Le jeune chef d’orchestre finlandais Klaus Mäkelä, entame sa quatrième saison à la tête de l’Orchestre de Paris avec ces flamboyants concerts donné les 11 et 12 septembre à la Philharmonie de Paris servis par la virtuosité de la violoniste Lisa Batiashvili et l’excellence d’une direction musicale toujours inventive.
La carrière du jeune chef se poursuit avec l’exploration de tous les répertoires les plus prestigieux. Devenu superstar en quelques années, il attire désormais les foules à chacun de ses rendez-vous et ces deux concerts à la Philharmonie de Paris n’ont pas fait exception.
Il rejoindra la direction de l’Orchestre de Chicago et du Concertgebouw d’Amsterdam dès 2027, mais il a encore de très beaux projets à Paris comme en témoigne le riche programme de la saison qui s’ouvre.
Alors qu’il avait pris les rênes de l’Orchestre de Paris en 2020, en pleine période de restrictions COVID, beaucoup se souviennent de l’intense émotion ressentie le soir de son premier concert « en présentiel » dans la salle Pierre Boulez devant ce jeune chef encore peu connu, mais déjà immédiatement remarqué pour sa jeunesse, sa fougue, sa direction précise et passionnée, sa façon de danser sur son estrade et surtout cette flamme communicatrice que les grands artistes possèdent et savent transmettre au public. Même les opus les plus connus semblent alors être renouvelés et un concert dirigé par Mäkelä ne ressemble à rien de déjà entendu, même par l’amateur acharné.
La Philharmonie de Paris arbore la foule des grands soirs et nul doute qu’une bonne partie du public qui se presse dans le hall vient pour la « rentrée » de l’un des chefs d’orchestre les plus renommés dans le monde de la musique classique et l’un des plus demandés également.
Dans une interview récente donnée au magazine Diapason, Klaus Mäkelä souligne : « j’ai appris à tisser des liens assez forts avec les musiciens de l’orchestre et donc, à connaître la dynamique de cette phalange ». Et l’on ne peut que constater à quel point il a façonné cet orchestre pour le hisser dans les premiers rangs mondiaux et lui permettre de figurer désormais dans les tournées internationales les plus prestigieuses.
Mäkelä souligne également l’importance de la neuvième symphonie de Mahler, qu’il donnera en concert les 2 et 3 octobre prochains et de « certains incontournables de l’École française, comme le Requiem de Fauré » qui sera au programme les 6 et 7 novembre, toujours à la Philharmonie de Paris.
Et puis Beethoven bien sûr que le jeune chef finnois a peu abordé jusqu’à présent et dont il nous a donné pour ce concert, un extraordinaire échantillon avec la maitrise absolue de la Troisième symphonie du maestro, l’Eroica, qui sonnera encore longtemps à nos oreilles.
Le répertoire contemporain est un incontournable des concerts de l’Orchestre de Paris qui met invariablement à l’honneur une ou deux créations modernes récentes.
Cette fois il s’agissait du compositeur letton, Peteris Vasks, avec deux de ses morceaux religieux de la veine contemplative classique, Laudate Dominum, où domine un beau dialogue entre instruments et voix et le Pater Noster, dont la forme évoque un choral de Bach.
Cela permet au Chœur de l’Orchestre de Paris, sous la direction de Richard Wilberforce, de déployer ses belles phalanges en arrière-scène et de nous donner une très intense interprétation des évocations mystiques de Vasks qui ne brillent pas par l’originalité avec une composition très lisse et parfois pesante, mais qui s’écoutent sans déplaisir avant les contrastes musicaux et virtuoses du concerto pour violon de Tchaïkovski.
Ce dernier est tout entier un morceau d’une virtuosité phénoménale exigeant un violoniste d’exception ce qu’est incontestablement Lisa Batiashvili qui sait donner à son instrument une sonorité de toute beauté dans l’écrin fantastique de la salle.
Tchaïkovski qui revendiquait sa formidable modernité pour l’époque, tout entier tourné vers la recherche de la beauté musicale plus que du respect des formes traditionnelles, avait écrit ce concerto pour le violoniste Leopold Auer qui le déclara injouable. Le challenge échut alors à Adolf Brodski qui le joua pour la première fois en décembre 1881. Le compositeur sort alors difficilement d’un mariage désastreux destiné à servir de voile afin de cacher son homosexualité. Il prend alors connaissance de la symphonie espagnole et concertante pour violon et orchestre de Lalo. Il écrit son concerto en trois semaines, comme une thérapie à sa mélancolie, et une réponse à son aspiration au bonheur impossible.
Les thèmes du premier mouvement, esquissés par l’orchestre avant d’être repris et développés par le soliste, sont particulièrement célèbres du fait de leur caractère tout à la fois épique et lyrique qui ne laissent jamais l’oreille du spectateur au repos, sollicitant sans cesse une émotion toujours plus intense qui culmine avec l’ébouriffante cadence du soliste et ses nombreux « double-cordes » acrobatiques.
