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« Les rencontres inédites » au Verbier Festival : la musique de chambre au sommet

par Hannah Starman
le 24.07.2023

Le week-end du 22 et du 23 juillet, dans l’église comble de Verbier Station, les plus grands musiciens du monde se sont réunis en formation de chambre pour offrir aux spectateurs un programme éclectique composé principalement d’œuvres connues et destinées à plaire au plus grand nombre. Les rencontres inédites de cette 30e édition affichaient complet dès le premier jour : la formule qui fait la fierté du Verbier Festival est clairement appréciée par un public habitué à l’excellence.

Le Quatuor à cordes n°3 de Dmitri Chostakovitch

 

Les violonistes Irène Duval, Janine Jansen et Lawrence Power et le violoncelliste Steven Isserlis ont attaqué la matinée du 22 juillet par un intense Quatuor à cordes n°3 en fa majeur op. 73 de Dmitri Chostakovitch.

 

Composé à l’issue de la deuxième guerre mondiale, le quatuor en fa majeur est créé par le Quatuor Beethoven, le dédicataire de l’œuvre, le 16 décembre 1946 à Moscou. Comme souvent avec les œuvres de Chostakovitch, le Quatuor sera censuré par le régime soviétique qui lui reproche son formalisme et son pessimisme, complètement déphasé par rapport à l’ambiance triomphante qui embrase l’URSS après la défaite de l’Allemagne nazie. Refusant toute forme de glorification de la guerre, quelle qu’en soit l’issue pour son pays, Chostakovitch consacrera son Quatuor à la vie des « petits gens » au fil des années. Dans l’Allegretto, il décrit l’insouciance joyeuse des années 1930, l’ambiance qui s’assombrit dans un deuxième mouvement menaçant et grave et finit par s’effondrer sous une parodie féroce des marches militaires qui déferlent dans le troisième mouvement. L’Adagio, d’une tristesse infinie, évoque la fin de la guerre, non pas comme une victoire à célébrer, mais comme un vain et regrettable sacrifice. Le dernier mouvement, Moderato, marque un retour à la vie, empreinte des souvenirs des années terribles de la guerre.

 

 

Irène Duval, la violoniste française qui a remplacé au pied levé la Géorgienne Lisa Batiashvili, la violoniste néerlandaise Janine Jansen, le violoniste britannique Lawrence Power et son compatriote le violoncelliste Steven Isserlis ont interprété le Quatuor à cordes n°3 avec la fougue et la délicatesse que la pièce exige. Les musiciens sculptent les sonorités vibrantes et riches en nuances du Quatuor avec précision et émotion, notamment dans les deux premiers mouvements. En revanche, dans l’Adagio et le Moderato, malgré des passages pétillants des violons et un sublime solo sombre du violoncelle, le son rond semble trop réconciliant pour exprimer la véhémence empêchée du désaveu de Chostakovitch. Une tension centrale qui nécessiterait davantage d’âpreté, voire de brutalité.

 

Le Quintette à cordes en ut majeur, D. 956 de Franz Schubert

 

Après l’entracte, la violoniste américaine Blythe Teh Engstroem et le violoncelliste suédois Daniel Blendulf ont rejoint Irène Duval, Janine Jansen et Lawrence Power pour nous livrer un ravissant Quintette à deux violoncelles de Franz Schubert.

 

Atteint de syphilis, Schubert terminera la composition de son seul quintette à cordes deux mois avant sa mort le 19 novembre 1828, à l’âge de 31 ans. Pétri de pathos et jalonné de sursauts de révolte, le Quintette à cordes est considéré comme une des plus belles œuvres de la musique de chambre du XIXe siècle. Pour donner à son quintette une sonorité plus riche dans le registre grave, Schubert remplacera le second alto habituel par un deuxième violoncelle. Le choix s’est révélé judicieux dès le premier mouvement, Allegro ma non troppo ample et exubérant qui dure presque vingt minutes et introduit des tournures harmoniques chavirantes, ainsi qu’un splendide duo de violoncelles, magistralement exécuté par Isserlis et Blendulf. L’Adagio ouvre sur une ambiance de sérénité paradisiaque qui évolue vers des eaux plus troubles de la partie centrale du mouvement avant le retour au calme. Le Scherzo qui suit est somptueux et doté d’un volume symphonique que Schubert crée grâce à une utilisation habile et innovante des rythmes de fanfare et des bribes d’orchestration normalement affectée aux vents et cuivres pour obtenir cet effet qui révolutionnera l’écriture pour les petites formations à cordes. Le dernier mouvement, Allegretto, imprégné d’influences hongroises, exprime une densité et une tension exubérantes et se termine dans un vibrant finale dans la droite lignée de Mozart et Beethoven.

