Le mois d’octobre débute avec le feu sacré du Requiem de Mozart, proposé dans la version flamboyante de Raphaël Pichon et de l’ensemble Pygmalion.
Par Emanuele Zazzero
Avec son allure de mystère, ce chef-d’œuvre a inspiré l’imagination de nombreux artistes dans les derniers deux siècles, de Pouchkine jusqu’à Milos Forman, dont le célèbre film Amadeus est basé sur la légendaire rivalité entre le génie de Salzbourg et l’Italien Salieri. Dans le film, ce dernier, compositeur jaloux du talent de Mozart, cherche à voler la partition du Requiem en se présentant comme un homme masqué et habillé de noir.
Dans l’histoire réelle du Requiem, il y eut bien un « messager noir ». Il s’agissait du comte von Walsegg qui commanda une messe pour honorer la mémoire de sa femme bien-aimée, morte au début de l’année 1791. En fait, le comte ne voulait pas seulement une musique exceptionnelle, il voulait aussi s’attribuer la paternité de la création. Une vraie triche musicale en quelque sorte…
Cependant, le 5 décembre 1791, la mort soudaine de Mozart laisse la partition inachevée et la femme du compositeur, Konstanze, demande à Franz Süßmayr (ami et élève de Mozart) de terminer le travail.
Ce dimanche 1er octobre, la salle de la Philharmonie de Paris était bondée, le public très enthousiaste et attentif et l’ensemble Pygmalion, son chef Raphaël Pichon et les solistes n’ont pas déçu les attentes.
Après l’avoir porté sur scène en collaboration avec Romeo Castellucci, Pichon a conçu le programme de cette soirée comme un long parcours spirituel : le Requiem s’y trouve entrelacé d’autres pièces de Mozart, pour la plupart rarement interprétées, ainsi que de cantilènes grégoriennes. Les morceaux ont été choisis par Raphaël Pichon, qui a ainsi construit une sorte de parodie musicale, pratique fréquente dès le Moyen Âge et utilisée ensuite par Bach.
Le concert démarre dans l’obscurité totale, un unique rayon lumineux éclairant un garçon placé au balcon. Sa voix blanche chante une cantilène grégorienne douce et triste. Immédiatement après, la scène s’allume et les quatre voix solistes enchaînent sur un petit Canon K228. Puis, l’orchestre et le chœur interprètent la Meistermusik K477b, une musique composée pour la célébration de funérailles maçonniques (Mozart était franc-maçon à la loge de Vienne).
Il est alors très intéressant d’observer l’orchestration de cette musique maçonnique et ses similarités avec celle du Requiem : les trombones donnent une sonorité somptueuse et dramatique et le timbre doux et sombre du cor de basset s’intègre bien à l’orchestre. Mozart utilisait souvent cet instrument (qui fait partie de la famille de la clarinette, mais a une forme incurvée comme celle du cor) pour doubler et soutenir les voix.
Après le Miserere K90, le Requiem débute et les différents mouvements de la messe sont en contrepoint avec le Ne Pulvis et cinis K122, le Solfeggio K393, l’Amen k626 et le Quis te comprehendat K Anh. 110.
À la fin de la messe, comme une fin de cycle, la cantilène grégorienne du début résonne à nouveau, mais, cette fois-ci, le chœur répond au gamin par une antienne, puis leurs voix se dissolvent dans l’obscurité de la salle.
Geste simple et direct, lucidité extrême et passion intense sont les éléments de la direction de Raphaël Pichon. Ce jeune chef a la capacité d’enflammer la musique avec son esprit rationnel (mais jamais froid) et son extrême attention aux détails. Le geste large et clair lui permet de dominer la grande masse de l’orchestre et des chanteurs, sans pour autant sacrifier la magnifique broderie polyphonique qui marque le Requiem et les autres pièces choisies pour la soirée. Le style est sec, il y a peu de vibrato, mais un intense jeu entre les couleurs des voix et les instruments de l’orchestre, et les violons jouent avec des attaques en messa di voce. Très passionné et intense, Pichon adopte cependant, parfois, des choix de tempo un peu exagérés ; ainsi le « Kyrie », malgré un contrôle de l’ensemble du jeu polyphonique, atteint une vitesse trop extrême pour bien marquer la solennité de cette fugue.
Au-delà de la prestation de haute volée du chef, le concert nous a présenté un orchestre et surtout un chœur de qualité époustouflante. Formé par des musiciens qui jouent sur instruments d’époque, l’ensemble Pygmalion montre une complicité naturelle avec son chef fondateur. Le velours sombre des cordes, les bois précis au détail et les cuivres et timbales balancés ont parfaitement caractérisé l’orchestration du Requiem.
Le chœur Pygmalion est un vrai bijou : la justesse de chaque entrée, la perfection de l’intonation, l’équilibre du jeu de contrepoint et la diction parfaite du latin ont été un bonheur de tous les instants pour les oreilles !
Sabine Devieilhe (soprano) a une vocalité légère, pénétrante et de couleur claire. Sa voix n’est pas énorme, mais sa projection est apte à remplir la salle. Dès le solo de l’« Introitus » du Requiem, elle montre un style de chant pur et angélique.
Beth Taylor (mezzo) dispose d’une voix bien corsée et d’une magnifique couleur ambrée, qu’elle exprime mieux dans le registre grave. Son style dramatique a insufflé une interprétation lyrique au Requiem.
Laurence Kilsby (ténor) dispose d’une vocalité brillante et bien projetée et le ténor chante passionnément sans jamais, pour autant, forcer le phrasé.
Alex Rosen (basse) montre dès le début une voix puissante et sombre, mais jamais lourde, et ses qualités ont été importantes, notamment dans le solo du « Tuba Mirum », où il a dialogué élégamment avec le trombone.
Enfin, malgré son âge, Chadi Lazreq (enfant soprano) a montré, à la fois, un grand professionnalisme et un savoir-faire sur scène. Sa voix, douce et mélancolique, s’est avérée un très bon choix pour ce répertoire spirituel.
Le concert, cette très grande réussite, s’est terminé avec une longue standing ovation pour tous les artistes.
Visuel : Raphaël Pichon © Piergab
Extrait du « Dies irae » du Requiem de Mozart. Direction : Raphaël Pichon – Ensemble Pygmalion – Mise en scène Romeo Castellucci – Festival d’Aix-en-Provence (2019)