Il faut une artiste du talent de Lisa Batiashvili pour rendre justice à ce morceau d’exception qui conduit d’ailleurs un public pourtant rompu aux règles de la musique classique, à applaudir et même à ovationner la performance, sans attendre la fin du concerto.
Elle possède en effet tout à la fois une technique impressionnante et une sonorité parfaite qui lui permettent de dominer sans difficulté un orchestre lui-même survitaminé qui ne se contente jamais d’accompagner la soliste dont le jeu sensuel se marie si bien avec la fougue de Mäkelä et sa gestuelle fantasque dans une très grande et bénéfique complicité.
Dans la mélancolique Canzonetta qui suit, on remarque également la qualité de chacun des pupitres et notamment des bois, mis en vedette dans le mouvement, et qui, dans une parfaite harmonie semblent être à leur tour des solistes. La pureté du son de leurs instruments est un vrai bonheur tout comme d’ailleurs, une fois encore, cet art du chef d’orchestre de valoriser chaque famille d’instrument avec une lecture analytique fascinante de la partition.
Le troisième mouvement Allegro vivacissimo ne ménage aucun temps mort et suit immédiatement la Canzonetta, enchainant à vive allure les thèmes, notamment empruntés au folklore russe, qui composent une mosaïque étourdissante de sonorités où le violon entremêle ses cordes à l’orchestre, jusqu’au final, grandiose qui conclut une magnifique interprétation ovationnée.
Lisa Batiashvili a ensuite offert en bis au public Doluri du compositeur géorgien Alexi Machavariani, bref morceau virtuose.
S’attaquer ensuite à cette pièce maitresse de l’œuvre orchestrale de Beethoven qu’est la symphonie héroïque pouvait paraître un rien éclectique pour un concert de rentrée. Mais déjà admiratifs des prouesses de Mäkelä dans le répertoire de la fin du dix-neuvième et du début du vingtième, nous l’attendions avec impatience dans les fondements du romantisme allemand et notamment dans cette « troisième », à la célèbre dédicace au « libérateur de l’Europe ». Beethoven, fervent admirateur de Bonaparte, avait alors composé cette œuvre novatrice, qui brise les cadres de la symphonie classique. Il voyait en lui le défenseur acharné des idéaux de la Révolution française. Son couronnement fut considéré comme une trahison, Beethoven supprima sa dédicace et surtout, changea l’appellation de son deuxième mouvement qui de « marche triomphale » devient « marche funèbre », tout un programme…
À la gloire de la démocratie et en protestation contre le despotisme, l’œuvre présente une audace dans les choix d’orchestration, avec une valorisation des cuivres dans les passages héroïques en réponse à la douceur teintée d’obstination des violoncelles. Rythmes syncopés, style fugué, nombreux thèmes qui se succèdent, richesse mélodique et véritables développements sonores exposant les richesses d’un orchestre au grand complet, sont autant d’atouts que Mäkelä exploite totalement : ainsi garde-t-il les huit contrebasses des gros orchestres de la fin du siècle, les cordes sont globalement pléthoriques avec les violoncelles installés au milieu des violons et altos et l’ensemble est d’autant plus impressionnant qu’il sonne bien et fort comme, on l’imagine, Beethoven en aurait rêvé.
Après un Allegro con brio qui porte bien son nom sous la baguette de notre jeune et fougueux chef finlandais, la célèbre marche funèbre sonne comme une vaste déploration littéralement enchantée par les bois avec ses multiples évocations du deuil, ce rythme et ces thèmes célèbres au symbole désormais universel. Klaus Mäkelä réussit cependant à en renouveler l’intérêt toujours par cet art de la mosaïque dans la lecture de la partition et à ce rapport inventif à chacun des pupitres qui donne une lecture unique.
L’Allegro vivace en forme de scherzo a des allures de fanfares sans jamais donner dans la précipitation pour faire ressortir tout à la fois une vitesse impressionnante et les changements de rythmes qui accompagnent les performances des instrumentistes.
On retrouve enfin dans le Final, les thèmes des Variations « Eroica » pour piano que Beethoven a composées avant sa symphonie et qu’il a repris pour la conclusion de cette œuvre maitresse.
Le public enthousiaste n’a pas ménagé ses applaudissements dans une salle comble qui augure vraiment bien de la nouvelle saison de l’Orchestre de Paris.
On retrouvera Klaus Mäkelä de multiples fois dans l’agenda de la Philharmonie de Paris à commencer par les 2 et 3 octobre prochains pour la très attendue Neuvième symphonie de Mahler. À vos agendas !
Philharmonie de Paris, Orchestre de Paris, les 11 et 12 septembre 2024
Ce concert sera diffusé le 28 septembre 2024 à 20h00 sur Radio Classique.
Visuel : © Denis Allard