Le chef coréen Myung-Whun Chung revenait à Paris pour un concert mêlant les Variations sur un thème rococo de Tchaikovski et la surprenante et toujours décoiffante Première Symphonie de Gustav Mahler, la bien nommée « Titan », avec l’orchestre de Radio France. Une réussite.
Les destinées du prestigieux chef, âgé de 72 ans, sont étroitement liées à ses exploits dans la capitale puisqu’il a été le discret, mais efficace et apprécié directeur musical de l’Opéra de Paris entre 1989 et 1994. Par la suite, il a dirigé l’Orchestre Philharmonique de Radio France qu’il retrouvait pour cette soirée à la Philharmonie de Paris.
Le concert commence par les « Variations sur un thème rococo » de Piotr Ilitch Tchaïkovski (1876), véritable concerto pour violoncelle dont le soliste est le compatriote de Chung, le jeune Jaemin Han (20 ans), dont la fougue et l’investissement font merveille, donnant une version très réussie de cette œuvre, contemporaine de la quatrième symphonie dont nous parlions récemment, mais composée pour petit orchestre, tournée vers le passé et évoquant volontairement les thèmes musicaux de l’époque mozartienne.
Les cordes accompagnent le soliste, répétant parfois ses thèmes comme en écho, tandis que les bois assurent un dialogue avec le violoncelle dont la partie est particulièrement virtuose et compose l’essentiel des contrastes de l’œuvre.
Il faut un instrumentiste de talent, mais aussi, un artiste audacieux, donnant une véritable interprétation personnelle et, de ce point de vue, le talent du jeune Coréen était au diapason de l’accompagnement bienveillant de son compatriote.
Rappelons que le jeune prodige, qui nous a offert un bis s’est fait connaitre dès 2021 en gagnant le prix du concours Enescu, plus jeune lauréat de cette prestigieuse récompense.

Il faut de l’audace et de la démesure pour s’attaquer à l’œuvre protéiforme et hors-norme de Mahler qui dérouta son public à sa création en 1889 sous l’intitulé « Poème symphonique en deux parties et cinq mouvements » et fut remaniée à plusieurs reprises par le compositeur lui-même.
Renonçant à son projet initial, Mahler donne en 1893 le titre de « Titan » en référence au roman de l’écrivain allemand Jean-Paul (quatre volumes, 900 pages, publié entre 1800 et 1803). Devenue symphonie en cinq mouvements, l’œuvre est à nouveau remaniée en 1896 lors de sa quatrième création à Berlin : elle ne contient plus que les quatre mouvements généralement entendus depuis lors, le deuxième mouvement intitulé « Blumines » (fleurettes) ayant été supprimé finalement.
Rappelons pour ceux qui voudraient retrouver les étapes de la genèse de ce monument que François-Xavier Roth avec son orchestre les Siècles a joué en 2018 à la Philharmonie de Paris puis enregistré en 2019 une version intermédiaire, celle dite de Hambourg (1893) sous l’intitulé « Poème symphonique en forme de symphonie » qui comprend ce deuxième mouvement.
Dans sa version actuelle la plus courante, cette œuvre, qui ouvre incontestablement la voie au modernisme du vingtième siècle par la complexité de son orchestration et sa construction personnelle et fantaisiste comprend quatre mouvements, chacun avec un long intitulé précis concernant le tempo et le style de chaque partie.
Le premier mouvement « Langsam. Schleppend. Wie ein Naturlaut — Im Anfang sehr gemächlich » (Lentement. Tranquillement. Comme un son de la nature — très tranquillement au début), débute en effet par quelques accords solennels, presque en forme de fanfare champêtre, donnés sans précipitation, et se poursuit par une série de thèmes familiers entremêlés joués par les différents pupitres dans un mélange assez ludique, celui d’un des « Lieder eines fahrenden Gesellen » (Les chants d’un compagnon errant, 1883), évoquant une promenade dans les champs, assez détendue rompant avec l’angoissant début même si quelques retours subtils de fanfare viennent le rappeler.
Myung-Whun Chung avec son élégance et sa délicate manière de diriger un orchestre de radio France très performant se montre particulièrement subtil pour introduire cette œuvre fantasque. Peut-être pourra-t-on regretter parfois une certaine « sagesse », mais le magnifique caractère lyrique du deuxième mouvement « Kräftig bewegt, doch nicht zu schnell — Trio. Recht gemächlich » (Énergique et animé, mais pas trop rapide) en est d’autant plus valorisé avec ses incursions dans des sons graves abyssaux. Ce scherzo sous la direction du chef coréen, prend une dimension obsessionnelle qui captive manifestement le public, presque envoûté par les allers et retours des cordes, au rythme d’un « ländler », cette ronde autrichienne populaire et paysanne. L’ostinato central avec son thème, presque scandé et répété à l’infini, est particulièrement réussi.

L’on attend évidemment l’étrange troisième mouvement, « Feierlich und gemessen, ohne zu schleppen » (Solennel et mesuré, sans traîner) avec son thème, l’air de la chansonnette pour enfant « Frère Jacques » (Bruder Jakob) qui surgit sans cesse dans le cadre d’une véritable marche funèbre en mode mineur, introduit par un très beau solo de contrebasse avant de gagner tout l’orchestre par petites touches sans rien perdre de sa curieuse et émouvante tristesse. Là encore l’ensemble des pupitres se répond avec cette forme « canon » particulièrement efficace dans l’acoustique de la Philharmonie de Paris et l’on entend toutes sortes d’extraits étranges, des airs de valses (tristes) notamment, dans une sorte de maelstrom d’une grande maitrise malgré sa complexité. C’est incontestablement l’une des réussites essentielles de Mahler, s’annonçant comme un précurseur éclairé des chefs-d’œuvre futurs de Maurice Ravel (« la Valse »- 1919) ou de Stravinsky (les ballets).
Enfin le quatrième mouvement « Stürmisch bewegt » (Orageux et agité), s’ouvre toujours en mode mineur, sur une série de touches orchestrales appuyées et tumultueuses, donnant un style dramatique au final de la symphonie. Le martèlement des timbales, ponctué par les roulements de la grosse caisse et les éclats réguliers des cymbales, accompagnent des accords joués par les différents pupitres des cuivres, nombreux et très sollicités, cors, trompettes, tuba, qui laissent de temps à autre quelques longues respirations lyriques aux cordes entre deux « orages ». L’interprétation de l’orchestre sous la direction de Myung-Whun Chung respecte ces contrastes saisissants pour terminer dans un élan brutal où l’on réentend le thème fondateur, celui du premier mouvement avant la « délivrance ».
Et les ovations que le public réserve au chef dans une salle comble et ravie.
Chung, à qui l’on a parfois reproché une ardeur excessive dans ce répertoire, semble avoir retrouvé le chemin de l’harmonie parfaite dans l’exécution de cette œuvre difficile, mais si fascinante.
Visuels : © Hélène Adam
Saluts du Concert du 12 décembre 2025.