 

 

Maîtrisée et équilibrée, l’interprétation que nous proposent Irène Duval, Janine Jansen, Lawrence Power, Blythe Teh Engstroem et Daniel Blendulf ne manque pas d’esprit pour autant. Le Quintette à cordes en ut majeur de Schubert que nous avons entendu ce samedi matin à l’église de Verbier regorge d’émotion, on ne peut plus romantique. Amplifiée à chaque répétition, il se déploie à travers des envolées rythmées, enflammées et superbement délivrées. Le public, conquis, a gratifié les musiciens d’une standing ovation amplement méritée.

 

Le Trio pour piano et cordes n° 4 en mi mineur d’Antonín Dvořák

 

Le soir du 22 juillet, le Trio pour piano et cordes n° 4 « Dumky » de Dvořák a rassemblé le pianiste américano-arménien Sergei Babayan, le violoncelliste israélien Mischa Maisky et le violoniste allemand Augustin Hadelich.

 

Créé le 11 avril 1891 à Prague, le « Dumky trio » est le dernier des quatre trios avec piano composé par Dvořák avant sa mort le 1 mai 1904, à l’âge de 62 ans. Une des œuvres les plus connues et les plus originales du compositeur, le Trio pour piano et cordes n° 4, se divise en six courts dumka. Dumka (pluriel, dumky) est une forme diminutive du terme douma, poème épique ukrainien datant du XVIe siècle, construit autour d’évènements historiques ou religieux et psalmodiés par des musiciens ambulants. A partir du XIXe siècle, les compositeurs slaves ont adopté le terme douma pour décrire les compositions ténébreuses et introspectives, parsemées de soubresauts de légèreté et de gaieté. La pièce est composée de six dumky, dont les trois premières se succèdent sans interruption et donnent l’impression de constituer un long premier mouvement. Les trois autres dumky, présentées dans des tonalités distinctes, créent l’effet de trois autres mouvements. L’ensemble est à la fois « une complainte bohémienne débridée » (Daniel Felsenfeld) et six petits morceaux exquis, qui expriment leur individualité avec force et conviction.

 

 

Le courant semble passer entre Babayan, Maisky et Hadelich et une rivalité joyeuse s’installe entre les trois musiciens dès les premières notes, au plus grand plaisir des spectateurs qui profitent pleinement des sonorités somptueuses, accentuées par l’acoustique généreuse de l’église de Verbier. Débordant d’énergie, comme des adolescents sur un terrain de foot, lorsqu’ils jouent ensemble (par exemple dans Dumka I,II et VI), ils savent aussi se mettre en retrait pour permettre aux uns et aux autres de réaliser leurs éclatants solos (Misha Maisky dans Dumka II, Augustin Hadelich dans Dumka IV).

 

Le Quintette pour piano et cordes en la mineur d’Edward Elgar

 

Après l’entracte, l’équipe change pour le Quintette pour piano et cordes en la mineur d’Elgar : Alexandre Kantorow au piano, Renaud Capuçon et Alexandra Conunova au violon, Lawrence Power à l’alto et Sheku Kanneh-Mason au violoncelle.

 

 

Le Quintette pour piano et cordes, créé le 21 mai 1919, est une œuvre colossale, la plus longue jamais écrite par Elgar et une des plus étendues dans le répertoire de la musique de chambre. Selon le journal d’Alice Elgar, l’épouse du compositeur, le Quintette serait inspiré de la légende selon laquelle des moines espagnols démoniaques auraient été transformés, en guise de punition, en arbres sinistres que les Elgar observent près de leur cottage dans le Sussex. Le premier mouvement, Moderato – Allegro est le plus étonnant des trois ; nocturne, saisissant et énigmatique. Mais c’est l’Adagio qui suit, que l’on considère habituellement comme le point culminant de l’œuvre. Basé sur une mélodie vaste et lente portée par l’alto, l’Adagio est empreint d’une tendresse toute nostalgique. Il contient un magnifique passage cristallin du piano, admirablement réalisé par Kantorow, et un déchirant duo entre le piano et le violoncelle. Le troisième mouvement, Andante – Allegro, rappelle le sombre soupir du premier mouvement avant d’enchainer sur une danse triomphale, lumineuse et éclatante.

 

Pendant les 35 minutes que dure le Quintette pour piano et cordes, le quintet sur scène nous tient en haleine. On aurait souhaité un alto un peu plus affirmé dans le long solo qui ouvre l’Adagio, mais dans l’ensemble, le quintet nous livre une vibrante interprétation de ce chef-d’œuvre d’Elgar, bien menée, équilibrée et présentant de superbes passages, notamment par Kantorow et Kanneh-Mason, sans oublier le duo de violons. Les applaudissements et les bravos qui ont retenti à la fin, ainsi que trois rappels, témoignent de la qualité exceptionnelle de ce beau Quintette d’Elgar.

