Après une absence qui aura duré de longues années à l’Abbaye aux Dames, Les Arts florissants, fondés en 1979 par William Christie qui dirige l’ensemble depuis cette date, reviennent à intervalles réguliers au festival de Saintes. Pour le concert de l’édition 2025 c’est Paul Agnew qui dirigeait l’orchestre et le chœur dans lequel se trouvaient deux lauréats du dernier jardin des voix.
C’est avec un programme de cantates composées par Jean Sébastien Bach (1685-1750) et ses contemporains que les Arts Florissants arrivent à l’Abbaye aux Dames de Saintes. « Il faut savoir que Bach n’était pas du tout le premier choix du jury de Leipzig. Ils voulaient embaucher le meilleur » nous dit Paul Agnew en préambule de la soirée. « Et c’était Georg Philipp Telemann (1681-1767) qui était un grand ami de Bach. Mais il a préféré rester chez son employeur. Johann Kuhnau (1660-1722) a lui aussi décliné la proposition ainsi que Christoph Graupner (1683-1760) ». Et Paul Agnew conclut : « Ils se sont tournés vers les « médiocres » et Bach était le premier sur la liste. Les deux cantates de Bach que vous allez écouter sont celles qu’il a composées pour son audition. »
C’est la cantate « Wer sich rächet » TWV de Georg Philipp Telemann (1681-1767) qui ouvre la soirée. La musique de Telemann est parfaitement exécutée ; les tempos et les nuances sont quasi parfaits, le chœur (peu nombreux, ils sont huit en tout, solistes inclus) suit son chef avec une précision millimétrée. Pour cette première œuvre que l’on sait composée par un homme chevronné, les solistes sortent du rang et nous avons le privilège de voir venir pour l’occasion deux lauréats de la dernière édition du jardin des voix initié par William Christie en 2002. le jeune contre ténor Maarten Engeltjes et le ténor Thomas Hobbs séduisent d’emblée avec leurs voix parfaitement maîtrisées. Les duos et arias qui leur sont attribués sont remarquablement interprétés et l’on peut apprécier le travail exceptionnel et rigoureux qui a été fait pendant le passage de Engelties au jardin des voix. La soprano Mariam Allan et la basse Edward Grint n’ont rien à envier à leurs deux collègues et se hissent sans efforts à leur niveau.
La cantate « Lobe den Herrn meine seele » de Johann Kuhnau (1660-1722) est tout aussi remarquablement interprétée. Chacun, sous la direction d’un Paul Agnew très inspiré, se met au service de cette belle musique avec tout son cœur et toute son âme. La cantate « Du wahrer Gott und David sohn » BWV 23 est la première des deux cantates que Bach composa pour son audition à Laipzig ; il avait alors 38 ans et déjà une grande famille (n’oublions pas qu’il a eu vingt enfants avec ses deux épouses). Si l’on écoute une musique déjà exceptionnelle, on devine quand même une certaine anxiété car ce « concours » organisé par les responsables de la paroisse de Leipzig pour le recrutement d’un kantor est d’un niveau très relevé. Quoi qu’il en soit, Bach a visiblement convaincu ses « juges » en proposant une musique qui correspondaient à leurs critères.
Après une pause d’une dizaine de minutes, les Arts Florissants reviennent sur le plateau central pour les deux dernières œuvres du programme. De Christoph Graupner (1683-1760) nous écoutons la cantate « Aus der Tiefen rufen wir ». Là encore nous avons une musique d’un très haut niveau d’exigence. Et les solistes, le choeur et l’orchestre font honneur à Grainer en interprétant son chef d’œuvre sans faiblesse. Que ce soit les nuances, les tempos, la diction tout a été travaillé avec un sérieux et une rigueur incomparables en amont du concert. La cantate « Jesus nahm zu sichdie Zwölfe » BWV22 de Bach termine la soirée. « Pour la composer, Bach a fait le voyage jusqu’à Jérusalem. Et il en connu un moment de panique en voyant comment la ville vivait sa foi. » nous dit Agnew avant d’en entamer l’exécution. Si la cantate démarre « tranquillement » on note en effet qu’un chœur, heureusement de courte durée reflète ce moment de panique que Bach a pu ressentir dans la ville sainte.
C’est un concert assez long – environ deux heures – auquel nous avons assisté. Mais les cinq cantates de la soirée sont des œuvres parmi les moins connues des compositeurs du jour. La rigueur qui caractérise le travail en amont de chaque concert a fait de ce moment un moment exceptionnel tant par le choix des voix (choeur et solistes) que par la direction parfaite de Paul Agnew qui a tenu son monde d’une main de fer dans un gant de velour.
(c) Paul Agnew par Oscar Otéga pour l’Opéra National de Bordeaux