Alors que le 39e Festival Baroque de Pontoise ouvre samedi 28 septembre sur la thématique « Inspire », son directeur artistique, Pascal Bertin nous parle d’une programmation qui réflechit sur les modes exotiques des XVIIe et XVIIIe siècles. L’acte I du Festival se termine le 13 décembre mais le concerts se poursuivent tout au long de la saison, jusqu’au 24 mai.
Ce double sens de l’inspiration artistique et de la respiration est évidemment voulu. Cet impératif n’est pas violent, n’est pas un ordre, c’est un mot de réconfort sussuré en trainant doucement sur les consonnes à l’oreille de quelqu’un à qui l’on tient. Que l’art soit aussi indispensable à la vie que l’air que l’on inhale est une belle utopie à laquelle nous adhérons.
Le mot cliché me parait trop moderne pour ce concept car il sous-entend un recul par rapport à la représentation. Aujourd’hui il est facile de questionner une idée qui nous parait réductrice ou caricaturale, les sources d’information sont multiples et voyager au bout du monde n’est plus une aventure. Mais pour les gens de l’époque baroque, l’image des mondes nouveaux peut se limiter à des romans d’explorateurs pas toujours objectifs, de visites de princes ou de leurs émissaires dans une débauche de richesses, des horribles zoos humains ou de théories religieuses laissant peu de place à la curiosité envers l’étranger. Le grand Voltaire lui-même, influencé par le polygénisme (doctrine selon laquelle l’espèce humaine proviendrait de plusieurs souches différentes) justifiait l’esclavagisme par une hiérarchisation du genre humain. Mais cette attitude horriblement paternaliste envers les cultures éloignées n’a pas empêché le succès incroyable de l’exotisme.
En fait, je n’utilise les dates anniversaires des compositeurs que pour suggérer un thème en cherchant ce qui peut les relier entre eux ou avec notre époque. On ne jouera donc pas de Smetana, Ives, Bartok ou Bruckner cette année. En revanche, la manière dont ces artistes ont intégré leurs influences traditionnelles respectives m’a donné envie de pousser cette recherche dans des répertoires plus anciens. Lors de la saison précédente « Albion » quelques concerts ont montré ce lien entre musiques savantes et trads. Cette année, nous l’élargirons au monde entier.
Pour ce concert du Stabat mater, il s’agit plus d’une rencontre que d’une hybridation des répertoires. Le célèbre motet de Pergolesi, probablement une des musiques les plus connues du grand public, est interprété selon les règles issues des recherches sur la pratique historiquement informée. Instruments originaux ou copies d’originaux, travail spécifique sur les phrasés, la rhétorique, etc… La rencontre a lieu en sortant de l’église. Soudain on entend d’autres musiques, les processions dans les rues de Naples sont nombreuses et les chœurs d’hommes chantent la même vierge qu’à l’église, mais dans la rue et avec une esthétique radicalement différente. C’est ce dialogue qui nous intéresse et que l’on pourra entendre le 28 septembre à la cathédrale Saint Maclou de Pontoise.
Néanmoins, votre question ouvre un champ passionnant. Y-a-t-il une autre voie que la pratique historiquement informée ? Malgré ma formation dans la classe de William Christie au conservatoire de Paris, malgré mes fonctions de chef de département de la musique ancienne dans ce même conservatoire, je le crois et je la défends.
Il me semble que des versions historiques, nourries par des recherches musicologiques, sont indispensables, et qu’elles sont d’ailleurs la base de ce qui peut faire débat chez des musiciens plus intégristes : des interprétations où le musicien décide de laisser parler son inspiration plutôt que sa connaissance du répertoire.
la question peut se poser pour Bach au piano, cet instrument n’existait pas à l’époque du Cantor. Doit-on pour autant interdire les musiques de Scarlatti, Rameau, Couperin aux pianistes ? je ne le pense pas. Mais à mes yeux la limite se situe là où commence le mensonge, du style : « Bach ne connaissait pas le piano, mais il est évident qu’il l’aurait adoré et que cet instrument permet, plus qu’un clavecin, de montrer la richesse de sa musique .» On peut décider d’arranger des répertoires (ce que fait Simon Pierre Bestion et sa Compagnie La Tempête avec beaucoup de talent), on peut même faire des erreurs par ignorance (les plus grands ensembles spécialisés en font parfois) mais il ne faut pas mentir en prétendant que les parti pris sont historiques quand ils ne le sont pas (mettre des percussions partout parce que le public adore ça par exemple).
Quand j’ai pris la direction du festival en 2018, j’ai souhaité allonger la période du festival jusqu’à en faire une saison complète. Cela permet de consolider notre présence sur le territoire pendant 10 mois. Nous programmons dans 13 villes différentes, des centres urbains aux communes rurales. Il faut du temps pour réaliser correctement ce maillage. Nous avons néanmoins voulu garder une période de programmation plus concentrée, sur la partie historique du festival (du dernier weekend de septembre au weekend des vacances de la Toussaint). Pendant cet acte 1 nous proposons des spectacles environ trois fois par semaine, pendant l’acte 2, c’est environ deux fois par mois jusqu’à l’été.
Cet élargissement de la période de diffusion répond aussi à la deuxième partie de votre question. Nous sommes très impliqués auprès des écoles, collèges et associations de quartier à qui nous offrons des spectacles et des ateliers de musique. Une académie d’orchestre baroque est également organisée avec le Conservatoire à rayonnement régional de Cergy Pontoise. Toutes ces actions seraient impossibles si nous nous contentions de jouer en Octobre. Il faut du temps pour créer le contact avec les jeunes, les convaincre de dépasser leur pudeur et parfois de monter sur scène.
Jusqu’ici les ensembles en résidence restaient trois ans au festival, nous avons décidé de réduire ce temps à deux années afin de plus rapidement varier les esthétiques et les personnalités pour notre public et pour les bénéficiaires de nos actions d’éducation artistique et culturelle. Le critère numéro 1 est évidemment la qualité musicale qui doit être de très haut niveau, ensuite vient la capacité à s’inscrire dans un territoire large et varié. Il faut être capable d’intervenir un jour dans une maison de quartier prioritaire de la politique de la ville et le lendemain dans une école d’un petit village du Vexin.
Il faut aussi que l’échange soit bénéfique pour l’ensemble et pour le festival. Nous avons besoin d’artistes inventifs, passionnants, investis et ils ont besoin d’un temps long de création et de structuration. Notre politique d’aide à l’émergence est facilitée par mes postes d’enseignement et à Paris et La Haye. J’ai la chance de voir éclore les jeunes ensembles qui vont compter avant tout le monde et j’ai plaisir à partager mes découvertes avec le public du festival. Les artistes reviennent régulièrement, mais l’offre artistique est immense en France et nous ne programmons qu’une trentaine de spectacles par an, il faut parfois faire preuve de patience !
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