Pour son deuxième CD solo, sorti chez Deutsche Grammophon, Jonathan Tetelman se consacre à l’interprétation d’airs des différents opéras de Puccini, du Villi à Turandot. Un disque très attendu de la nouvelle étoile montante du lyrique, qui séduit… tout en laissant une légère impression d’inachevé.
Jonathan Tetelman, ténor américain de 35 ans (qui a débuté sa carrière comme baryton) sort son deuxième album en tant que soliste. Le premier, sobrement intitulé « Arias », était une sorte de carte de visite centrée autour du répertoire italien et notamment d’airs de Verdi, Puccini, Giordano, Mascagni, Cilea. Y figurait aussi « Pourquoi me réveiller », l’air le plus emblématique du Werther de Massenet, un rôle qu’il interprétera en version concertante au festival de Baden-Baden en octobre.
Cette fois, le ténor qui a affermi sa technique, et a remporté un énorme succès dans son incarnation très forte et personnelle du rôle de Macduff dans Macbeth cet été à Salzbourg, nous propose une confrontation de son style aux principaux airs des opéras de Puccini dont on se doute qu’ils conviennent particulièrement bien à sa voix forte et décidée et à son timbre sombre et très viril.
En commençant par le célèbre « Donna non vidi mai », extrait de l’acte 1 de Manon Lescaut, il donne immédiatement le « la ». Il entend incarner le héros romantique puccinien d’une manière plus héroïque que lyrique. La voix est puissante et large, le timbre séduisant, le style soigné et on imagine très bien le ténor dans l’ensemble du rôle tant il excelle dans les parties les plus « forte » de l’aria, tout en sachant ralentir et nuancer son chant, lors des moments rêveurs de ce Des Grieux encore rempli d’espoirs. Les tempi sont un peu lents et l’ensemble manque d’un peu de dynamisme et de legato et l’on n’est pas totalement convaincu par un final un peu brutal qui ne correspond pas exactement aux rêveries de Des Grieux.
On relève ensuite immédiatement un désordre dans les airs ; « Nessun Dorma » l’air emblématique de Turandot, le dernier opéra de Puccini est la deuxième plage de l’album alors que l’autre air de Manon Lescaut « Ah! Manon, mi tradisce » figure, lui, en neuvième position. Cet air de colère d’un Des Grieux qui mesure son infortune est abordé avec beaucoup plus de nuances et de finesse par le ténor. Tetelman semble là mieux maîtriser l’art dramatique (mais non vériste) de Puccini en évitant les effets trop sanguins ou trop impulsifs, sans toujours parvenir cependant à intérioriser encore suffisamment son chant.
Le ténor adoucit son style et son timbre pour aborder le rôle très lyrique de Ruggero dans La Rondine qui suit et nous séduit bien davantage malgré un aigu final lancé un peu maladroitement et qui s’évanouit trop vite.
Il est clair que Jonathan Tetelman, qui n’a pas encore énormément de scènes à son actif et est bien plus à son aise dans les rôles comme Rodolfo (de La Bohème), un personnage qu’il a déjà incarné à plusieurs reprises, qui lui va bien et où il nous offre de véritables petits morceaux d’opéra. On apprécie la beauté de son duo de « Che gelida manina » avec la Mimi suave de Federica Lombardi, puis le superbe quatuor des deux couples, « Dunque è proprio finita », avec Marina Monzo et Theodore Platt. Jonathan Tetelman donne, dans ces airs, toute la mesure de son talent où la confrontation avec ses partenaires lui permet de vivre au maximum son personnage. Il est d’ailleurs, à ce titre, tout à fait intéressant de « comparer » son Rodolfo à ceux – récemment enregistrés et donnés également sur scène – de Benjamin Bernheim et Pene Pati, deux autres ténors de sa génération. Non pas dans l’objectif de distribuer des bons ou des mauvais points, car les trois ténors sont d’ores et déjà, à juste titre, des références incontournables de l’actualité lyrique, mais pour souligner à quel point un même rôle être incarné différemment, en fonction des qualités vocales et de la personnalité de chacun. C’est l’occasion de se réjouir de cette impression de redécouvrir une œuvre au travers de nouveaux interprètes.
Cavaradossi, le chevalier, peintre d’art révolutionnaire, dont Tosca est éperdument amoureuse, est aussi un rôle très joué dans lequel il n’est pas forcément facile de se faire remarquer. Ténor lyrique, Tetelman possède des accents spinto qui vont à merveille dans son « Recondita Armonia ». Il sait également multiplier les nuances nécessaires à une exécution sincère et touchante du trop célèbre « Lucevan le Stelle », performance qui le classe parmi les meilleurs de ces dernières années. On se félicitera, à ce propos, qu’il ait choisi d’enregistrer l’intégralité de la séquence, comprenant le dialogue avec son geôlier (interprété par Onay Köse) annonçant, en quelque sorte, un écrin rempli d’émotion pour cet air d’amour et d’adieu, inoubliable surtout quand l’artiste sait éviter tout pathos surjoué et tout sanglot malvenu dans la voix.
