Ce vendredi 14 février, l’Orchestre de chambre de Paris offrait à la Philharmonie une soirée musicale dédiée à Mozart, autour de trois pièces du compositeur autrichien : le Concerto pour clarinette, le Quintette pour piano et vents et la sublime Symphonie n°38 « Prague ». Sous la direction du pianiste et claveciniste Maxim Emelyanychev, ces tubes de la musique classique ont été joués avec une intensité et une présence musicale telle qu’on les écoutait comme pour la première fois.
C’est avec la clarinette que le programme commence. On la met en avant dès le début de la soirée. Peut-être son son feutré et legato convenait-il au thème de la soirée, placée sous le signe de l’amour. D’emblée, l’air enjoué, très connu du concerto pour clarinette de Mozart s’élève. C’est une introduction en majesté, qui donne le ton pour la soirée : les musiciens s’amusent et nous livrent avec générosité toute la richesse de la musique de Mozart.
Les instruments sont en parfaite communion, et ce jusqu’aux silences, qu’ils intègrent parfaitement à la matière musicale, en font un élément central de l’œuvre, de son suspens, de ces enchaînements de vagues qui nous transportent de plus en plus loin. Florent Pujuila, solo à la clarinette, n’est d’ailleurs jamais vraiment dos à l’orchestre. Il nous fait face, mais n’hésite pas à chercher le regard du premier violon ou du chef. Tout se passe comme si les musiciens se cherchaient entre eux, se sentaient, jusqu’à entrer en harmonie. Les contrastes en particulier sont d’une maîtrise incroyable, et rendent à Mozart tout son génie et sa nervosité.
Et peu à peu les vagues se calment, et laissent place au sublime second mouvement, derrière la clarinette implorante. Cet air archi connu, accompagné des souffles de l’orchestre, entre crescendo et decrescendo, nous berçant doucement. Florent Pujuila l’interprète en prenant son temps, en laissant au son clair de sa clarinette l’espace nécessaire pour arriver jusqu’à nous, et en restant toujours attentif à l’orchestre, lui qui, en bon musicien de jazz, sait entrer en communion avec les autres pupitres, les écouter pour faire la musique comme une seule et même voix.
Lorsque l’orchestre s’arrête, le son de la clarinette plane dans la salle, quelques secondes, le temps que s’installent le hautbois, la clarinette, le cor, le basson et le piano, pour un quintette surprenant. Mêlant bois, cuivres et cordes frappées, ce sont plusieurs timbres qui se mêlent en harmonie, dans un arrangement étonnant, mais qui semble faire tout le plaisir des musiciens nous invitant dans l’intimité de leur musique pour explorer de nouvelles sonorités.
Maxim Emelyanychev se mue en pianiste, lui qui tenait jusqu’alors la place de chef d’orchestre, et il garde avec son instrument la même énergie et expression musicale, qui traverse tous les mouvements de son corps. Il est en dialogue avec chacun des vents, en parfaite maîtrise. Chaque instrumentiste trouve sa place, et joue avec les autres, de sorte que les cinq musiciens face-à-face en demi-cercle ne forment plus qu’un tout. On apprécie surtout les prises de solo occasionnelles, au cours desquelles les musiciens sondent les potentialités de leurs instruments, et s’échangent les thèmes successivement, comme dans un jeu de balles. Les musiciens prennent plaisir, fusionnent avec l’intensité de l’écriture de Mozart, et nous livrent sa musique dans ce qu’elle recèle de potentialités pour l’interprétation instrumentale.
Après l’entracte, l’orchestre revient, pour clôre la soirée en beauté, avec la mythique Symphonie n°38 « Prague », se déployant sur trois mouvements. Maxim Emelyanychev s’avance face à l’orchestre et n’attend pas la fin des applaudissements pour commencer. Il nous prend par surprise, et donne le ton de la folle énergie musicale qui sera un fil conducteur tout au long de la pièce.
Le chef d’orchestre est intense, dans ses mouvements et ses directions. Il mime la musique qu’il souhaite que les musiciens transmettent, une musique de contrastes, tout en crescendo, attentive aux nuances. Une musique ressentie dans tous les corps. Les musiciens jouent dans un seul et même mouvement. Chaque pupitre est pleinement présent, d’une synchronicité impressionnante. Dans les changements de tonalités et de nuances en particulier, chacun s’imprègne de la matière musicale de Mozart, et en faire persister tout le mystère et toutes les secousses, et ce jusque dans leur corps. Les archets s’arrêtent, reprennent, les pupitres se regardent, et donnent au tutti toute sa puissance, comme si la pièce nous était jouée pour la première fois, comme si les musiciens la découvraient avec nous à mesure qu’ils jouaient, et s’en émerveillaient.
(c) Andreij Grilc