Les soirées lyriques de Sanxay accueillent Nabucco pour leur vingt cinquième édition

Située à une trentaine de kilomètres de Poitiers, l’histoire du petit village de Sanxay (548 habitants) remonte à l’Antiquité romaine. Il y avait en effet un théâtre qui pouvait accueillir plus de six mille spectateurs, un complexe thermal et un temple dédié à Apollon. Si l’on n’a pas encore trouvé de traces de la ville antique, le théâtre, lui, abrite chaque été un festival qui a tant de succès qu’il est très vite devenu le troisième festival en plein air le plus important après Aix-en-Provence et Orange. Le moins que l’on puisse dire, c’est que Christophe Blugeon, le directeur historique des Soirées Lyriques, a eu le nez creux en installant ce festival au cœur du théâtre antique. Si, du temps des Romains, le site pouvait accueillir 6 500 spectateurs, de nos jours, ce ne sont que 2 500 personnes qui peuvent y accéder. Et comme le soulignait Dominique Hummel, le président de l’association, le succès de cette vingt-cinquième édition est tel que plus de 7 000 personnes ont profité de Nabucco (entre 165 000 et 170 000 personnes ont été accueillies en vingt-cinq ans), ce dont on peut se réjouir, car le beau temps était de la partie.

Une mise en scène traditionnelle et dynamique agréable à regarder

C’est l’Italien Andrea Tocchio qui était en charge de la mise en scène, de la scénographie et des lumières de Nabucco. C’est d’ailleurs une mise en scène qu’il avait réalisée à Rome et qu’il a adaptée au théâtre antique de Sanxay. Dès le début de la soirée, on admire la mise en place impeccable du chœur (composé de 70 choristes amateurs de haut niveau et professionnels) qui se déplace sur scène comme un seul homme. Quant aux solistes et aux figurants, ils sont parfaits, tout en se demandant quand même comment Abigaille mourante arrive à monter les quelques marches du décor principal. On appréciera, au passage, les costumes magnifiques d’Anna Biagiotti et le décor grandeur nature qui est monté sur roues et qui change en fonction des situations, le tout venant également de l’Opéra de Rome.

L’Orchestre et le chœur des Soirées Lyriques pleins de bonne volonté

L’orchestre des Soirées Lyriques est dirigé par Valerio Galli. L’on s’étonnera d’abord de la gestuelle très inhabituelle du chef d’orchestre italien et des tempos parfois d’une lenteur excessive (notamment lorsque Zaccaria prophétise la chute de Babylone et le retour en Judée). Mais, dans l’ensemble, la musique de Verdi est fort bien servie par Galli et sa phalange. Stefano Visconti a réalisé un travail exceptionnel avec le chœur des Soirées Lyriques. Et lors de cette ultime soirée, il fait honneur à son chef et à Verdi. Car la partition que le compositeur parmesan a composée à son intention est particulièrement difficile ; en effet, dès le chœur d’entrée, il faut se montrer solide, car si le chœur des esclaves est tout particulièrement attendu par le public – qu’il soit néophyte ou chevronné – ce n’est pas le seul « morceau » de choix que Verdi leur a composé dans Nabucco.

Une distribution exceptionnelle invitée à Sanxay

Christophe Blugeon a, en général, le nez fin pour inviter de jeunes solistes dont la carrière décolle par la suite. Mais, pour Nabucco, il faut un baryton solide – en 2014, ce fut Alberto Gazale qui prêta ses traits au souverain babylonien – et, pour la vingt-cinquième édition, il a invité le baryton mongol Ariunbaatar Ganbaatar. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il a livré une performance splendide de bout en bout. Ganbaatar est incontestablement Nabucco, tant il a intégré jusqu’au moindre tic du souverain babylonien. De son immense arrogance du début de soirée – « Je ne suis plus roi, je suis Dieu » – à la déchéance (ses supplications pour sauver Fenena sont sans effet sur la jalouse et impitoyable Abigaille), et à la folie (la description qu’il fait de son cauchemar est saisissante), son interprétation de « Dio di Giuda » est parfaite en tous points et n’a rien à envier à celle de son collègue Amartuvshin Enkhbat, qui se fit connaître en 2018 lors d’un remplacement au pied levé de Léo Nucci dans ce même rôle.

Dans le rôle d’Abigaille, nous avons une soprano polonaise : Ewa Vesin. Si la voix est très belle et assez bien maîtrisée et la présence scénique imposante, on regrettera un manque de maîtrise dans certains aspects techniques, notamment lorsqu’il s’agit de tenir des aigus filés qui sont, dans ces cas-là, chantés pianissimo (c’est très visible dans le trio Fenena/Ismaele/Abigaille), comme retenus par une peur panique de chanter franchement, clairement, dans ce théâtre antique comble. C’est d’autant plus surprenant que, dans la seconde partie, lors de la prise de pouvoir d’Abigaille, ces défauts sont presque inaudibles (son aria finale est de toute beauté, mais cela est insuffisant sur toute la soirée).

Dmitry Ulyanov est un Zaccaria de très belle tenue, même si nous aurions apprécié une direction un peu plus dynamique lors des grands airs du prêtre, dont le « Vieni, o Levita » est pris un peu trop lentement, de même que la prophétie qui suit le chœur des esclaves. Le couple Ismaele/Fenena est incarné avec talent par Klodjan Kaçani et Marie-Andrée Bouchard-Lesieur. Alfred Bironien (Abdallo) et Adrien Mathonat (le grand prêtre de Baal) complètent, avec bonheur, cette belle distribution.

Malgré une Abigaille moins convaincante que ses collègues, nous avons assisté à une représentation de très belle facture de Nabucco. La distribution, clairement dominée par le baryton Ariunbaatar Ganbaatar et le chœur des Soirées Lyriques, a donné vie au chef-d’œuvre de Verdi avec talent. L’édition 2026 du festival verra une nouvelle production de La Flûte enchantée de Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791).