 

 

La Sonate pour violon et piano de Claude Debussy

 

Le premier morceau au programme dimanche matin à 11h, la Sonate pour violon et piano de Debussy, a été joué par le violoniste américain Joshua Bell et le pianiste russo-américain Kirill Gerstein.

 

Composée entre 1916 et 1917 à Arcachon et créée le 5 mai 1917 à la salle Gaveau à Paris, la Sonate pour violon et piano est la dernière des sonates écrites en hiver 1916-1917 et la dernière œuvre majeure de Claude Debussy qui succombera à un cancer le 25 mars 1918. L’œuvre d’une durée de quinze minutes comporte trois mouvements : Allegro vivo, Intermède « fantasque et léger » et un surprenant Finale. Les mouvements s’agencent sur une trame discontinue et fragmentée aux accents modernistes. A la fois angoissée et tendre, douloureuse et fantasque, la sonate comporte des passages radieux qui n’arrivent, toutefois, pas à recouvrir le sentiment tragique sous-jacent.

 

La chimie entre Joshua Bell et Kirill Gerstein ne semble pas au rendez-vous, mais cela n’enlève rien à la qualité de leur interprétation. Au contraire, ils s’engagent dans une surenchère de virtuosité et arrivent ainsi, ensemble, à incarner parfaitement la tension inhérente à l’œuvre.

 

La Sonate pour le violoncelle et le piano de Claude Debussy

 

Steven Isserlis a pris la suite de Joshua Bell sur scène et le programme enchaîne sur la Sonate pour violoncelle et le piano, également une des dernières œuvres du compositeur. Écrite en quelques jours en août 1915 pendant un séjour normand à Pourville au bord de la mer, l’œuvre réserve une place de choix au violoncelle : « Que le pianiste n’oublie jamais qu’il ne faut pas lutter avec le violoncelle mais l’accompagner », note le compositeur dans la partition. Une exécution historique a eu lieu le 24 mars 1917 à Paris, avec Claude Debussy au piano et Joseph Salmon au violoncelle.

 

 

La sonate débute avec un Prologue majestueux, porté par le violoncelle généreux de Steven Isserlis qui nous fait vibrer au fil de ses épanchements solitaires, accompagné par Kirill Gerstein au piano. Le deuxième mouvement, Sérénade, ouvre avec un pizzicato jazzy de violoncelle auquel se joint le piano pour développer un échange fantasque et frivole. Le Finale virtuose vient clore cette pièce d’une bonne dizaine de minutes. Gerstein et Isserlis s’accordent bien et s’enlacent cordialement avant de saluer le public qui les remerciera par des applaudissements chaleureux.

 

La Sonate pour violon et violoncelle de Maurice Ravel

 

Maurice Ravel écrira sa Sonate pour violon et violoncelle, qu’il considérera comme un « tournant dans l’évolution de [sa] carrière » (Lettres, écrits, entretiens) après la disparition de Debussy en 1918 et il la dédiera à la mémoire de son ami. Il lui faudra deux ans pour terminer la composition de cette œuvre de vingt minutes résolument moderne qui sera finalement créée le 6 avril 1922 à Paris. Dans la droite ligne du dernier grand projet de Debussy, le cycle inachevé de six sonates pour différents instruments, Ravel y cherche le « dépouillement poussé à l’extrême, » le « renoncement au charme harmonique, » mais aussi le jeu de dissonances qui n’est pas sans rappeler le travail de ses pairs hongrois, Béla Bartók et Zoltán Kodály.

 

Le premier mouvement (Allegro) introduit les thèmes, alternant les deux instruments, engagés dans un contrepoint fluide aux accents japonisants que Bell et Isserlis exécuteront avec brio. Le deuxième mouvement est un scherzo contrastant le pizzicato et l’arco dans un ensemble percutant. Ravel insistait que les pizzicati joués par le violon et le violoncelle soient exécutés uniformément sur les plans rythmique et sonore pour ne pas casser la ligne qui traverse le passage. Bell et Isserlis sont parfaitement accordés et se sont montrés complices également lorsqu’il s’est agi, pour le premier, de tourner la page sur la partition du second, ou d’exécuter, dans le rondo du finale, le sautillé qui doit, selon l’instruction du compositeur, faire rebondir l’archet « comme un lapin mécanique ». La Sonate est une œuvre symphonique pour deux instruments. Par leur formidable sonorité expressive, Bell et Isserlis incarnent admirablement le bon mot qui circulait parmi les amis de Ravel, à savoir qu’il devrait un jour en écrire « la réduction pour grand orchestre ».

