Pour les deux derniers soirs des Prem’s, Klaus Mäkelä à la tête de l’Orchestre de Paris, se lançait dans un programme moderne et contemporain, sans oublier la traditionnelle création mondiale qu’il se fait fort de respecter à chaque rentrée. On retiendra surtout une enthousiasmante interprétation du célèbre « Amériques » d’Edgard Varèse avec ses bruitages urbains sur instruments.
Plus personne ne peut douter du fait que Klaus Mäkelä est désormais une superstar qui remplit les salles à lui tout seul et déclenche des manifestations de soutien à chaque instant lors de ses concerts.
Il lui revenait de conclure l’expérience des Prem’s à la Philharmonie de Paris avec l’orchestre en résidence dont il préside brillamment la destinée depuis septembre 2021. Et à nouveau, la salle était comble pour ces deux dernières soirées des 10 et 11 septembre, avec beaucoup de jeunes parmi les spectateurs. Les deux-tiers des sièges du parterre sont retirés dans la configuration choisie et près de 700 spectateurs se tiennent donc debout, ayant acquis des places à 15 euros, une somme suffisamment modeste pour ouvrir largement l’accès à ces concerts de prestige qui ont ouvert la saison de la Philharmonie de Paris.
L’Orchestre de Paris réduit à ses cuivres et à ses percussions pour les deux fanfares avec lesquelles Mäkelä ouvre énergiquement les deux parties du concert démontre son adéquation à de plus en plus de répertoires et de formes musicales. En trois minutes à chaque fois, la « Fanfare for the Common Man » de Aaron Copland puis, comme en écho, la « Fanfare for the Uncommon Woman N° 1 » de Joan Tower, retentissent de tout leur éclat remplissant rapidement tout l’espace de la grande salle.
La première pièce fut composée par Copland pour cuivres et percussions seuls, en 1942, pour célébrer l’entrée de l’Amérique (des USA) dans la Deuxième Guerre mondiale, son titre s’inspirant du discours du vice-président Henry A. Wallace qui proclamait l’avènement du « Century of the Common Man » (le siècle de l’homme ordinaire). La compositrice Joan Tower s’en inspire en 1986, pour répondre à la commande de l’Orchestre symphonique de Houston dans le cadre de son Fanfare Project. Elle utilise la même instrumentation, mais y ajoute le glockenspiel, le marimba, les carillons et la batterie.
Ces deux courtes incursions permettent une incontestable valorisation des cuivres qui sonnent sans le moindre couac, avec force et virtuosité et des multiples et nombreux instruments composant les impressionnantes percussions de l’orchestre de Paris. Techniquement très réussis, ces deux morceaux ne sont cependant que des mises en bouches.
Guillaume Connesson a composé ses « danses concertantes », concerto pour flûte et orchestre en 2024 pour une création mondiale, ces 10 et 11 septembre à la Philharmonie de Paris. Le titre rappelle évidemment celui de l’une des célèbres compositions de Stravinski, sans qu’il y ait par ailleurs de réelles ressemblances musicales. Connesson écrit pour un « orchestre mozartien » autrement dit à effectif assez réduit, comprenant des cordes, 2 flûtes, 2 hautbois, 2 clarinettes, 2 bassons, 2 cors, 2 trompettes, mais ni trombone, ni tuba, des timbales et une flûte soliste, dont la partition est jouée par le Nantais Vincent Lucas.
Sept danses se succèdent, quatre en mouvement rapide encadrant trois mouvements plus lents. L’ensemble est d’une facture assez classique et manque un peu de contrastes et de reliefs à notre goût.
L’Orchestre de Paris ne manque pas, lui, de la virtuosité nécessaire à l’exécution de ces morceaux où la flûte répond à l’orchestre. Mäkelä souligne avec son talent habituel et son sens du rythme en osmose avec ses instrumentistes, les balancements de cette musique qui oscille entre divers styles de la présentation de nombreux thèmes musicaux du premier mouvement, et le caractère juvénile fort plaisant du deuxième, l’étonnante « danse macabre » du quatrième, aux modifications brutales de tempo du final qui commence en moderato pour finir en presto. Rien de déplaisant, mais rien de remarquable non plus. Le compositeur présent est chaleureusement salué tout comme le soliste. Le public assez peu averti, semble-t-il, a applaudi entre chaque mouvement cassant sans doute la logique du tout…
La première partie du concert se termine avec la fameuse déambulation du film de Vincente Minelli, « Un Américain à Paris » (1951) sur le poème symphonique de George Gershwin (1928). Endiablé, enfiévrée, l’interprétation d’un Klaus Mäkelä qui danse et saute sur son estrade est un spectacle à elle toute seule et l’on ne peut que se féliciter d’avoir un chef capable de rendre ainsi ses belles lettres de noblesse à cette composition magistrale où s’entendent les influences du jazz et lui rendent hommage.
Et notre jeune chef n’est jamais autant à son aise qu’avec les très gros orchestres, la formation requise pour « Amériques » de Varèse qui conclut le concert et la soirée. Un seul mouvement ; vingt-cinq minutes durant lesquelles l’ensemble de l’orchestre joue en permanence ; des percussions en très grand nombre y compris deux sirènes, un gong, des crécelles, des cloches plusieurs grosses caisses…
Non seulement cet « Amériques » est extrêmement sonore et rythmé mais il reproduit en permanence les bruitages de la ville, les motos qui démarrent, les sirènes des usines, le brouhaha permanent qui symbolise le chaos du monde urbain illustré par de nombreuses dissonances et des polyphonies complexes où flutes et hautbois répondent au martèlement des mains des harpistes sur le bois de leurs instruments. Varèse souligne « Quant aux sons inhabituels que j’utilise dans toute la pièce, ils me permettent d’éviter la monotonie. J’emploie ces instruments (2 sirènes) à une hauteur définie et fixe pour faire un contraste de sonorités pures. Il est étonnant de voir à quel point le son pur, sans harmoniques, donne une autre dimension à la qualité des notes musicales qui l’entourent. »
Il s’agit là d’une partition fascinante de modernité, dans sa version de 1929, qui est en fait la version révisée créée à Gaveau cette année-là, qui conclut très dignement et très brillamment la rentrée de la Philharmonie de Paris, saluée par une énorme ovation du public.