Pour sa venue à la Philharmonie de Paris, Antonio Pappano dirigeait l’une des symphonies les plus légères de Chostakovitch et la célèbre Cinquième de Beethoven, tandis que la violoniste Janine Jansen se mesurait à l’un des plus complexes concertos du siècle dernier, composé par Benjamin Britten. Une belle soirée dans une salle comble pour accueillir le London Symphony Orchestra.
La symphonie n°9 de Chostakovitch a tout d’une espièglerie très éloignée des œuvres graves et tragiques du compositeur russe que sont ses deux précédentes symphonies écrites pendant la guerre, dont la célèbre n°7 intitulée Leningrad. La neuvième devait pourtant être un hymne à la gloire de Staline célébrant la victoire de l’URSS sur l’Allemagne nazie et, à la fin des années trente, Chostakovitch s’était vu reprocher une trop grande liberté dans le style, appelé à rentrer dans le rang de ce que le pouvoir soviétique stalinien considérait comme les « canons » de la musique classique. Ce n’est pas sans une certaine ironie qu’est donc proposée cette neuvième, véritable respiration entre des œuvres beaucoup plus complexes, et qui loin d’être un hymne de gloire, se présente plutôt comme un aimable divertissement, ne nécessitant qu’un « petit » orchestre symphonique classique et ne durant qu’une demi-heure.
Antonio Pappano, chef principal du LSO depuis 2023, joue le jeu de cette œuvre volontairement joyeuse et fort peu solennelle qui fête la joie de vivre retrouvée et nous offre une très belle et très lumineuse interprétation, rythmée, évitant toute vulgarité et soignant les contrastes, particulièrement agréable et en parfaite phase avec l’écriture de Chostakovitch.
Le concerto pour violon de Britten qui suit, est rempli d’une fougue moderne et exige une grande virtuosité de la part de son interprète. Il faut tout le talent de Janine Jansen pour dominer son sujet, nous offrir une superbe cadence d’une très grande maitrise, et évoquer au travers de cette musique aux teintes vives et aux accents fauves, l’immense compositeur que fut Benjamin Britten. C’est en assistant à Barcelone en 1936 à la création du concerto « À la mémoire d’un ange » d’Alban Berg que vint à l’idée du Britannique d’écrire à son tour un opus pour violon qui restera unique dans son œuvre. Exilé aux USA en raison de ses opinions résolument anti-guerre, Britten commença la composition au Canada et la termina à New York où l’œuvre fut créée à Carnegie Hall en 1940.
Le violoniste canadien James Ehnes confiait dans un interview à quel point l’exécution était complexe : « Il y a des pièges techniques extrêmement vicieux, proches de l’injouable. Et pour le violoniste, il n’est pas immédiatement gratifiant ». En déséquilibre permanent l’artiste doit en effet produire toute sorte de sons sur son instrument, dont certains sont à la limite de la discordance et n’a que peu « d’effets » lyriques immédiatement agréables à l’oreille. Il faut s’habituer à la musique de Britten, mais quand on aime à l’instar de Pappano avec le LSO, c’est un challenge exaltant qui marque une soirée. La succession des mouvements – Modéré/Vivace/Passacaille au tempo lent -, n’est pas ordinaire et dès le début, la fameuse introduction avec l’étrange l’alternance Timbales/Cymbales, donne la pulsation sous la baguette du chef italien, rythmique que l’on retrouvera dans la suite de l’œuvre à plusieurs reprises.
La soliste hollandaise est une habituée des difficultés techniques qu’elle maitrise parfaitement, donnant avec une énergie impressionnante, corps et vie à ce concerto de braise.
Elle offre d’ailleurs ensuite au public, une reposante Sarabande de la Partita n°2 de Jean Sébastien Bach en conclusion de la première partie du concert.
La cinquième symphonie de Beethoven n’est plus à présenter, au moins pour ce qui est de ses premières mesures (pom-pom-pom-pom), le fameux « coup du destin », qui en font sans doute l’air orchestral le plus connu sur la planète. C’est donc toujours un pari pour un chef d’orchestre et sa formation musicale que de la faire redécouvrir au public d’habitués de la Philharmonie de Paris.
Pourtant, Antonio Pappano y parvient dès l’introduction, donnant une vivacité et une jeunesse étonnante à l’œuvre la plus emblématique du romantisme du dix-neuvième siècle.
Et chacun s’est retrouvé littéralement transporté par la beauté et la richesse d’une interprétation inventive et magistrale, où l’orchestre symphonique de Londres atteignant des sommets de virtuosité.
Un public presque « sonné » par l’exaltation qui se dégageait de l’ensemble a ovationné les artistes avant le « bis », apaisant, de la belle « Valse triste » de Sibelius.
Philharmonie de Paris, 22 septembre 2025 – Dmitri Chostakovitch, Symphonie n° 9 / Benjamin Britten, Concerto pour violon / Ludwig van Beethoven, Symphonie n°5.
Visuels : © C. d’Hérouville / Philharmonie de Paris