 

 

L’entracte terminé, Kirill Gerstein entre en scène, seul. « Ne vous inquiétez pas, nous ne nous sommes pas disputés », dit-il pour rassurer les spectateurs, avant d’expliquer que, pour étoffer la deuxième partie de la matinée, il jouera trois brefs morceaux peu connus de Claude Debussy pour piano.

 

Daté du 15 décembre 1915, Élégie est considéré comme le dernier morceau de Debussy pour piano avant la découverte fortuite de la deuxième composition que Gerstein nous propose, à savoir Les Soirs illuminés par l’ardeur du charbon. Gerstein raconte l’histoire derrière la vente aux enchères qui a fait resurgir cette partition il y a vingt-cinq ans. Pendant l’hiver extrêmement rude de 1916-1917, en pleine guerre, le charbonnier des Debussy s’efforce de leur trouver de quoi se chauffer. En échange, Debussy lui fait parvenir un magnifique manuscrit citant une ligne du poème de Baudelaire, « Le balcon. » Gerstein décrit la pièce comme « une forme de requiem, dans lequel Debussy prend son congé de beaucoup de choses ». Le troisième morceau, Berceuse héroïque, est présenté sous un angle plus politique. Rappelant la récente fête nationale belge, Gerstein explique que Debussy a composé la Berceuse en 1914, en pleine première guerre mondiale, pour un livre d’hommages au roi des Belges Albert Ier. Debussy y honore l’héroïque résistance face à un ennemi infiniment supérieur en nombre et en puissance. Le pianiste russo-américain ajoute : « Aujourd’hui, nous exprimons la même sympathie à une autre nation injustement envahie. »

 

Le Trio pour piano, violon et violoncelle en ré mineur op. 120 de Gabriel Fauré

 

Kirill Gerstein a joué les trois morceaux tristes et sombres, de huit minutes environ, avec délicatesse et émotion. Ce qui lui a valu d’être remercié par un public enthousiaste qui a accueilli Joshua Bell et Steven Isserlis pour la suite du programme : le Trio pour piano, violon et violoncelle de Gabriel Fauré.

 

Installée dans la Villa Dunant à Annecy-le-Vieux, Gabriel Fauré, âgé alors de 77 ans et quasi sourd, travaille sur un trio clarinette, vite remplacée par le violon, le violoncelle et le piano. Il y écrira l’Andantino, le mélancolique deuxième mouvement et il composera les premier et troisième mouvements à Paris en 1923. Son avant-dernière œuvre, d’une durée de dix-huit minutes, sera créée à la Société nationale de musique le 12 mai 1923.

 

Le Trio est une œuvre épurée et gracieuse, combinant une texture transparente et des thèmes fluides qui reviennent à chaque fois sous une forme un peu différente. Un traitement qui fait penser aux clapotis de l’eau, en perpétuel mouvement. Les mélodies émergent des motifs rythmiques qui forment des séquences, ainsi que des mosaïques de petits fragments qui entrent en dialogue les uns avec les autres. Les instruments portent, chacun à leur tour, les thèmes et leur donnent ainsi une couleur différente. Les cordes dominent le premier thème, tandis que le piano introduit le second.

 

 

Le duo Bell-Isserlis s’est fait particulièrement poignant dans l’Andantino où l’ambiance nostalgique s’intensifie dans un son dépouillé et inquiétant que Joshua Bell cisèle avec un lyrisme subtil, sur son célèbre Huberman Stradivarius de 1713. Gerstein, qui accompagne Bell et Isserlis dans les premiers mouvements, a connu son moment de gloire dans le finale, où le piano interrompt la mélodie lente et articulée avec une intervention éblouissante. Opposant les cordes qui cherchent à dompter ses élans en ralentissant, il s’est lancé dans un rythme effréné. Gerstein exécute le passage avec une gaieté joueuse. La superposition temporelle avec le violoncelle et le violon sera tout aussi remarquablement menée par Bell et Isserlis.

 

Les applaudissements qui ont retenti dans l’église de Verbier à 13 heures ont rendu hommage aux excellents musiciens sur scène. Le concert n’a guère convaincu la spectatrice voisine qui, non contente de se vanter d’avoir connu Benyamin Nétanyahou enfant (« un môme insupportable »), s’est écriée avec contrariété : « Quelle idée que de programmer une brochette de vieux croulants ! » Ce sont pourtant des compositeurs vaillants qui, malgré la fatigue et la maladie, ont infusé leurs dernières œuvres de tant de beauté et de vigueur nostalgique.

 

Visuels : © Evgenii Evtiukhov et Agnieszka Biolik