Dans le même style, son interprétation du « Ch’ella mi creda libero » (qu’elle me croit libre) de La Fanciulla del west est le plus excitant et le plus accompli de ce bel album, nous permettant d’espérer une prise de rôle prochaine en bandit au grand cœur. Il faut dire que ce moment où Dick Johnson va être pendu et a un dernier vœu magnifique qu’il chante à ses bourreaux, souhaitant que jamais Minnie n’apprenne son triste sort, est l’un des plus beaux écrits par Puccini.
Il sera sans doute aussi un Luigi – docker de son état – très intéressant dans Il Tabarro s’il aborde l’ensemble du rôle dont ce trio avec la Giorgetta de Vida Miknevičiūtė et le Michele de Onay Köse, est, sans doute, le plus emblématique de ce court, mais percutant ouvrage. Comme on peut le constater dans toutes les scènes où le ténor est confronté à des partenaires, son chant s’anime merveilleusement et l’on se croit un court instant au milieu de la scène.
C’est aussi le cas de l’extrait choisi pour illustrer Madame Butterfly. Jonathan Tetelman a déjà interprété Pinkerton, sur scène, à plusieurs reprises et il choisit ce dernier trio de l’acte III, introduit par Suzuki puis Sharpless, avant d’être chanté à trois voix dans un ensemble musicalement très réussi auquel les trois artistes donnent toute la tristesse mélancolique de leurs regrets, juste avant l’issue fatale.
Il est paradoxal de finir par le beau et déchirant « Torna ai felici dei » extrait du premier opéra de Puccini, Le Villi, un air dont on devine qu’il aura à cœur de l’offrir en « bis » dans de futurs récitals tant il y met de fougue et de désespoir communicatif. Un peu moins « fort » est-on tenté de dire malgré tout…
L’accompagnement musical de l’orchestre du PKF sous la direction de Carlo Rizzi est soigné, sans excès de décibels. Il escorte le ténor avec délicatesse et donne une belle interprétation sans grand relief, évitant tout effet trop appuyé, mais manquant parfois de tension. Mais priorité au chant…
La sortie de cet album paraît, pour certains de ses titres, comme un peu prématurée. Le ténor n’a pas eu l’occasion d’approfondir sur scène certains des rôles abordés ce qui le conduit parfois à une interprétation un peu simpliste, voire un peu raide, et à une diction manquant de poésie. Mais Jonathan Tetelman est incontestablement un phénomène à suivre de près dans l’art lyrique. Avec davantage d’expériences et une carrière plus longue, nul doute qu’il incarnera, avec davantage de maîtrise, les rôles abordés dans l’album en s’appuyant sur ce qu’il réussit déjà très bien, ses aigus nets, francs et lumineux, le contrôle de sa voix sur toute la tessiture avec des graves et des médiums soutenus. Il a déjà ce que l’on appelle une « signature vocale » précieuse, et on peut vérifier au fur et à mesure que se déroule sa carrière, qu’il ne cesse de progresser dans le domaine des nuances, de la messa di voce et de la maîtrise du souffle.
C’est donc un très bel enregistrement qui fait date dans lequel le ténor rend un bel hommage au grand Puccini tout en annonçant de possibles futures prises de rôle que l’on attend avec impatience.
The Great Puccini – 1. Donna non vidi mai [Manon Lescaut, SC 64] 2. Nessun dorma [Turandot, SC 91] 3. Parigi! E la citta dei desideri [La rondine, SC 83] 4. Che gelida manina [La bohème, SC 67] 5. O soave fanciulla [La bohème, SC 67] 6. Dunque è proprio finita! [La bohème, SC 67] 7. Dammi i colori! Recondita armonia [Tosca, SC 69] 8. Mario Cavaradossi? … E lucevan le stelle [Tosca, SC 69] 9. Ah! Manon, mi tradisce [Manon Lescaut, SC 64] 10. Che giova? … Io so che alle sue pene [Madama Butterfly, SC 74] 11. Quello che tacete [La fanciulla del West, SC 78] 12. Ch’ella mi creda [La fanciulla del West, SC 78] 13. O Luigi! Luigi! … Dimmi, perché gli hai chiesto [Il tabarro, SC 85] 14. Non piangere, Liu [Turandot, SC 91] 15. Torna ai felici dì [Le Villi, SC 60]
Jonathan Tetelman Tenor – Federica Lombardi Soprano – Marina Monzó Soprano – Vida Miknevičiūtė Soprano – Rihab Chaieb Mezzo-Soprano et PKF Prague Philharmonia, direction musicale de Carlo Rizzi. Durée : 55 minutes.
CD Deutsche Grammophon, sortie le 29 septembre 2023.