Philharmonie de Paris : le tragique et émouvant « KaiserRequiem » de Omer Meir Wellber

Une commune histoire tragique

Omer Meir Wellber explique sa démarche en soulignant que « Les dictatures ont existé et continuent d’exister aujourd’hui et continueront malheureusement d’exister, L’Empereur d’Atlantis traite de ces sujets bien au-delà de l’époque de sa création et des parallèles historiques que permettent ses personnages et leurs représentations » (entretien avec la musicologue Anne do Paço, cité dans le programme de la Philharmonie de Paris).

Le Requiem de Mozart composé (et inachevé) tandis que le jeune compositeur se mourait, traite lui aussi de la mort sous ses différents aspects. L’œuvre de la main de Mozart s’achève avec le Lacrimosa, le Domine Jesu Christe et l’Hostias.

Dans les deux cas, les auteurs sont morts sans avoir eu le temps de finir/voir leurs œuvres présentées au public.

Omer Meir Welber choisit d’entremêler les deux compositions sans rajouter quoique ce soit, se contentant de « changer quelques harmonies pour glisser naturellement de l’un à l’autre ».

Il faut d’abord saluer le savoir-faire car cet aller et retour permanent est très séduisant et même impressionnant de maitrise.

Ce  « Kaiser requiem » a été créé en 2022 avec une mise en scène de Marco Gandini à l’opéra de Palerme, puis en janvier 2025 en version ballet au Volksoper de Wien avec le chorégraphe Andreas Heise. À la Philharmonie de Paris, ce fut « seulement » une mise en espace, les lieux ne permettant pas davantage.

À mort la mort

L’opéra de Viktor Ullmann n’a été représenté devant un public qu’en 1975, près de trente ans après une première répétition générale, au camp lui-même, l’œuvre étant alors censurée et interdite de représentation.

Ce conte philosophique qui imagine la mort de la mort, laissant un empereur tyrannique désemparé et sans pouvoir puisqu’il ne peut plus faire peur, est assez rarement donné malgré la pertinence de ses thèmes et la richesse de sa composition musicale qui mélange elle-même assez habilement modernité et classicisme.

Viktor Ullmann s’était en effet formé à Prague à l’écriture musicale en quart et sixième de ton avant d’être arrêté en 1942 et déporté à Terezin, puis envoyé dans un convoi en 1944 vers le camp de la mort d’Auschwitz dont il ne revint pas.

Oscillant entre opéra contemporain, mystère et danse macabre, Der Kaiser von Atlantis offre un univers sonore théâtral unique.

Viktor Ullmann compose avec cet opéra une œuvre volontairement hybride où il mélange toutes sortes de références culturelles et musicales, du jazz aux divers folklores, sans oublier les clins d’œil au théâtre de Brecht et la musique de Kurt Weil, l’Opéra de quat’sous comme la Commedia dell’arte. Cet éclectisme est un message en faveur du respect de toutes les cultures dans une période où une partie de la création artistiques la plus riche et la plus cosmopolite est considéré comme dégénérée par le régime nazi.

C’est aussi plus prosaïquement, la nécessité pour Ullmann de s’adapter à la pénurie de musiciens et d’instruments du camp. Des parties grinçantes alternent avec de grands moments lyriques.

Une fusion réussie

Omer Meir Welber poursuit l’idée avec l’adjonction de Mozart et l’on doit dire que le mariage fonctionne parfaitement, la fusion étant renforcée par la qualité des solistes d’opéra qui interprètent les héros de Ullmann et les parties solistes du Requiem puis prennent le relais des Chœurs pour les derniers versets. Ainsi, et l’effet est saisissant, Evan Hughes, la basse qui incarne « la Mort », chante la mort de l’Empereur mais aussi le Tuba Mirum du Requiem.

Cette méditation sur le genre humain et ses absurdités dramatiques, nous emmènent durant près d’une heure et demie intense, dans les profondeurs morbides de nos sociétés.

Omer Meir Welber a imaginé une sorte de scénographie qui permet de rendre compte de l’aspect théâtral de l’œuvre.

Plusieurs personnages arrivent ainsi, déjà chantant, par les travées du parterre avant de rejoindre la scène tandis que les chœurs sont en partie installés dans l’orchestre lui-même. Une grande pelisse mi-hermine, mi-loup est pendu à un porte-manteau dès le brutal éclairage de la scène pour symboliser l’orgueil d’un Empereur en peau de lapin. Le jeu de lumières plonge tour à tour la salle dans la pénombre, n’éclairant plus que la scène, voire uniquement le couple Arlequin/La Fille, durant leur touchant duo d’amour du troisième tableau. Les retours réguliers vers la lumière la plus vive, créent un effet climax très efficace soutenant la tension dramatique.

Choeurs, solistes, orchestre au diapason

Le rôle Haut-Parleur est tenu par le comédien Charles Morillon, toutes ses annonces tonitruantes étant faites dans un mégaphone tandis qu’il gesticule d’un bout à l’autre du parterre puis de la scène autour de l’orchestre.

Le baryton Thomas Mayer est l’Empereur Overall, représentant magnifiquement la démesure burlesque et tragique du dictateur, scéniquement irréprochable même si la voix accuse parfois un peu de fatigue, l’engagement est tel qu’il recueille à juste titre un véritable ovation.

La mezzo-soprano Christel Loetzsch (le Tambour) possède un timbre de contralto particulièrement chaleureux et efficace dans ce rôle, elle assure aussi les parties solistes mezzo du Requiem.

Les ténors font bel effet l’un et l’autre, Benjamin Hulett en Arlequin et JunHo You en Soldat et dans les parties correspondantes du Requiem. La distribution en tout points remarquables comprend également la très belle soprano Rebecca Nelsen ( la Fille à la coupe au carré, un Soldat) et l’impressionnante basse Evan Hughes, dont les graves abyssaux font frémir l’ensemble de la salle.

Les chœurs de l’orchestre de Paris sont placés sous la direction de Richard Wilberforce, et assurent l’essentiel du Requiem avec une sombre détermination, donnant avec talent toute la noirceur un peu désespérée de cette splendide partition dont l’inachèvement est le symbole de cette vie trop tôt brisée qui nous prive de bien des chefs d’œuvres de l’enfant prodige que fut Mozart fauché en pleine création artistique grandiose.

Sous la direction du créateur du spectacle, l’orchestre de Paris – y compris un harmonium, un piano, une guitare et un banjo ténor – passe de l’une à l’autre composition avec une aisance admirable et sait jouer de ces contrastes sonores avec un talent incontestable.

Tous nous ont offert une très belle soirée.