raphael, ça a toujours été amusant, car il est plein d’énergie et l’atmosphère est super quand il joue.

Pouvez-vous nous parler de votre parcours respectif ?

Raphael Nussbaumer : Je suis né à Lachen, dans le canton de Zurich, et puis, j’ai grandi à Altendorf. Ma mère est thaïlandaise et mon père est suisse. Mon père joue du violon, mon grand-père et ma sœur aussi. Mon parrain est luthier. Il y a toujours eu de la musique chez moi. Je ne sais pas très bien comment je suis arrivé au violon, je pense que c’est lié au fait que mon parrain fabriquait des tout petits violons que je considérais comme des jouets qu’on gratte et qui font du bruit.

K.T : Je suis née en Ukraine, à Soumy. J’ai grandi à Dnipro et étudié à Kiev. Mes parents sont tous deux pianistes, ça a été très naturel pour moi de me mettre à la musique. A 19 ans, je suis venue étudier en Suisse, à Zurich. J’y ai étudié pendant six bonnes années et puis, j’ai fait de nombreux concerts.

Que ressentez-vous lorsque vous jouez ?

R.N : Pour moi, l’essence de la musique, c’est de jouer avec d’autres personnes.

K.T : Pour moi aussi, c’est intéressant d’interagir avec d’autres personnes. Par exemple, avec Raphael, je m’adapte en fonction de son énergie. On réagit l’un à l’autre. On sourit beaucoup aussi parce qu’on s’amuse. Quand on joue, on essaye de ne pas montrer qu’on travaille, mais qu’on raconte des histoires. Nous voulons être nous-mêmes sur scène, que les gens rentrent chez eux, plein d’émotions.

R.N : Je pense que je m’oublie quand je joue, que la musique m’emmène quelque part. J’ai besoin d’être moi, mais de m’oublier un petit peu. Quand je me sens bien, quand on se sent bien à deux, le public, lui aussi, se sent bien.

Est-ce un moyen pour vous de réduire la pression ? Pensez-vous au public avant de jouer ?

R.N : Quand il y a beaucoup de monde dans la salle, on sent que l’ambiance est électrique. Mais même s’il y a 10 personnes ou juste une, le fait de savoir que quelqu’un nous écoute, c’est quelque chose que nous apprécions. Pour moi, ce n’est pas de la pression, mais du bonheur. Quand je monte sur scène, je me dis que le public est présent pour écouter de la musique et que nous sommes là pour créer cette musique.

K.T : Je pense que le concert a un but précis, celui de conquérir le public. Vous ressentez les réactions. Le public vous aide, vous soutient et parfois, ne respire presque pas pour vous accompagner dans votre morceau ! J’utilise l’énergie de la salle. Vous devez emmener le public avec vous, en quelque sorte, ça a m’aide beaucoup. La pression n’est pas ce qui compte. Peu importe qu’il y ait dix ou mille personnes, dans la salle, vous avez la même responsabilité, vous voulez juste transmettre vos idées.

Avez-vous le sentiment que vous avez encore des choses à apprendre ?

K.T : Oui, toujours. Par exemple, jouer avec de grands musiciens permet d’en apprendre davantage sur les compositeurs, de mieux comprendre ce qu’ils disaient. Enfants, nous apprenions simplement à jouer, mais nous ne pensions pas tellement au contexte, à la période où les mélodies avaient été écrites. En tant qu’adultes, on s’intéresse aux intentions des compositeurs, aux détails, à ce qui est écrit. Pour moi, les bons concerts sont des bons enseignements.

R.N : Ce qu’il y a de beau dans l’apprentissage, c’est que personne ne peut vous l’enlever. Mais même quand on pense que c’est parfait, il y a toujours quelque chose à apprendre. L’inspiration de la mélodie et le compositeur de la musique doivent toujours arriver en premier, vous, vous intervenez ensuite avec votre personnalité. C’est important de ressentir et de jouer ce qui est écrit, mais avec votre âme et avec votre caractère.

Sur quels critères vous basez-vous pour approfondir cet enseignement ?

K.T : C’est complexe, car si on extrapole, on aimerait savoir quel genre de musique les gens écoutaient ou quel genre d’instruments, ils jouaient. Par exemple, le piano qu’on utilise aujourd’hui ne correspond pas à celui de l’époque. Nous apportons forcément une touche moderne. Nous sommes des personnes différentes d’elles. Nous sommes plus libres dans notre manière d’agir, nous disons davantage ce que nous pensons, notre style de vie est complètement différent, mais c’est intéressant de savoir ce qui se passait à l’époque où Bach écrivait à la lumière des bougies, tout seul et sans l’aide d’un ordinateur.

Écoutez-vous d’autres musiques que la classique ?

