Face à une salle comble, le pianiste virtuose chinois a livré une performance sans égal dans sa virtuosité, jouant La Pavane de Fauré, les Kreisleriana de Schumann et les Mazurkas de Chopin. Si la fougue et la conviction font de Lang Lang un des meilleurs pianistes contemporains au monde, l’émotion et la délicatesse ne sont pas toujours au rendez-vous. Un concert à l’image du parcours d’un enfant prodige partagé entre l’amour de la musique et un travail acharné.
Le concert commence rapidement, pas de silence méditatif avant les premières notes de La « Pavane » de Fauré. Créée en 1889, c ‘est une danse de la Renaissance, dont la mélodie évolue au fil de l’œuvre, se transformant progressivement pour s’évanouir doucement vers les notes aiguës. Le toucher est précis mais brutal, les parties mélodiques sont « trop ». Trop sentimental, trop surfait, ce qui nous empêche d’y croire vraiment. Lang Lang est une star, un pianiste qui brille de l’extérieur, qui consacre une grande partie de sa vie au répertoire romantique de Chopin, Rachmaninov, Tchaïkovski, Liszt, Beethoven. Ce soir, il choisit les Mazurkas de Chopin, aux couleurs pastels et changeantes et la Polonaise en fa dièse mineur, riche et vigoureuse. Techniquement, il est irréprochable, c’est un pianiste olympique, champion du monde, qui est né dans une caserne de l’armée de l’air chinoise. Venant d’un milieu modeste et poussé par son père qui voulait qu’il soit « le meilleur pianiste du monde » (c’est chose faite) , son jeu est à l’image de son éducation, avec la performance pour objectif, donnant l’impression de se dépasser comme un sportif de haut niveau. Quand on regarde ses mains jouant des doubles croches enflammées, il n’y a que ses doigts qui bougent, comme des pattes d’araignées sur le clavier. Parfois il lève les bras et à la fin des morceaux, jette ses mains hors du clavier comme un combattant qui frapperaient ses derniers coups. Sa force : les moments virtuoses, intempestifs, très rapides, et sa capacité à soudainement passer de la force à la douceur, sans transition. Incliné vers le piano, il se redresse dans les cadences au rythme militaire , tapant du pied d’un air solennel. Le répertoire s’enchaîne et les respirations en silence sont trop rares. Lang Lang n’a pas le temps, ne prend pas le temps . Son jeu est intrépide, enthousiaste, aimant le risque et l’amour (La Pavane ou les mazurkas sont des œuvres composées au nom d’histoire d’amour), éclatant, malgré les nombreux (et gênants) toussotements du public pendant le récital. Sa concentration de fer montre sa détermination. Les Kreisleriana sont 8 pièces que Schumann a composé en pensant à sa bien-aimée absente, Clara, dont l’amour lui était interdit par le père de la jeune femme. Lang Lang les jouent ce soir avec ardeur et même presque rage pour un public sérieux et concentré, exprimant en nuances mais avec dureté parfois, une passion impossible entremêlée à un rêve éveillé au ton mélancolique.
A 42 ans, le pianiste chinois s’investit depuis plusieurs années dans des initiatives liées à l’éducation musicale et à la transmission des savoirs, notamment par le biais de sa fondation « Lang Lang Music World », fondée en 2008. Cela fait rêver de voir jouer quelqu’un comme cela mais sa vie est-elle un rêve ou un cauchemar ? Dans son autobiographie « Le piano absolu, l’éducation d’un prodige » (Lattes, 2008) il révèle une enfance sans réelle insouciance : premières gammes à 3 ans, débuts de concerts à 5 ans. Avec un travail acharné au quotidien, il quitte son pays à 14 ans pour intégrer le Curtis Institute de Philadelphie, et fait son premier concert au Carnegie Hall de New York à l’âge de 18 ans . Depuis, il poursuit une carrière internationale brillante, mêlant parfois les genres (le jazz avec album avec Herbie Hancock, ou le rock en se produisant au Grammy Awards avec le groupe Metallica). On sent une envie d’aller sur le bord de la rive, et à la manière d’un enfant qui a été brimé de faire ce qu’il veut : élevé au répertoire classique, il attend paradoxalement d’atteindre la quarantaine pour enregistrer le Disney Book en 2022. Un adulte qui rêve d’une enfance qui lui a été volée ? En cela, Lang Lang devient touchant en nous livrant ce soir une version parfaite de magnifiques pièces classiques. A la façon d’une thérapie, il semble rejouer son univers de petit garçon passionné de musique, né dans une Chine post-révolution culturelle en pleine transformation, où l’amour du piano a côtoyé une compétition sans pardon. Après plus de trois rappels, applaudi par un public subjugué, il salue et quitte la scène, abandonnant quelques autographes à des fans venus du monde entier pour voir ce récital unique.
Visuel (c) HK
Pour aller plus loin
Autobiographie de Lang Lang : « Le piano absolu, l’éducation d’un enfant prodige , Lattes 2008
Dernier album : Camille Saint-Saëns, Carnival of the Animals, R. 125 (Narrated by Jimmy Fallon), Deutsche Grammophon, 2024
Album “pop” de Lang Lang, New York Rhapsody, Sony, 2016