Mario Brunello et Gabriel Durliat : deux solistes remarquables

Une révélation : la musique de Mieczyslaw Weinberg

Dans sa tenue noire très sobre, Mario Brunello s’installe sur scène, en toute simplicité. Il paraît calme, paisible, bienveillant. Il va jouer en solo pendant plus d’une heure devant un public très attentif. Une heure pendant laquelle avec son violoncelle Maggini datant du 17e siècle, il va nous faire rêver.
Mario Brunello interprète avec finesse et sensibilité deux Suites de J.S Bach pour violoncelle seul. Elles ont été composées à Köthen entre 1717 et 1723, une période heureuse pour le compositeur, alors sous la protection d’un prince bienveillant. Bach ne précise pas pour quel instrument il écrit: basse de violon, viola da Spalla, le débat demeure… Les Suites sont tombées dans l’oubli jusqu’au 20e siècle. Redécouvertes par Pablo Casal, elles sont devenues depuis un classique du répertoire du violoncelle. De la 4e Suite nous pourrions retenir la beauté de la Sarabande: les notes jouées en cordes pincées s’égrènent dans une grande douceur avant un chant plaintif très émouvant. Dans la 5e suite, la fugue est impressionnante par sa construction, par l’harmonie de son long développement si caractéristique du génie J.S. Bach. La gigue finale est séduisante par son rythme rapide, sa joie, son énergie.

Mario Brunello va nous faire découvrir Mieczyslaw Weinberg (1919-1986). Tout juste diplômé du conservatoire de Varsovie, le compositeur doit se réfugier en URSS en 1939. Toute sa famille sera exterminée par les nazis ! Fuyant à nouveau la guerre, il gagne Tachkent en 1941 puis se lie d’amitié avec Dimitri Chostakovitch. Il nous laisse une œuvre immense, encore peu connue, avec 500 compositions, dont 7 opéras et 22 symphonies. Mario Brunello a travaillé sur les manuscrits originaux de ses 4 sonates pour violoncelle. Ce soir, il nous interprète la 4e sonate pour violoncelle. Le public découvre une œuvre très romantique très mélodieuse, dans la lignée de Chostakovitch. Une musique souvent douce, parfois tourmentée, qui nous conduit jusque dans l’intimité de l’âme du compositeur. Et comme bis, Mario Brunello nous offre le 21e prélude que Weinberg dédia précisément à son ami Chostakovitch. Ce fut une très belle découverte.

Un pianiste très prometteur

Gabriel Durliat n’a que 24 ans. Il nous propose un programme original, très bien construit, autour du genre musical du Tombeau. À l’époque baroque « le Tombeau » était un hommage poétique et musical rendu aux artistes disparus. Le genre a été remis en lumière par Maurice Ravel au début du 20e siècle avec Le Tombeau de Couperin. Le Tombeau de Debussy et le Tombeau de Paul Dukas sont des œuvres collectives, réunissant chacune les pièces d’une dizaine de compositeurs.
Dans ce concert consacré à un genre musical baroque, débuter par le Ricarcere à 6 voix de J.S Bach parait être l’introduction idéale. La plénitude et la limpidité de cette fugue pourraient être comme le moment fondateur de ce récital. Le contraste est complet avec le premier « Tombeau », celui du compositeur allemand Wolfgang Rihm ( 1952-2024). C’est une œuvre saisissante. Un accord puissant suivi d’un silence suscite l’étonnement puis des accords lugubres, dissonants s’enchaînent. Les moments de répit sont vite balayés, cette musique nous convainc de la violence du drame de la mort. La plainte au loin du faune, l’hommage de Paul Dukas à Claude Debussy est une litanie mélancolique, interprétée avec beaucoup de délicatesse par Gabriel Durliat. Les notes semblent flotter dans l’irréel puis s’éloignent, de plus en plus faibles, comme la vie qui s’en va… L’hommage d’Olivier Messiaen à Dukas est très bref. Il résonne comme un glas, dans une marche funèbre très lente, très grave, très émouvante.
Le concert se termine par le Tombeau de Couperin de Maurice Ravel. Il a été composé en 1917 dans un contexte dramatique, le musicien venant de perdre sa mère et d’être démobilisé après une grave maladie. En hommage à la musique du 18e siècle, cette œuvre reprend la structure en six parties d’une suite baroque. Elle est très variée d’une pièce à l’autre, révélant la virtuosité et les qualités d’interprétation du pianiste. L’auditeur remarquera le classicisme de la fugue, le caractère ludique des staccatos du forlane et la toccata finale, une danse frénétique, vertigineuse, éblouissante.
Le festival consacre les concerts de 12H 30 aux jeunes talents. Gabriel Durliat a été très convaincant par ses qualités d’interprète, mais aussi par l’originalité et la cohérence de son programme.