R.N : J’écoute du death metal, mais aussi du rock, du jazz et du swing. Parfois, pour moi, la musique classique est très stricte et j’ai besoin de m’évader. J’ai ressenti ça récemment à un concert de métal à Zurich, c’était plein d’énergie. Je pense que la musique classique devrait faire de même : quand il y a de l’énergie, de l’élan, il faut se laisser aller.

Et pour vous, Katarina ?

K.T : Pour moi, c’est différent. La meilleure musique, c’est le silence (rires !). Mon problème avec n’importe quelle musique, c’est que je commence à écouter les notes. J’ai une oreille absolue, tout comme Raphael. Si j’écoute le concerto de Beethoven chez moi, je continuerai à travailler. Et c’est bien de faire une pause.

Parlez-nous de votre discipline. Quel est le quotidien des musiciens professionnels comme vous ?

K.T : Pour moi, c’est différent de Raphael. On est à une autre étape de la vie. J’ai fini mes études et j’ai un chien qui s’appelle Benjamin !

R.N : Moi aussi, j’ai un chien. Il s’appelle Laika !

Se connaissent-ils ?

K.T : Pas encore ! Le chien de Raphael est bien plus jeune. Le mien a déjà 11 ans ! Quand la journée commence, je joue un peu pour moi, je répète ou j’enseigne. Entre tout cela, il faut trouver le temps de s’entraîner. Si vous avez un concert, vous devez jouer trois heures pour vous-même, en dehors de votre travail. Vous jouez et puis le soir, vous rentrez chez vous et vous promenez votre chien.

Et pour vous, Raphael ?

R.N : Je suis heureux d’être en vie et être en bonne santé. J’ai besoin de trois-quatre heures pour m’entraîner. Je pense que les bons musiciens ne doivent pas toujours penser à la musique en général.

Quelle est l’importance des festivals et des prix que vous recevez ?

R.N : Les compétitions sont vraiment importantes pour montrer au monde que l’on existe. Ce qui compte pour moi, c’est de faire de mon mieux. On n’a rien à perdre. Recevoir un prix est agréable, mais je n’y pense pas. Mon but, c’est de m’améliorer comme musicien. Ca m’intéresse plus de faire des concerts que de participer à des concours. Comme le disait Katarina, le concert, c’est le meilleur professeur. On se prépare, on glane ce qui marche, ça peut nous aider pour la suite. J’essaye de respecter un équilibre, de ne pas me surmener, de ne pas trop m’entraîner, de sortir avec des amis, de nager, …

Et pour vous, Katarina ?

K.T : J’ai perdu cet équilibre il y a longtemps (rires) ! Mais je pense que c’est quelque chose à faire quand on est jeune. Je pense que ça commence à faire partie de ton style et je suis heureuse que tu y réfléchisses déjà maintenant. Je suis une personne très heureuse, mais je travaille parfois sur mes limites. J’ai parfois l’impression d’être physiquement très fatiguée. Mais c’est ma faute.

Est-ce que vous pensez à construire votre carrière ?

K.T : Dans mon cas, je pense que ça marche mieux quand je n’y pense pas. Les opportunités se présentent. Je me concentre plutôt sur le fait de jouer de mon mieux. C’est de là que viennent la pression et la fatigue. Je n’ai pas pour objectif de faire carrière, mais de jouer dans des festivals auxquels j’aimerais vraiment participer tels que Verbier et celui de Menuhin bien entendu. Ici, les meilleurs musiciens viennent et on a envie d’approcher cette atmosphère. J’aime juste l’idée de me connecter avec les plus grands musiciens du monde.

Katarina, la situation en Ukraine vous impacte-t-elle au quotidien et sur le plan professionnel ? Comment arrivez-vous à vous focaliser sur votre musique tout en étant consciente de ce qui arrive là-bas ?

K.T : La musique m’a aidée. Quand la guerre a éclaté, j’avais des concerts de prévu. Au départ, je ne voulais que rester au lit, sous la couette, ne voir personne. Mes parents étaient là-bas, ma mère vit maintenant avec moi à Zurich pour la deuxième année. Quand tout a débuté, ça a été un choc. Il y a eu beaucoup d’émotions, vous ne pouvez rien manger, vous ne pouvez pas dormir. La musique aide un petit peu à s’évader de la réalité, à ne pas sombrer dans la folie. La musique triste que vous jouez devient encore plus triste… Les premières semaines ont été très difficiles. Au début, on a organisé des concerts de soutien pour l’Ukraine, nous sentions qu’au moins, on se rendait utile, on n’était pas juste assis à attendre. C’était notre façon de lutter avec nous-mêmes en évitant de tout arrêter. À un moment, j’ai senti que je me renforçais, et puis, ma mère a pu venir. Mon père est encore là, mais c’est une autre histoire. Je ne suis plus trop en contact avec les artistes sur place. Je suis partie il y a 17 ans et les artistes que je connaissais à mes débuts ont immigré eux aussi.

Propos recueillis par David Khalfa et Katia Bayer